Entretien avec Vincent de Coorebyter

Des chiffres et des lettres

Photos : Véronique Vercheval

Vincent de Coore­by­ter est un homme atta­chant, sub­til ana­lyste des méandres poli­tiques de notre pays comme de la pen­sée de Jean-Paul Sartre. Direc­teur géné­ral du Centre de recherche et d’information socio-poli­tiques (CRISP) jusque récem­ment, en par­tance pour deve­nir Pro­fes­seur de phi­lo­so­phie à l’ULB, membre de l’Académie royale de Bel­gique, il est un témoin pri­vi­lé­gié des évo­lu­tions poli­tiques, aca­dé­miques et socié­tales de notre temps. Ren­contre avec un intel­lec­tuel tout en finesse et en humilité.

Qu’est-ce qui a fait qu’à un moment vous êtes passé des analyses des résultats électoraux sur les plateaux de télévision au choix de la philosophie politique et de l’enseignement à l’ULB ?

Depuis mes études jusqu’en 1998, à la fin de ma thèse, juste avant de ren­trer au Crisp, j’ai été avant tout un phi­lo­sophe. Mais déjà, pour gagner ma vie et par inté­rêt citoyen, j’ai tra­vaillé sur des ques­tions poli­tiques, des ques­tions de poli­tique cultu­relle, de poli­tique sociale, de socio­lo­gie de l’immigration. J’étais un phi­lo­sophe un peu curieux, dans les deux sens du terme (étrange et curieux), curieux de pro­blé­ma­tiques non phi­lo­so­phiques. Quand Xavier Mabille m’a deman­dé si je vou­lais entrer au Crisp, j’ai don­né mon accord mais à deux conditions.

La pre­mière était de ne pas faire les soi­rées élec­to­rales, car je n’avais aucune envie de pas­ser à la télé­vi­sion et de devoir res­ter des heures sur un pla­teau à mani­pu­ler des chiffres alors que j’ai une mémoire assez mau­vaise. Condi­tion qui n’a pas été res­pec­tée parce qu’on n’échappe pas à une cer­taine logique qui veut que ce soit le direc­teur géné­ral du Crisp qui repré­sente l’institution et qui par­ti­cipe aux soi­rées élec­to­rales de la RTBF. De plus, le manie­ment des chiffres m’a amu­sé, une fois que j’ai trou­vé le moyen de pal­lier les défaillances de ma mémoire.

Ma deuxième condi­tion, ne pas pres­ter un temps plein, a été res­pec­tée. Je vou­lais un temps légè­re­ment par­tiel pour avoir des week-ends pro­lon­gés qui me per­met­traient de gar­der une acti­vi­té phi­lo­so­phique pure et dure, notam­ment autour de Sartre. Je venais de finir une thèse, que je vou­lais publier. Et je sou­hai­tais publier des textes inédits de Sartre, et conti­nuer à faire des com­men­taires phi­lo­so­phiques à tra­vers Sartre, qui est un conti­nent à lui seul. C’est une œuvre au car­re­four du mar­xisme, beau­coup ; du struc­tu­ra­lisme, par­fois ; de la psy­cha­na­lyse, de plus en plus sou­vent au fil des textes ; de l’histoire, de la socio­lo­gie… Cette œuvre m’a tou­jours inté­res­sé parce qu’elle débor­dait des cadres étroits de la phi­lo­so­phie tout en ayant une très haute teneur conceptuelle.

Au Crisp, j’ai en quelque sorte main­te­nu le dés­équi­libre en inver­sant les pro­por­tions. Plu­tôt que d’être un phi­lo­sophe fai­sant un peu d’études poli­tiques, j’ai été un poli­to­logue pro­fes­sion­nel qui conti­nuait à faire un peu d’études philosophiques.

J’ai été can­di­dat à cette chaire qui s’ouvrait à l’ULB car elle est mixte, parce que c’est une chaire à che­val sur la Facul­té de phi­lo­so­phie et lettres et sur la Facul­té de droit. En Phi­lo­so­phie et lettres, il faut don­ner un ensei­gne­ment phi­lo­so­phique mais ouvert aux pro­blèmes de socié­té ; et, en Droit, il faut trai­ter de ques­tions poli­tiques et juri­diques comme la démo­cra­tie et la laï­ci­té mais en tant que phi­lo­sophe. Mon double par­cours qui, jusque-là me parais­sait tou­jours être un han­di­cap, est deve­nu tout à coup un avan­tage. J’ai donc fait le choix de renouer avec une acti­vi­té plus phi­lo­so­phique, un peu plus libre, plus per­son­nelle, mais sans perdre le contact avec ce que j’ai pu apprendre grâce au Crisp.

Vous avez joué un rôle très important dans « Charte 91 ». Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de la naissance de ce mouvement ?

« Charte 91 » est née comme le pro­lon­ge­ment, le clone, « de Char­ta 91 » créée un an aupa­ra­vant, dès 1992, par un cer­tain nombre d’intellectuels pro­gres­sistes fla­mands en réac­tion à ce que l’on a appe­lé le « dimanche noir » : les élec­tions du 24 novembre 1991 qui avaient vu le Vlaams Blok pas­ser de 3 à 10 % des voix en Flandre.

