Rodney William, dans son ouvrage traduit du brésilien par Anacaona Editions, se donne la délicate tâche de définir les contours de la notion de l’appropriation culturelle. Quelle est la différence entre l’acculturation ou le mélange des cultures, aux connotations plutôt positives, et l’appropriation culturelle, entendue comme un processus qui vide des éléments culturels de leur signification ? L’auteur s’appuyant sur différentes définitions de l’idée de « culture », de Levi-Strauss à Stuart Hall, en passant par Frantz Fanon, Geertz ou Munanga, et sur des mythes de la cosmologie africaine, rappelle que s’approprier une culture ne peut être considéré comme un simple effet de mode alors même que les individus, dont cette culture constitue l’identité, se voient par ailleurs niés dans leur possibilité d’exprimer et de vivre cette culture, et ainsi de jouir pleinement de leur humanité. C’est le cas notamment des afro-descendants brésiliens ou des peuples autochtones d’Amérique Latine. Rodney William nous rappelle en outre le contexte capitaliste mondial qui, à la logique de l’échange et de la circulation, privilégie celle de l’accumulation et de l’exploitation transformant en profondeur les modes de sociabilité. Lorsque le marché, et les valeurs culturelles dominantes qu’il véhicule, s’approprie des traits culturels d’un groupe de population, c’est le plus souvent sur un mode qui ne permet pas la reconnaissance et la juste rétribution de cette population, souffrant le plus souvent de discrimination et d’une absence de visibilité.
Plutôt que de tourner en rond pour se demander ce qu’on a le droit ou pas le droit de faire, plutôt que de s’insurger de manière stérile sur une soi-disant mauvaise tendance au politiquement correct, Rodney William nous invite ici à faire preuve d’intelligence et de considération pour les contextes souvent inégalitaires et violents qui sont la toile de fond des « échanges » culturels. Les productions culturelles sont pour certaines chargées d’histoire, de résistance et de spiritualité et il est du devoir de chacun·e de se renseigner et en prendre la mesure.
Valentine BonomoL’appropriation culturelle
Rodney William
Anacaona, 2020.