À l’occasion, il refait surface. La dernière fois c’était en 2012, dans la trilogie « La colère de Fantômas » du duo Bocquet/Rocheleau (deux tomes parus à ce jour chez Dargaud). Et si, un siècle plus tard, l’ombre maléfique de Fantômas s’étendait de nouveau sur Paris et sur le monde ?
Ce ne serait que justice après tout… Pensez donc ! Fantômas entame sa carrière criminelle dans la France de la Belle Époque. De fait, une époque où le bourgeois s’ennuie. Les classes laborieuses, elles, œuvrent à son bien-être mais n’en retirent que des miettes, et aucun droit. La condition des femmes ? Pfff…
Le bourgeois, lui, cherche le dépaysement, le vice à bon marché. Comme dérivatif il y a les exécutions publiques, le théâtre du Grand-Guignol (cf. APC n°37), les faits divers sanglants qu’une certaine presse met en exergue et puis les romans-feuilletons, les villes électrifiées, le téléphone, l’automobile et le cinéma. C’est le monde né de l’exposition universelle de 1889 et de la tour Eiffel, avec son esprit revanchard (la défaite de 1870 attise le nationalisme), son antisémitisme, ses bombes anarchistes et ses « bandits tragiques » (dixit Robert Desnos). Fantômas surgit dans ce contexte, sous la plume de Marcel Allain et de Pierre Souvestre. L’œuvre-source, c’est 32 volumes publiés entre 1911 et 1913. Dans la foulée, le criminel sans visage – ou plutôt aux mille visages ! – s’impose au cinéma : les cinq films de Louis Feuillade sortent entre 1913 et 1914. Depuis, ce mystère incarné qui se situe au-delà du Bien et du Mal, a toujours hanté l’inconscient collectif sous de multiples avatars.
Même les artistes d’avant-garde se sont emparés du phénomène, à des fins plus politiques. Max Jacob tente la création d’une Société des amis de Fantômas, alors que très tôt les Cendrars, Queneau, Desnos, Apollinaire et (plus tard) les Belges Moerman et Magritte, fascinés par la série d’Allain et Souvestre, célèbrent Fantômas dans leurs écrits poétiques ou leurs œuvres plastiques. Les pré-surréalistes puis les surréalistes surtout ne s’y trompent pas, mythifiant le personnage pour dénoncer l’incurie de la société et de l’art bourgeois. Fantômas devient le symbole de la modernité esthétique. De l’utilisation détournée d’un produit de la culture populaire par un groupe d’intellectuels influents. Moderne, en effet.
Mais en devenant LE génie du crime à la veille de la Grande Guerre, Fantômas annonce celle-ci en quelque sorte. La guerre sera moderne et totalement meurtrière, comme lui. Mais personne ne le comprend, à part les militaires, peut-être… Car personne, à l’époque, ne se soucie de l’imminence du conflit. Au pire, on imagine que celui-ci sera bref et fera peu de victimes, moins en tout cas que le terrible Fantômas qui est partout, et nulle part. Un siècle de carnages plus tard, rien n’indique qu’on ait retenu la leçon. Fantômas attend son heure. Saurons-nous l’entendre ?
À lire absolument :
Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux, Fantômas ! Biographie d’un criminel imaginaire, Éd. Les prairies ordinaires, coll. Singulières modernités, Paris, 2013.
Sans oublier l’intégrale 1911-1913, qui reparaît chez Laffont, coll. « Bouquins ».