Le trau­ma­tisme avait été moins fort du côté fran­co­phone. Les résul­tats de l’extrême droite n’étaient pas les mêmes mais le constat était iden­tique : il y avait une menace du côté de l’extrême droite, et un pro­blème plus pro­fond qui est l’apolitisme. Aujourd’hui encore, l’extrême droite et le popu­lisme tra­duisent une crise pro­fonde du poli­tique qui inter­pelle des intel­lec­tuels de tous hori­zons. Je me sen­tais très à l’aise dans ce cadre-là parce que c’est un cadre qui res­pec­tait la liber­té de réflexion et d’intervention de cha­cun. Le mou­ve­ment ras­sem­blait plu­tôt des per­sonnes de tona­li­té pro­gres­siste, bien que l’on ne se soit jamais inquié­té de savoir d’où venaient les uns et les autres, ni s’il y avait un quel­conque équi­libre des ten­dances. Il y a eu des dis­cus­sions qui mon­traient bien la diver­si­té interne. Le socle de valeurs était très net, mais limi­té : réflé­chir aux condi­tions qui per­met­taient d’endiguer l’extrême droite. Il n’était pas ques­tion de répli­quer à l’extrême droite en ali­men­tant un cer­tain apo­li­tisme ou une cer­taine cri­tique agres­sive de la démo­cra­tie ou de la poli­tique, mais, en même temps, on devait avoir une liber­té de ton à l’égard du sys­tème poli­tique tel qu’il fonc­tionne parce que ce sys­tème était mani­fes­te­ment en crise.

Plus de 20 ans après, les objectifs de la Charte 91 ont-ils été remplis ?

La crise de la repré­sen­ta­tion, la crise du poli­tique, une cer­taine désaf­fec­tion à l’égard du poli­tique, tout cela est tou­jours pré­sent. Par contre, sur le moment même, un cer­tain nombre de per­sonnes ont trou­vé dans ce cadre de Charte 91 une occa­sion de remo­bi­li­sa­tion, avec des entrées en poli­tique de per­sonnes qui étaient des intel­lec­tuels en vue, mais déta­chés de la chose poli­tique, qui se sont resen­si­bi­li­sés à la ques­tion de l’action publique. Charte 91 les a aidé à rejoindre la poli­tique au moment même où elle était en crise. Ce qui n’était pas un résul­tat négligeable.

Je crois que, très modes­te­ment, nous avons contri­bué à faire avan­cer l’un ou l’autre débat. En tout cas, Charte 91 a joué un rôle en amont du tis­sage d’un double cor­don sani­taire à l’égard de l’extrême droite dans l’espace fran­co­phone : pas seule­ment un cor­don au plan stric­te­ment poli­tique, mais aus­si au plan média­tique et intel­lec­tuel à par­tir du milieu des années 1990. Il y a eu une sorte de déci­sion col­lec­tive, des par­tis, des asso­cia­tions, des médias, des intel­lec­tuels, pour ne pas ali­men­ter cer­tains types de débats autour de l’immigration dans les termes mêmes de l’extrême droite, et de décou­pler la ques­tion de l’immigration des débats poli­tiques qui la per­ver­tis­saient. Nous avons contri­bué – un peu – à mettre de la ratio­na­li­té et de la dis­tance dans un débat passionnel.

Une initiative comme celle-là serait utile aujourd’hui en Flandre ?

Oui. Cer­taines per­sonnes se demandent d’ailleurs s’il ne fau­drait pas recréer quelque chose du type de Char­ta 91 en Flandre. Pour la Flandre, ce qui m’avait frap­pé, c’est qu’Eric Cori­jn avait une ana­lyse disant : le pro­blème de la Flandre face à l’extrême droite est un pro­blème cultu­rel. Ce n’est pas un pro­blème d’opportunisme poli­tique, ce n’est pas seule­ment une ques­tion de mar­ke­ting poli­tique au sens de l’efficacité du Vlaams Blok qui sait sur­fer sur cer­tains thèmes à la mode. Pour lui, le ques­tion­ne­ment à mener, très cou­ra­geux, était de dire : « Il y a un cer­tain humus cultu­rel de longue durée en Flandre, des condi­tions favo­rables au déve­lop­pe­ment de la pen­sée d’extrême droite, et nous devons com­battre cela. Ne nous ras­su­rons pas à bon compte. Il ne suf­fit pas d’une recette contre une autre recette, celle du Vlaams Blok. Il faut tra­vailler sur notre his­toire et sur notre fonds cultu­rel pour voir ce qui chez nous favo­rise l’extrême droite. »

Aujourd’hui, ce n’est pas l’extrême droite qui est la menace pre­mière pour un bon fonc­tion­ne­ment de la démo­cra­tie en Flandre, mais un cer­tain nombre de ques­tions fort proches se posent et je crois qu’une telle ini­tia­tive aurait encore du sens.

