Nos vieux, nos défis : un 21e siècle intergénérationnel ?

Photo : Anita De meyer

Com­ment garan­tir un ave­nir à une socié­té vieillis­sante ? C’est tout l’en­jeu de la réflexion autour du lien entre les géné­ra­tions : en 2030, les plus de 65 ans repré­sen­te­ront 23 % de la popu­la­tion wal­lonne. L’Europe entière suit cette courbe gri­son­nante. Pré­oc­cu­pés, nos repré­sen­tants ont pla­cé l’an­née 2012 sous le signe du vieillis­se­ment actif et des soli­da­ri­tés inter­gé­né­ra­tion­nelles. Concrè­te­ment, ça veut dire quoi ?

ON PEUT NAÎTRE VIEUX ET MOURIR JEUNE

Jean Coc­teau se ras­su­rait en jouant sur les mots : autant com­men­cer un article sur les per­sonnes âgées pour rap­pe­ler que le concept même du « vieux » n’est pas syno­nyme de déam­bu­la­teur. Et s’il l’é­tait, il fau­drait bien com­prendre que le déam­bu­la­teur est, avant tout, une façon de conti­nuer à aller de l’a­vant plu­tôt que de mettre un pied dans la tombe.

Pour la SNCB, le « vieux » est quel­qu’un qui a pas­sé la barre des 65 ans. On l’ap­pelle « senior », avec une bouche qui se fait ronde et déli­cate, comme si les vieux se sen­taient insul­tés par l’ad­jec­tif, comme si « senior » était un euphé­misme. Plus géné­ra­le­ment, ce sont les retrai­tés, puis­qu’il paraît que la vie active s’ar­rête avec le bou­lot. Allez, un peu de sérieux, quoi. Marie-Jeanne, vous qui êtes vieille, éclai­rez donc un peu notre lanterne.

« Les choses les plus détes­tables dans notre quo­ti­dien sont les éti­quettes. Celles qui grattent le cou et celles que l’on nous colle sur le front : « noraf », « pédé », « juif », « artiste », « bon à rien » ou… trop vieux ! Une ride, une main qui tremble un peu, un che­veu blanc rebelle à la tein­ture, un pied hési­tant et hop, on se retrouve dans le sac éti­que­té : « char­mantes per­sonnes ne pou­vant plus ser­vir à rien » ! Trop vieux pour être pro­duc­tif, pour être consom­ma­teur (autre que celui de nos propres funé­railles : pub reçue trois jours avant mes 70 ans !), pour être créa­teur, pour être utile ? ».

Marie-Jeanne, porte-parole fabu­leuse de la cam­pagne « J’ai un peu d’a­vance – Le grand bate­lage des seniors » (voir enca­dré), s’in­surge contre les idées reçues. Pour­tant, les vieux exis­te­raient bien en tant que groupe, notam­ment parce qu’ils subissent des dis­cri­mi­na­tions simi­laires et sont en peine de rôle social. Au cœur de ces années de crise, ils sont pla­cés sous le feu vif de nos pro­jec­teurs lorsque l’on parle de sécu­ri­té sociale mena­cée, de nata­li­té en berne, de choix de déve­lop­pe­ment de nou­veaux médi­ca­ments… On parle d’eux, on parle à leur sujet : mais eux, ont-il encore une voix ?

L’ABANDON DES VIEUX, UN MODE DE VIE ?

« Notre socié­té a ten­dance à créer de la dépen­dance en ne faci­li­tant pas la pré­ven­tion et l’au­to­no­mi­sa­tion des per­sonnes âgées », constate Anne-Sophie Parent, Secré­taire géné­rale de la pla­te­forme euro­péenne AGE, active pour le bien-être des per­sonnes âgées et la pro­mo­tion de la soli­da­ri­té inter­gé­né­ra­tion­nelle. En effet, la réponse aux enjeux de trans­mis­sion, et plus concrè­te­ment, de vivre ensemble, est bien sou­vent de cloi­son­ner les géné­ra­tions entre elles, en relé­guant les per­sonnes les plus dépen­dantes à des rôles sociaux sym­bo­liques : der­rière des rideaux de den­telle ou dans des mai­sons de retraite.

