Patrice Lumumba (1925 – 1961) est l’une des principales figures de l’indépendance du Congo belge. En tant que premier Premier ministre du Congo indépendant, il reste célèbre pour son discours sans concession prononcé le jour de l’indépendance du Congo (30 juin 1960), face à un Roi Baudouin stupéfait, dans lequel il revient explicitement sur les méfaits de 80 ans de colonisation belge. Le pays entre bientôt dans une période trouble qui le voit sombrer dans une quasi-guerre civile subissant les luttes de différents candidats au pouvoir (Mobutu, Tshombe, Kasa-Vubu et Lumumba) avec notamment la sécession de la province du Katanga.
Quelques mois à peine après son élection et l’indépendance du Congo, Lumumba sera démis de son poste par le Président Kasa-Vubu et mis en résidence surveillée. Déjouant sa surveillance, il prend la fuite. Finalement capturé avec deux de ses anciens ministres, il sera battu et humilié puis livré par des Belges à Moïse Tshombe, président du Katanga, l’un des pires ennemis de Lumumba. Là, il sera exécuté sommairement, son corps découpé en morceau et dissous dans de l’acide. Le même sort étant réservé à ses compagnons.
Si ces circonstances n’ont jamais totalement été élucidées, on sait en tout cas qu’une participation de l’État belge à plusieurs niveaux a eu lieu pour ce faire. C’est d’ailleurs à cet égard que l’État belge a présenté des excuses en 2003, que beaucoup considèrent comme trop timides, imprécises et surtout, sans conséquences sur les différents protagonistes de cet assassinat.
UNE PROCÉDURE ENCLENCHÉE
Pour Annemie Schaus, avocate déterminée de la famille Lumumba et professeure à l’ULB, il s’agit d’aller au-delà des vagues excuses officielles : « Il y a 10 ans, une commission d’enquête parlementaire a été mise sur pied et a enquêté sur les faits. La responsabilité morale de la Belgique a été révélée. L’État s’est même excusé pour cette responsabilité morale, mais rien n’a été tiré de l’enquête parlementaire : aucune conséquence concrète, ni pénale, ni financière. Ils n’ont pas du tout voulu mettre en cause la responsabilité de l’État colonisateur, de l’État postcolonisateur. Ils ont dit que leur rôle n’avait pas été très clair dans la décolonisation et qu’ils auraient pu être plus pro-actifs pour éviter l’assassinat. C’est tout. » Aujourd’hui, une procédure judiciaire est mise en route à la demande des enfants de Patrice Lumumba qui ont constaté les promesses non tenues par la Commission parlementaire. Elle vise à faire la lumière sur les responsabilités pénales précises pour cet assassinat. La plainte a été déposée contre X mais aussi contre une dizaine de protagonistes qui pourraient être liés à la mort du Premier ministre congolais.
Cette plainte se fonde sur la compétence personnelle active puisqu’à ce stade les personnes impliquées sont de nationalité belge. L’assassinat de Lumumba est considéré dans le cadre de cette affaire comme un crime de guerre. Crime qui peut être considéré comme imprescriptible.
L’un des grands enjeux de cette procédure est l’ouverture de nombreuses archives restées secrètes et des auditions à huis clos de l’enquête parlementaire qui seront peut-être rendues publiques à cette occasion. L’ouverture d’archives côté congolais, comme s’y est engagé le Gouvernement congolais qui souhaite collaborer à l’établissement de la vérité (une première), devrait également apporter des éléments inédits d’explications.
AU-DELÀ DE L’AFFAIRE LUMUMBA
Au-delà du cas strictement pénal, il s’agit aussi de revenir sur ce contentieux symbolique entre Congo et Belgique et son poids dans le rapport postcolonial. De sortir du discours type « ce sont des histoires entre Noirs tout juste capables de se taper dessus » et, pour la Belgique, de « voir dans sa propre histoire ce dont on est responsable ». Il s’agit ainsi de changer les mentalités et la vision de l’Histoire : « L’idéal serait aussi que grâce à ce genre de dossiers, on revoit les cours d’Histoire, la responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de Lumumba et plus loin aussi le rôle de la Belgique en Afrique et en tout cas au Congo. Par exemple, le rôle de Léopold II dont on voit encore des statues sur certaines places communales. » Et ce, alors même qu’aucune rue, aucun monument n’existent pour rendre hommage à P. Lumumba.
Cette affaire, qui reçoit le soutien de la communauté congolaise de Belgique, pourrait créer un précédent et même permettre à d’autres procédures d’être lancées. « Cela peut faire boule de neige sur l’envie de savoir ‑une espèce de droit à la vérité- ce qu’il est advenu de tous ces gens, pourquoi et comment ils ont été assassinés. »