Quel regard portez-vous sur l’attitude des médias et son rapport au politique ?

Pour les médias, j’ai deux sou­cis. Le pre­mier est le plus impor­tant : c’est la ten­ta­tion constante de l’hyperbole. On est face à un évè­ne­ment un peu éton­nant, et, une fois trai­té par les médias, cela devient une sorte de trem­ble­ment de terre. Sou­vent l’évènement éton­nant résulte de la prise de posi­tion un peu aven­tu­reuse de l’un ou l’autre acteur poli­tique plus ner­veux que d’autres à ce moment-là. Et les médias, au lieu de contri­buer à cal­mer le jeu et à rame­ner l’agitation à ses justes pro­por­tions, par une atti­tude d’information, de recul cri­tique, de mise en pers­pec­tive, vont au contraire assez sou­vent avoir la ten­ta­tion de l’hyperbole, c’est-à-dire d’en rajou­ter, de don­ner à cet évè­ne­ment une caisse de réso­nance, une impor­tance qu’il ne mérite pas.

Comme pour la libération de Michèle Martin ?

Effec­ti­ve­ment, la libé­ra­tion de Michèle Mar­tin, ou l’éventualité de voir Marc Dutroux obte­nir le droit de quit­ter la pri­son avec un bra­ce­let élec­tro­nique… Ce à quoi presque per­sonne ne croyait, mais qui a été pré­sen­té dans cer­tains médias comme une menace sérieuse qui fai­sait cou­rir des fris­sons sur toute la Belgique.

Mais je pen­sais aus­si à des évè­ne­ments poli­tiques, à des moments de ten­sion poli­tique qui voient les médias rajou­ter à la ten­sion, ou à des stra­té­gies par les­quelles les acteurs essaient d’attirer l’attention sur eux par des posi­tions fra­cas­santes, et qui conduisent les médias à favo­ri­ser ces stra­té­gies en don­nant une caisse de réso­nance tout à fait exces­sive à ce type de phénomène.

La deuxième réserve, c’est le constat qu’il y a un ren­ver­se­ment, dans les médias, quant à la part res­pec­tive de l’information et du com­men­taire. La place de l’information, de la recherche de l’information, de l’approfondissement de l’information, se réduit, alors que la place du com­men­taire, de l’éditorial, de la mise en débat, du forum, qu’il soit citoyen ou pas citoyen, devient de plus en plus impor­tante. Or, en règle géné­rale, ce n’est pas là qu’il y a des idées les plus per­ti­nentes ou les plus nou­velles qui se déve­loppent. Cela tourne très vite à vide. Il y a une sorte d’intrusion dans le monde des médias de ce qu’on appelle le « café du commerce »…

Internet ne favorise-t-il pas encore plus le fait que tout le monde commente tout ?

Il y a un cer­tain nombre de per­sonnes qui confondent la « e‑démocratie », c’est-à-dire la dis­cus­sion libre sur l’exercice de pou­voir, avec la démo­cra­tie, c’est-à-dire la par­ti­ci­pa­tion effec­tive à l’exercice du pou­voir. Je suis très heu­reux que le citoyen puisse par­ler de poli­tique, mais par­ler de poli­tique, ce n’est pas inter­ve­nir en poli­tique ni peser sur la poli­tique. Et de fait, les médias, vou­lant être connec­tés à la socié­té telle qu’elle est, ont ten­dance à accom­pa­gner ce mou­ve­ment et à y consa­crer un temps, une éner­gie, des moyens finan­ciers par­fois qui ne sont plus dis­po­nibles pour la recherche d’information.

Peut-on avoir une pensée profonde en 140 signes sur Twitter ?

Je n’ai jamais ima­gi­né une seule seconde d’ouvrir un compte Twit­ter ni de suivre ce que d’autres disent sur Twit­ter. Je vois que c’est très effi­cace quand Alexan­der De Croo lance un « Alea jac­ta est » pour ponc­tuer le fait qu’il fasse tom­ber un gou­ver­ne­ment. Ce jour-là, j’ai pas­sé quelques heures à essayer de contri­buer à mettre le doigt sur ce qui était par­ti­cu­liè­re­ment inquié­tant pour le sys­tème poli­tique suite à la déci­sion de retrait de l’Open Vld. Parce qu’en même temps qu’il fai­sait tom­ber le gou­ver­ne­ment, il vou­lait faire voter, l’après-midi même, la fameuse pro­po­si­tion de scis­sion de Bruxelles-Hal-Vil­vorde de manière uni­la­té­rale par les par­tis poli­tiques fla­mands. Cela me parais­sait beau­coup plus impor­tant que de com­men­ter un « Alea jac­ta est ».

De votre point de vue, quel est l’enjeu aujourd’hui de l’enseignement de la philosophie dans une université comme l’ULB ?