La pro­mo­tion du « vieillis­se­ment actif » est une pre­mière étape : il s’a­git de per­mettre aux per­sonnes âgées, par exemple, de s’im­pli­quer dans la vie citoyenne en fai­sant entendre leur point de vue dans les déci­sions prises par leur muni­ci­pa­li­té, de favo­ri­ser leur place sur le mar­ché du tra­vail… Créer des envi­ron­ne­ments « Amis de tous les âges » (et non pas uni­que­ment « amis des vieux »!), selon l’ap­pel­la­tion de l’Or­ga­ni­sa­tion Mon­diale de la San­té, cela implique de réflé­chir de manière plus large et inclu­sive à l’es­pace public, aux loge­ments, aux trans­ports. Rien qu’un banc sur une petite place ombra­gée, ou au détour d’un car­ré de gazon, peut faire la différence.

« Au Dane­mark, une muni­ci­pa­li­té a un pro­jet de dimi­nu­tion de la dépen­dance des per­sonnes âgées : lors­qu’une per­sonne fait appel aux ser­vices com­mu­naux, on lui demande sys­té­ma­ti­que­ment si elle est inté­res­sée à deve­nir plus auto­nome par rap­port à cette demande pré­cise. » Pre­nons l’exemple, assez typique, des hommes veufs : on va leur pro­po­ser d’ap­prendre à cui­si­ner, les enca­drer et les encou­ra­ger à sor­tir faire des courses, se com­po­ser un menu équi­li­bré, ren­con­trer d’autres per­sonnes dans la même dyna­mique : « c’est une vision posi­tive, qui va vers l’au­to­no­mie », s’en­thou­siasme Anne-Sophie Parent.

Mais cela ne suf­fit pas. En effet, ain­si que le sou­ligne l’AS­BL Entr’âges, « les prio­ri­tés mises en avant actuel­le­ment, telle l’au­to­no­mie, sont aus­si un frein aux ren­contres entre aînés et plus jeunes, aucune géné­ra­tion ne pou­vant comp­ter uni­que­ment sur elle-même ». Ain­si, si 2012 est l’An­née euro­péenne du vieillis­se­ment actif, elle est aus­si celle des soli­da­ri­tés entre les géné­ra­tions : voi­ci pour­quoi ce lien est à ce point vital.

LE LIEN QUI CONSTRUIT

« Quand on a une socié­té qui répond aux besoins de tous les groupes d’âge, on a une socié­té avec moins de dépen­dance », explique Madame Parent. « Les pays comme la Suède, qui ont déve­lop­pé une vision de la socié­té basée sur la soli­da­ri­té entre les géné­ra­tions, ont un taux d’emploi beau­coup plus éle­vé pour toutes les couches de la socié­té. » C’est assez logique : en sou­te­nant une grand-mère dans son envie de res­ter chez elle plu­tôt qu’en la col­lant dans un home à sa pre­mière chute d’es­ca­lier, on aide aus­si un parent à conti­nuer à tra­vailler, en lui per­met­tant de faire gar­der un enfant en bas âge par mamie après l’é­cole. On peut trou­ver un loge­ment à un étu­diant chez une per­sonne âgée qui vit seule, en échange d’une pré­sence aidante…

« Lors­qu’on crée un espace de par­ti­ci­pa­tion des per­sonnes âgées, cela aide l’en­semble de la popu­la­tion, en aug­men­tant les oppor­tu­ni­tés de tous et en fai­sant mieux fonc­tion­ner l’é­co­no­mie. » « S’a­dap­ter au vieillis­se­ment, pré­cise Anne-Sophie, c’est réflé­chir à l’en­semble des couches de la socié­té. Pour en reve­nir au mar­ché du tra­vail, il faut non seule­ment lever les bar­rières qui empêchent les per­sonnes âgées de se main­te­nir sur le mar­ché, mais aus­si aider les jeunes à avoir un emploi stable plus rapi­de­ment. » En bref : avec l’in­ter­gé­né­ra­tion­nel, à tous les coups, on gagne.

