Quelle appréciation portes-tu sur l’initiative Collectif Roosevelt qui veut construire une alternative au capitalisme mondialisé dominant aujourd’hui ?
Le « Collectif Roosevelt » est une initiative d’une grande importance. Il se distingue par une capacité de propositions concrètes, soutenues par des analyses qui ne le sont pas moins. L’indignation est bien sûr utile et nécessaire, mais pour être opérante elle doit apporter des solutions précises aux problèmes qui agitent le débat public et politique. Les partis politiques progressistes et les organisations de travailleurs ont cette capacité de propositions. On leur reprochera cependant toujours d’être de parti pris, contrairement aux multiples think thank qui sous couvert de neutralité distillent dans les médias des recettes libérales ou néo-libérales.
Que le « Collectif Roosevelt » existe montre qu’une autre voie est possible, que la marche triomphante du capitalisme mondialisé (ou du moins qui se veut triomphante) n’est pas une fatalité. Mais pour cela, il faut penser et proposer. C’est ce que fait le « Collectif Roosevelt » en apportant des propositions concrètes en matière de dette publique, de paradis fiscaux, de fiscalité, d’emploi, de lutte contre la pauvreté, de réforme du système financier pour ne citer que quelques exemples.
Parmi les propositions du Collectif, la réforme de l’architecture institutionnelle de l’Union Européenne est essentielle. Y a‑t-il un chemin qui peut conduire un jour à une harmonisation fiscale et sociale ?
La question de l’harmonisation fiscale et sociale est exemplative du déficit de la construction européenne. Ne tournons pas autour du pot : nous avons créé une grande zone de libre échange entre Etats dérégulée du point de vue fiscal et social (pour le fiscal on concédera une exception pour la fiscalité indirecte, TVA plus particulièrement). Il est consternant d’observer qu’aujourd’hui à l’intérieur de l’Union européenne, le dumping fiscal et social est la règle. Les Etats européens se siphonnent leurs économies respectives par des pratiques fiscales et sociales qui n’ont rien de commun. Je ne tournerai pas autour du pot : l’Union européenne est aujourd’hui un marché de dupes sauf pour la circulation des capitaux.
Ajoutez à cela une union douanière qui défend très mal nos travailleurs et nos entreprises contre le dumping fiscal, social et environnemental du reste du monde et vous comprenez assez rapidement d’où viennent nos maux économiques et sociaux.
Mais il n’y a pas que la fiscalité, les lois sociales ou le droit du travail : il y a aussi les pratiques salariales qui varient d’un pays à l’autre et qui assurent une « concurrence » désastreuse entre États.
À cela, les forces politiques de droite crient en chœur qu’il nous faut nous adapter à la concurrence mondiale, comprenez réductions d’impôts, détricotage de la sécurité sociale et baisses de salaires… Seul un changement radical d’option politique au niveau européen nous permettra d’éviter que l’Europe ne soit l’éteignoir de nos modèles sociaux. Une victoire de la gauche en 2014 permettrait peut-être d’inverser la tendance. Pour cela, il nous faudra expliquer, partout en Europe, qu’aujourd’hui l’Europe ne protège pas les travailleurs et que c’est à eux de faire un choix décisif pour une autre Europe. Mais pour l’instant, en ce compris au Parlement européen, l’Europe penche à droite.
À ce niveau, l’harmonisation fiscale et sociale est un bien sûr une nécessité pour les rapports intra-européens, mais il faut bien plus en particulier sur le plan des pratiques salariales et du droit du travail.
Comment évolue le projet de séparation des banques de dépôt des banques d’affaires dans notre pays ?
Le Gouvernement a chargé la Banque nationale (BNB) de lui fournir un rapport avant la fin de l’année, pour avancer sur la séparation des métiers bancaires, en tenant compte de l’évolution des travaux au niveau européen. Le Commissaire Barnier sur base du rapport Liikanen devrait formuler une proposition à la rentrée 2013.
À ce stade en tout cas, le Gouvernement belge reste fidèle à l’accord de gouvernement : la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires devra s’opérer.
De nombreux rapports (Volcker, Vickers, Liikanen) – ce qui embrouille un peu le débat – ont montré qu’il y avait plusieurs approches pour y arriver : le cantonnement, la séparation juridico-économique stricte, l’interdiction de faire de la spéculation pour compte propre, etc…
Le rapport Liikanen, qui est la pièce centrale pour les débats à venir, propose que la séparation ne soit obligatoire que lorsque les activités de trading atteignent un certain seuil, absolu ou relatif (par rapport à l’activité de la banque). Nous verrons ce que propose la Commission. Mais il est temps d’atterrir, même si on peut comprendre qu’il s’agit là d’une réforme structurelle de grande ampleur qui ne doit pas s’improviser. Je considère pour ma part, que l’on commettrait une erreur en autorisant encore les banques de dépôt à faire de la spéculation pour compte propre.
La priorité est bien sûr de « sanctuariser » l’épargne et d’éviter que l’économie réelle ne soit contaminée par les dérives de la spéculation.
Par quelles mesures peut-on envisager un rééquilibrage entre la fiscalité pesant sur le travail et celle pesant sur le capital ?
C’est un vaste sujet ! Pour aller à l’essentiel, il faut d’abord élargir l’assiette de la fiscalité à des revenus financiers qui y échappent ou qui n’y sont soumis que de manière très marginale : les plus-values sur actions réalisées par les particuliers, les stocks options (qui sont fiscalisés mais de manière forfaitaire et sans tenir compte de l’enrichissement réel), etc…
Le gouvernement a pris des mesures qui vont dans ce sens, en rehaussant le précompte mobilier applicable aux revenus financiers, en fiscalisant pour partie les plus-values réalisées par les sociétés, en relevant le taux de la taxe sur les opérations de bourse, etc…
Lorsque l’on parle de la fiscalité sur le capital, on parle aussi de l’impôt des sociétés dont on voit bien aujourd’hui qu’il est bancal : les PME, qui ont peu d’échappatoires, paient en général le tarif plein contrairement aux très grandes sociétés qui font le plein de déduction et qui sont friandes de planification fiscale (aux limites parfois de la légalité). Il y a là aussi un rééquilibrage à faire, notamment en recyclant complètement les intérêts notionnels. Il nous faut un pacte économique et fiscal avec le monde de l’entreprise afin de soutenir l’investissement productif et l’emploi, dans un cadre intégrant le développement durable.
Enfin, je suis favorable à un impôt de solidarité sur les plus grands patrimoines (en dehors de la maison d’habitation et du patrimoine affecté à une activité professionnelle).
La publication par un collectif international de journalistes des paradis fiscaux peut-elle aider le politique à les combattre plus efficacement ?
Oui, c’est bien sûr très utile politiquement pour amener les récalcitrants, ceux qui font obstruction à la lutte contre la fraude fiscale, à prendre attitude. Ce n’est pas une surprise, on connaît depuis longtemps l’effet nocif des paradis fiscaux et bancaires pour nos finances publiques. L’ « off-shore leaks » aura permis d’informer l’opinion publique sur l’ampleur du phénomène.
Il appartient maintenant aux Ministres en charge de réagir et de prendre les mesures nécessaires. Ce sera au cœur de mon travail parlementaire, dans les jours à venir, de veiller à ce que le soufflé ne retombe pas !