L’enjeu de l’enseignement a tou­jours été de faire com­prendre et de faire appré­cier. En phi­lo­so­phie, le défi pre­mier, c’est que pour appré­cier il faut com­prendre et que pour com­prendre il faut lire. Pour lire il faut savoir lire. Il faut avoir le temps de lire, il faut avoir le temps de relire et il faut avoir les armes pour com­prendre. Il y a une opa­ci­té, il y a une dif­fi­cul­té, il y a une tech­ni­ci­té, il y a une vir­tuo­si­té des dis­cours phi­lo­so­phiques qui sont des obs­tacles à l’entrée pleine et entière des étu­diants dans les textes.

Une ten­dance péda­go­gique en vogue tend à repous­ser le plus tard pos­sible l’approche des doc­trines, des concepts, de ce qui est plus abs­trait, de ce qui est plus exi­geant, pour favo­ri­ser d’abord une approche modeste et induc­tive, fon­dée sur la décou­verte de l’un ou l’autre fait et sur l’interprétation de ces faits à par­tir de docu­ments eux-mêmes factuels.

Je ne crois pas que cela soit effi­cace. Quand on repousse la confron­ta­tion avec des matières plus exi­geantes, je ne suis pas sûr que l’on donne, à la place, des armes qui soient suf­fi­santes pour cha­cun. À l’université il faut, dès la pre­mière année, se confron­ter à de grands textes, à de grands auteurs, à de grandes pro­blé­ma­tiques. Et des étu­diants qui n’ont jamais eu la moindre approche d’un mini­mum de concep­tua­li­té, de cadres un peu théo­riques, de ce que signi­fie construire une pen­sée ou construire une com­pré­hen­sion, doivent le faire dès le pre­mier cours. Ce qui ne me parait pas très heu­reux. Il y a une ques­tion de conti­nuum entre ensei­gne­ment secon­daire et uni­ver­si­té qui me parait posée. On le dit beau­coup dans le débat public. Cela ne veut pas dire que cela s’imprime dans les pédagogies.

Pierre Hadot qui s’inspirait des sagesses antiques dit qu’ « Être philosophe aujourd’hui, ce n’est pas écrire des livres de philosophie, c’est vivre en philosophe ». Qu’est-ce que cette idée vous inspire ?

Cela ne m’a jamais ins­pi­ré grand-chose. Je connais beau­coup de phi­lo­sophes pro­fes­sion­nels que je trouve très inté­res­sants mais dont je ne suis pas sûr, à les voir vivre, qu’ils soient plus phi­lo­sophes, au sens com­mun du terme, que d’autres. Ils ne sont pas for­cé­ment plus sereins, plus réflexifs, plus sages. Et je connais toute une série de per­sonnes très phi­lo­sophes qui ne sont pas phi­lo­sophes de profession.

On peut et on doit prendre au sérieux cer­taines doc­trines qui nous disent : la pen­sée que je déve­loppe n’a de sens que si les actes suivent. On peut prendre cer­taines per­sonnes au défi de leur propre pré­ten­tion en termes de cohé­rence ou de sin­cé­ri­té par exemple.

Per­son­nel­le­ment, je ne me sens pas concer­né parce que je fais de la phi­lo­so­phie tech­nique et déli­bé­ré­ment, modes­te­ment, de seconde main, c’est-à-dire que je lis, j’essaie de com­prendre, j’essaie de com­men­ter, j’essaie de faire com­prendre à d’autres ce que je vois de pas­sion­nant ou de révé­la­teur ou d’éclairant dans la pen­sée de Sartre. Je ne me sens pas du tout tenu d’avoir une défé­rence à l’égard du per­son­nage ou de tous les élé­ments de sa pen­sée, et encore moins d’appliquer dans ma vie per­son­nelle les pré­ceptes de l’existentialisme, à sup­po­ser qu’il en existe. De temps en temps on me pose la ques­tion, et je ne dérobe pas for­cé­ment, mais je n’ai jamais pré­ten­du être un porte-parole d’une doc­trine existentielle.

Quel jugement portez-vous sur le classement Shanghaï des universités, cette idée que tout doit être systématiquement traduit en management, en évaluation, en quantitatif ? Est-ce que ce n’est pas un chemin totalement contraire à la finesse et à la subtilité de la philosophie ?

Pour le clas­se­ment Shan­ghaï des uni­ver­si­tés, les effets per­vers du règne du quan­ti­ta­tif sont connus. Ils me paraissent par­ti­cu­liè­re­ment mani­festes ici dans la mesure où, pour ce que j’en com­prends, c’est vrai­ment du quan­ti­ta­tif aveugle. C’est le nombre de publi­ca­tions et le nombre de réfé­ren­ce­ments de ces publi­ca­tions qui comptent et qui comptent seuls, indé­pen­dam­ment de la qua­li­té de ces publi­ca­tions. Cette qua­li­té est cen­sée être avé­rée jus­te­ment par le nombre, à savoir : il faut for­cé­ment que les articles ou les publi­ca­tions soient de qua­li­té pour que cer­tains prennent la peine de les édi­ter ou de les réfé­ren­cer. Sauf que l’on connaît tous les trucs et sys­tèmes qui consistent d’abord à faire pas­ser des articles de mau­vaise qua­li­té dans des revues pres­ti­gieuses parce qu’on a les relais et les réseaux, ensuite à publier cinq ou huit fois à peu près le même article mais sous des titres et dans des revues dif­fé­rentes dans des pays dif­fé­rents… Or, per­son­nel­le­ment — c’est le phi­lo­sophe qui parle —, il me paraît évident que le qua­li­ta­tif, une cer­taine finesse, une cer­taine per­ti­nence, une cer­taine pro­fon­deur, une cer­taine ori­gi­na­li­té de la pen­sée sont beau­coup plus por­teurs sur la durée que le quantitatif.