UNE FORMULE MAGIQUE ?

Allez, cela paraît si simple sur le papier. Pour­tant, si les ini­tia­tives se mul­ti­plient, elles sont tou­jours confron­tées à un défi majeur : la vision de la socié­té. Entre la socié­té des groupes sépa­rés, cloi­son­nés, et la socié­té qui iden­ti­fie et qui trouve des solu­tions aux besoins de tous, sans les oppo­ser entre eux. Le 29 avril, par exemple. Ce n’est pas uni­que­ment l’an­ni­ver­saire du mariage de Kate et William, c’est sur­tout la jour­née euro­péenne des soli­da­ri­tés inter­gé­né­ra­tion­nelles : l’oc­ca­sion de par­ta­ger des expé­riences, de s’in­for­mer, car les petites idées font les grands fleuves (inter­gé­né­ra­tion­nels). Un exemple : le concept du « desi­gn uni­ver­sel », pro­mu par la pla­te­forme AGE. L’i­dée : inci­ter les indus­triels à réflé­chir à l’u­ti­li­sa­tion de leurs pro­duits par toutes les couches de la popu­la­tion, et non pas uni­que­ment par le bout de la lor­gnette « femmes de 30 ans aimant le rose » ou « hommes de 30 ans aimant le foot ». L’ASBL Entr’âges, quant à elle, pri­vi­lé­gie l’ex­pres­sion artis­tique col­lec­tive et orga­nise des ate­liers qui métissent les géné­ra­tions ; elle fait atten­tion à ne pas repro­duire le confi­ne­ment habi­tuel dans lequel on « fait » de l’in­ter­gé­né­ra­tion­nel en orga­ni­sant sim­ple­ment des ani­ma­tions ponc­tuelles entre deux groupes d’âge dif­fé­rent, le plus sou­vent petite enfance ou ado­les­cence et per­sonnes âgées valides ; ate­liers phi­lo, confé­rences, fes­ti­vals, font bouillon­ner le public de l’as­so­cia­tion. Quant à l’AS­BL Alter­na­tive Culture, c’est avec un déca­lage assez cor­ro­sif qu’elle lance ce prin­temps la cam­pagne « J’ai un peu d’a­vance – Le grand bate­lage des seniors ; presque cinq mois de tour­née en péniche sur les rivages wal­lons et bruxel­lois, à la ren­contre des soli­da­ri­tés, à l’é­coute des per­sonnes isolées.

Lais­sons le mot de la fin à Anne-Sophie Parent, pour qu’un grand rayon de soleil nous fasse déam­bu­ler autre­ment : « le réseau social est d’une impor­tance fon­da­men­tale pour tous. Depuis la crise, les ini­tia­tives se mul­ti­plient et on se rend compte que toutes les géné­ra­tions ont besoin les unes des autres. » 

J’AI UN PEU D’AVANCE (+AFFICHE J’AI UN PEU D’AVANCE)

Le ren­dez-vous est don­né le long des voies navi­gables wal­lonnes avec la cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion péda­go­gique et cultu­relle “J’ai un peu d’avance – Le grand bate­lage des seniors”. À bord d’une péniche, il est ques­tion de digni­té, d’initiatives citoyennes en faveur des ainés, de trans­mis­sion de mémoire. Coups de cœur, coups de gueules, coups de crayons, sté­réo­types et rêves de « vieux ». À l’affiche, théâtre, danse, contes, films, cafés lit­té­raires, trucs et astuces bien-être…

Programmation détaillée et dates de tournée sur www.jaiunpeudavance.be

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