C’était il y a vingt ans. Testament, groupe de Thrash Metal américain, dévoilait son sixième album studio, Low. Sur les douze titres que contient cet opus, un morceau ressort du lot : Trail of Tears. Non seulement il met de côté la vitesse d’exécution propre au genre, mais il révèle aussi une part de l’héritage culturel du chanteur, Chuck Billy. Sa mère était en effet mexicaine, son père un natif américain.
Un petit retour dans l’histoire parfois peu glorieuse des États-Unis s’impose. Le 28 mai 1830, Andrew Jackson, le président de l’époque, signe l’Indian Removal Act. Il s’agit là d’une loi qui ordonne la déportation des natifs américains vivant dans les territoires situés entre les treize États fondateurs et le Mississippi vers des plaines au-delà de ce fleuve. Soixante-mille d’entre-eux doivent quitter leurs terres, qui seront ensuite offertes à des colons. Un épisode tragique du peuple amérindien, entre 4 et 8.000 personnes y laisseront leur vie, dont l’histoire se souviendra en l’appelant la « Piste des Larmes », Trail of Tears dans la langue de Shakespeare.
Quelques envolées suaves à la guitare démarrent la ballade, avant que Chuck Billy ne vienne y poser une voix chaude et empreinte d’émotions. « So far away, the spirits will guide you / No more sorrow / Don’t look back, your freedom will follow / Flying so free / Can’t you see, on the trail of tears ». Ces mots auraient également pu être ceux d’un·e Palestinien·ne, résistant depuis des décennies face à l’invasion sans cesse grandissante des colons sionistes. Bien que séparés géographiquement, ces deux peuples se considèrent d’ailleurs unis par certaines facettes douloureuses de leur histoire. C’est dans cet esprit que Mahmoud Darwich, célèbre poète palestinien, écrira le Discours de l’Indien Rouge en 1992. Dix ans plus tard, Gyasi Ross, écrivain, journaliste et avocat amérindien, rédigera à son tour un texte concernant l’occupation israélienne qui suscite chez lui « un sentiment de fraternité pour mes frères et sœurs de Gaza et de Cisjordanie. C’est un sentiment primaire et viscéral : la peur. Une peur qui vient de la prise de conscience que ce qui arrive à un groupe d’opprimés va inévitablement arriver à d’autres. »1
Mais la reconnaissance vient parfois de l’intérieur. En 2013, Jim Frazier, membre démocrate de l’Assemblée de l’État de Californie, a honoré le parcours de Chuck pour son aura positive sur la communauté native américaine et sur le public en général. En évoquant le musicien, qui a passé une bonne partie de sa jeunesse dans une réserve indienne au nord de San Francisco, Frazier a indiqué que « le monde de la musique était riche de pouvoir comporter en son sein des personnes aussi créatives et talentueuses et dont le travail améliore la qualité de vie de celles et ceux qui ont la chance d’avoir pu entrer dans leur sphère d’influence »2
Une schizophrénie politique qui déchire de plus en plus l’Amérique sur le plan politique. Le 9 février 2019, Elizabeth Warren, démocrate se réclamant de descendance améridinienne, a confirmé sa candidature à la présidentielle américaine de 2020. La réaction de Donald Trump ne s’est pas faite attendre, décochant à l’occasion un sulfureux tweet : « Aujourd’hui, Elizabeth Warren, parfois surnommée Pocahontas par moi-même, a rejoint la course à la présidentielle. Se présentera-t-elle en tant que notre première candidate amérindienne ou a‑t-elle décidé qu’après 32 ans, il était temps d’arrêter de jouer ? À plus sur le SENTIER de la campagne, Liz ! » En plus du fait que cette remarque était sexiste, raciste et gratuite, le Président a également cru de bon goût de mettre en lettres capitales le mot « sentier ». Trail en anglais. Tourner en dérision, à des fins personnelles et électoralistes, un épisode tragique ayant coûté la vie à des milliers de personnes n’est qu’un exemple parmi tant d’autres indiquant que la fibre humaine de cet homme est, elle aussi, en voie de disparition.
- Gyasi Ross. « Why I, as a Native American, support the Palestinian people », The Progressive (24 juin 2002).
- « Assemblyman Jim Frazier Honors Chuck Billy of Thrash Metal Band Testament. » (7 juin 2013)