Un de mes pro­fes­seurs à l’ULB, Jean Pau­men, disait : « Si la « Cri­tique de la rai­son pure » de Kant était aujourd’hui pro­po­sée à un édi­teur, aucun n’en vou­drait, sim­ple­ment parce que ce livre est très mal écrit. » Effectivement…

Est-ce que la tâche n’est encore plus difficile qu’auparavant au travers du basculement culturel que l’on connait, de l’écrit à l’écran, de la graphosphère à de la vidéosphère pour prendre la formule de Régis Debray ?

Le pas­sage de l’écrit à l’écran en tant que tel ne me fait pas par­ti­cu­liè­re­ment peur. La ques­tion est de savoir ce qu’il y a dans l’écran, parce que dans l’écran il y a beau­coup d’écrit. Et un cer­tain usage de l’écran exige aus­si un res­pect abso­lu de l’écrit. Il suf­fit d’une lettre erro­née ou man­quante pour qu’une adresse inter­net ne fonc­tionne pas. Le pro­blème est moins l’écran qu’une cer­taine déper­di­tion de la culture du texte, du tra­vail sur le texte, de l’effort sur le texte et du res­pect d’un cer­tain nombre de démarches for­cé­ment exi­geantes avant de deve­nir maître du texte. Une fois que l’on a acquis la maî­trise, on acquiert un sen­ti­ment de liber­té et une liber­té effec­tive, en termes de capa­ci­té de faire et de déci­der, infi­ni­ment supé­rieure au coût que l’on a concé­dé, à l’effort qui a été four­ni. Du moins pour ceux qui ont la chance de pou­voir faire cet effort, ce qui pose évi­dem­ment la ques­tion de l’égalité des chances dans le contact avec la culture et avec la connaissance.

Pour moi, la ques­tion est moins celle de l’écran, ou de l’écrit en tant que tel, que d’une cer­taine approche de l’écrit. Je crois qu’il n’y a pas de miracle. Si on refuse un cer­tain type de dis­ci­pline face à l’écrit, face à la réflexion, face à la connais­sance, on n’obtiendra pas un renou­vel­le­ment de l’intellectualité, des connais­sances et des capa­ci­tés de débattre. Et on va lais­ser sur le bord de la route des per­sonnes qui auraient pu par­fai­te­ment trou­ver un plai­sir et une voie au bout de ce chemin.

Il y a une question qui traverse aujourd’hui la société mais qui est aussi une question centrale dont peuvent s’emparer les philosophes. C’est la question de la laïcité.

Pen­dant mes études, j’étais res­té assez indif­fé­rent à la ques­tion de la laï­ci­té. Et je n’ai pas ren­con­tré dans mes études un grand cours qui m’y aurait sensibilisé.

Une des ori­gi­na­li­tés de la chaire qui vient de se créer et que je vais assu­mer, c’est qu’il est pré­vu un sémi­naire sur la laï­ci­té, et c’est un des rares cours sur la laï­ci­té à l’ULB.

Je me suis inté­res­sé à la laï­ci­té de manière acci­den­telle, pour la rai­son très simple qu’au moment de la pre­mière polé­mique sur le fou­lard musul­man, en sep­tembre 1989, je n’y com­pre­nais rien. Les par­ti­sans d’une loi qui inter­di­rait le port du fou­lard à l’école publique comme les par­ti­sans d’un droit incon­di­tion­nel à por­ter le fou­lard se reven­di­quaient de part et d’autre de la laï­ci­té. Et, comme phi­lo­sophe issu de l’ULB, où j’avais sui­vi la filière de phi­lo­so­phie morale, j’étais dépi­té et vexé de me rendre compte que je ne savais pas pour­quoi le même concept de laï­ci­té ser­vait à défendre deux thèses par­fai­te­ment inverses l’une de l’autre. J’étais dému­ni et un peu irri­té de me rendre compte que je ne savais même pas de quoi on parlait.

J’ai donc déci­dé de m’y inté­res­ser car si la ques­tion posée était peut-être un détail de la vie en socié­té, c’était en même temps, pour quelqu’un qui avait tra­vaillé plu­sieurs années sur les ques­tions d’immigration, intel­lec­tuel­le­ment exci­tant et sym­bo­li­que­ment chargé.

J’ai com­men­cé à ce moment-là à étu­dier cette notion qui est une notion à tiroirs. Parce que la laï­ci­té en Bel­gique et en France, pour ne prendre que ces deux pays, ce n’est pas la même chose. En France, on a une concep­tion assez défor­mée de la laï­ci­té parce qu’elle se confond avec l’idéologie répu­bli­caine. J’ai cou­tume de dire depuis quelques années que si on veut savoir ce qu’est vrai­ment la laï­ci­té, il faut obser­ver ce qui se passe en Bel­gique parce qu’en Bel­gique, c’est de la laï­ci­té chi­mi­que­ment pure qui est défen­due par le monde de la laï­ci­té orga­ni­sée comme vision de la socié­té, comme socle de valeurs. Alors qu’en France, la notion est per­ver­tie par son inclu­sion dans le socle républicain.

C’est typi­que­ment une pro­blé­ma­tique à la confluence de ques­tions phi­lo­so­phiques et de ques­tions his­to­riques et poli­tiques, et qui évo­lue d’une manière assez fas­ci­nante : en 1989, tout le monde se récla­mait de la laï­ci­té ; aujourd’hui, presque plus per­sonne en Bel­gique ne se réclame de la laïcité.

Le terme clé du débat n’est plus celui de laï­ci­té, c’est celui de neu­tra­li­té. La laï­ci­té a presque dis­pa­ru du débat public belge. Par contre, elle n’a pas dis­pa­ru du débat public fran­çais. Elle n’a pas for­cé­ment dis­pa­ru dans cer­taines consciences ou dans cer­tains uni­vers orga­ni­sés, en Bel­gique, mais elle est mani­fes­te­ment en crise.

C’est un bel exemple d’une de ces pro­blé­ma­tiques socié­tales qui échappent à une cer­taine maî­trise col­lec­tive, parce que, quand le terme de neu­tra­li­té s’est sub­sti­tué à celui de laï­ci­té, on est entré dans une confu­sion encore plus grande car la neu­tra­li­té n’est pas un terme neutre. Pour cer­tains, la neu­tra­li­té est un équi­valent de la laï­ci­té et doit ser­vir à mettre le reli­gieux à l’écart de la sphère publique. Pour d’autres, c’est une manière de deman­der à la sphère publique de ne pas du tout de se pré­oc­cu­per du reli­gieux et de ne jamais cher­cher à inter­dire son expres­sion. Ce qui est juste l’inverse. On fait sou­vent un usage mili­tant du terme de neu­tra­li­té : c’est un para­doxe assez amu­sant à démêler.

Quel est le regard que tu portes comme citoyen philosophe sur ton époque qui semble marquée par un ensemble d’impasses environnementales, économiques, financières ou sociales ?

Ce qui me frappe le plus c’est une impuis­sance mani­feste du poli­tique à conser­ver ce qu’il pos­sé­dait comme maî­trise des évè­ne­ments. Je dis bien « conser­ver ce qu’il pos­sé­dait comme maî­trise des évè­ne­ments » parce qu’on sait bien que le poli­tique n’a jamais façon­né la socié­té : glo­ba­le­ment c’est plu­tôt l’inverse.

C’est la différence entre le politique et la politique ?

Je mets dans « le » poli­tique plus que « la » poli­tique au sens de la sphère poli­tique for­mel­le­ment constituée.

Le poli­tique intègre ce qui est au-delà de la sphère du légis­la­tif et de l’exécutif. C’est tout ce qui dans la socié­té, et en par­ti­cu­lier en démo­cra­tie où le peuple a quelque chose à dire, c’est tout ce qui contri­bue à un façon­ne­ment col­lec­tif d’un des­tin col­lec­tif, et qui per­met d’éviter que ce soit sim­ple­ment des états de fait qui imposent leurs consé­quences. Je vois dans le poli­tique un syno­nyme de capa­ci­té de maî­trise col­lec­tive de nos des­tins, et cela implique d’autres acteurs que les seuls acteurs poli­tiques au sens étroit.

Le poli­tique au sens large n’a jamais été déter­mi­nant, par exemple dans le pas­sage au capi­ta­lisme, dans les muta­tions démo­gra­phiques ou dans le pri­mat de la ville sur les cam­pagnes. Mais il sert à régu­ler, à cadrer, à orien­ter, à équi­li­brer un cer­tain nombre de situa­tions, et il est aujourd’hui en état d’impuissance criante. En tout cas autour d’un cer­tain fonc­tion­ne­ment de l’économie, ce qu’on appelle la glo­ba­li­sa­tion mais aus­si la finan­cia­ri­sa­tion, dont les effets per­vers, au moins sur le plan social, sont mani­festes. Aujourd’hui les effets per­vers du capi­ta­lisme déré­gu­lé et finan­cia­ri­sé peuvent paraître au moins aus­si impor­tants que les béné­fices en termes de pro­duc­ti­vi­té, d’élévation du niveau de vie – qui ne sont pour­tant pas minces pour une par­tie de la planète.

Nous man­quons aus­si d’une capa­ci­té de maî­trise des grands phé­no­mènes démo­gra­phiques. Dont la ques­tion du renou­vel­le­ment ou du non-renou­vel­le­ment des géné­ra­tions, avec des crises du vieillis­se­ment dans cer­tains pays et des excès de popu­la­tion jeune dans d’autres pays.

Un des déclics du prin­temps arabe, c’est une nata­li­té très impor­tante et une inca­pa­ci­té à don­ner du tra­vail à tous les jeunes. La démo­gra­phie, ce sont aus­si des chan­ge­ments dans les lieux de vie, dans les déci­sions de loca­li­sa­tion des per­sonnes. Ce sont des flux migra­toires dans des sens mul­tiples. Ce ne sont pas seule­ment les migra­tions vers les pays occi­den­taux les plus pros­pères. Ce sont aus­si les dépla­ce­ments internes aux dif­fé­rents pays qui dérèglent ou qui déroutent toute une série de poli­tiques publiques, et aux­quels il est dif­fi­cile de répondre puisque ces dépla­ce­ments se fondent sur des droits fon­da­men­taux comme la liber­té d’établissement, la liber­té de cir­cu­la­tion, la liber­té de pro­prié­té, droits fon­da­men­taux qui, dans un monde ouvert et avec des sys­tèmes de trans­port extrê­me­ment per­for­mants, créent des défis redoutables.

Un troi­sième grand défi est le défi envi­ron­ne­men­tal. En tout cas à tra­vers le réchauf­fe­ment cli­ma­tique qui, me semble-t-il, est hors de doute si on est de bonne foi. Il y a un qua­si-consen­sus quant au fait qu’il y a là une menace réelle et majeure.

Or, nos outils de gou­ver­nance publique sont fon­dés sur la démo­cra­tie, le mul­ti­la­té­ra­lisme, des pro­ces­sus for­mels, des pro­ces­sus ouverts, des recherches de consen­sus, des enceintes inter­na­tio­nales où la déci­sion doit se faire à l’unanimité ou à la qua­si-una­ni­mi­té. Ce qui est heu­reux : cela crée une sorte de dilu­tion des pou­voirs, un sys­tème d’entrechoquements, qui évite qu’un Big Bro­ther mon­dial gère la pla­nète en fonc­tion de sa vision et de ses délires.

Mais en même temps, ce cadre mul­ti­po­laire, fon­da­men­ta­le­ment ouvert par rap­port aux périodes qui nous ont pré­cé­dées, est peut-être beau­coup trop dilué, trop peu puis­sant, trop peu concen­tré, pour prendre à bras-le-corps les défis dont nous parlons.

Tous les obser­va­teurs avi­sés le disent : nous man­quons d’une gou­ver­nance mon­diale pour des enjeux mon­diaux. Et en même temps, nous n’avons pas d’autre cadre concep­tuel. Com­ment ima­gi­ner une sorte de gou­ver­ne­ment onu­sien qu’on dote­rait d’un cer­tain nombre de com­pé­tences en sachant que l’on va devoir gou­ver­ner la pla­nète avec des repré­sen­tants d’États qui, pour cer­tains, sont tout sauf recommandables ?

Le simple concept de gou­ver­nance mon­diale pose déjà un pro­blème redou­table par rap­port aux pays à qui on n’aurait pas envie de don­ner une place au sein du concert des nations.

Est-ce qu’il y a encore une espérance pour le projet européen ? Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt ont écrit un livre sur l’idée de dépasser la fédération des 27 États membres pour construire un projet vraiment fédéral au niveau européen.

On n’est effec­ti­ve­ment pas dans une fédé­ra­tion euro­péenne. Elle fonc­tionne plus qu’auparavant, à cer­tains égards, sur le mode inter­gou­ver­ne­men­tal, avec un poids consi­dé­rable de cer­tains États qui ont de fait un droit de veto. Je crois qu’il faut être très pru­dent quant à l’avenir de l’Europe. Je l’ai appris en tra­vaillant avec Xavier Mabille. Ne jamais se lan­cer dans la moindre prédiction.

Tu cites Guy Verhof­stadt. Qui aurait pu dire, il y a même cinq ans, qu’il appa­rai­trait aujourd’hui comme une sorte de lea­der du centre en pro­fit d’une Europe fédé­rale cri­ti­quant les excès du libé­ra­lisme, appe­lant à des régu­la­tions, à la soli­da­ri­té euro­péenne ? Lui qui, dans les années 1990, était appe­lé « Baby That­cher ». Le par­cours de Guy Verhof­stadt, d’une droite libé­rale clas­sique vers son posi­tion­ne­ment actuel, est tout aus­si spec­ta­cu­laire que celui de Daniel Cohn-Ben­dit dans l’autre sens, qui n’est plus le tru­blion de mai 1968.

C’est pour cela qu’ils se rejoignent ?

Je crois que tout reste ouvert en Europe. Notam­ment l’hypothèse que, dans la mesure où elle ne par­vien­drait pas à se sor­tir de ses dif­fi­cul­tés par le type de gou­ver­nance actuelle, notam­ment au niveau de la Com­mis­sion mais aus­si du Conseil, une crise majeure l’oblige, comme cela a sou­vent été le cas, à chan­ger radi­ca­le­ment de cap.

Cela va aus­si dépendre des confi­gu­ra­tions poli­tiques dans les États membres. Parce que le cap nou­veau que cer­tains jugent aujourd’hui indis­pen­sable est un cap glo­ba­le­ment social-démo­crate et ouvert aux ques­tions envi­ron­ne­men­tales, qui fait pri­mer des enjeux de soli­da­ri­té, des enjeux col­lec­tifs, sur la simple ques­tion du déve­lop­pe­ment éco­no­mique par la libé­ra­li­sa­tion. C’est un chan­ge­ment de cap idéo­lo­gique qui sup­pose des condi­tions poli­tiques dans les États membres. C’est pos­sible. On a connu, il n’y a pas si long­temps, une Europe où c’étaient les gou­ver­ne­ments sociaux-démo­crates qui étaient domi­nants, numé­ri­que­ment parlant.

Un regard sur l’éducation permanente ?

Elle me paraît plus légi­time que jamais. C’est une ori­gi­na­li­té belge que de voir la Com­mu­nau­té fran­çaise sub­si­dier des asso­cia­tions aux­quelles elle donne comme unique feuille de route de par­ti­ci­per à une réflexion et à un débat cri­tique sur la manière dont l’État et les par­tis gèrent la socié­té. C’est l’honneur de la Bel­gique d’avoir ce sens-là du plu­ra­lisme et de l’organisation des liber­tés collectives.

Nous sommes devant des ques­tions de gou­ver­nance abys­sales et dans une situa­tion où l’on sent bien que les franges les moins solides, les moins pri­vi­lé­giées de la socié­té, ont de plus en plus de dif­fi­cul­té à gar­der la tête hors de l’eau. Or l’éducation per­ma­nente, dans sa tra­di­tion, accorde une atten­tion par­ti­cu­lière à ces com­po­santes de la socié­té. Je crois que le tra­vail qu’elle fait col­lec­ti­ve­ment est plus indis­pen­sable que jamais pour appor­ter sa modeste contri­bu­tion au débat néces­saire sur d’autres modes de gou­ver­nance col­lec­tive. Mais elle n’apportera cette contri­bu­tion que si chaque orga­ni­sa­tion fait son auto­cri­tique et accepte éven­tuel­le­ment, là où il le faut, de tra­vailler en fonc­tion de l’avenir plu­tôt que de vou­loir culti­ver un cer­tain pas­sé, un cer­tain enracinement.

Quel grand roman vous a touché dernièrement ?

La tri­lo­gie « Mil­lé­nium ». Fas­ci­né et fas­ci­nant. Assez extra­or­di­naire. J’ai lu les trois tomes en une semaine en vacances. « Midd­le­sex » de Jef­frey Euge­nides. Un sou­ve­nir éblouis­sant. Un livre d’une finesse psy­cho­lo­gique mais aus­si d’une force roma­nesque extra­or­di­naires. C’est l’histoire d’une fille qui se découvre her­ma­phro­dite au fil de toute une série d’épreuves. C’est un roman sur plu­sieurs géné­ra­tions d’émigrants qui s’installent au Etats-Unis et qui tra­versent l’histoire des États-Unis, un cer­tain nombre de lieux et de pro­blé­ma­tiques amé­ri­caines : la ten­sion raciale, la domi­na­tion éco­no­mique, l’exploitation au tra­vail. C’est un livre ter­ri­ble­ment ciné­ma­to­gra­phie. En per­ma­nence on visua­lise les per­son­nages. « Ada ou l’Ar­deur » de Vla­di­mir Nabo­kov. Je l’ai lu deux fois. Une pre­mière fois sans com­prendre. Au terme de la seconde lec­ture, j’ai cru avoir com­pris les rela­tions exactes entre les pro­ta­go­nistes, mais sans en être sûr. C’est un moment extra­or­di­naire de dérou­te­ment per­ma­nent où tout est allu­sif, cryp­té, d’une sen­sua­li­té à fleur de peau et où, à la fois, rien n’est expli­cite. On est devant une sorte de gouffre qu’on longe en se deman­dant si l’auteur va encore ajou­ter des termes incon­nus, des situa­tions inima­gi­nables. C’est encore plus dif­fi­cile à lire que « Lolita ».

Et au niveau cinématographique ?

« 2001, Odys­sée de l’espace » de Stan­ley Kubrick. Le plus grand cinéaste. Si le ciné­ma n’est que du théâtre fil­mé avec de la musique en plus, il n’apporte pas grand-chose de spé­ci­fique. Avec Kubrick, il apporte une dimen­sion plas­tique et méta­phy­sique, on est scot­ché dans son fau­teuil. C’est fabuleux.

Le livre de Sartre à lire aujourd’hui pour les jeunes générations ?

« La Nau­sée », même s’il m’a fal­lu vingt ans pour la comprendre.

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