Est-ce que tu pourrais rapidement retracer ton parcours musical ? Ton évolution personnelle depuis tes débuts en 1996, seize ans de carrière déjà ?
J’ai commencé en 1996. Mais j’écrivais déjà des chansons à l’école de théâtre, il y avait là une direction d’école qui poussait beaucoup à la création personnelle.
J’ai attendu deux ou trois ans avant de réaliser mon premier album, d’être capable de penser la manière de le concevoir. Le premier album fut en solo, au piano-voix. Puis avec mon compagnon Koen Gisen nous avons continué l’aventure, si bien que nous avons conçu cinq albums, gardant toujours à l’esprit de nous investir personnellement. Koen en tant que producteur, ensuite nous avons créé notre propre studio. Le but recherché et avoué était d’espérer une longue carrière et une autoproduction qui nous permettraient de fonctionner avec une totale liberté artistique. Indispensable à nos yeux.
Pourquoi as-tu appelé ton tout nouvel album « Strange days » ?
Parce que l’on vit dans d’étranges périodes. C’était aussi avant le 21 décembre 2012, la fin du monde prédite par les Mayas ! [Rires]
Tu reviens avec un album en solo, abouti et plus personnel. Quels en sont les grands thèmes ?
Il y a de grands thèmes, des chansons sur les relations humaines, sur la guerre, une chanson notamment sur la Première Guerre mondiale et une autre sur la Deuxième. Des moments de l’Histoire que je trouve particulièrement effrayants.
Pourquoi la Première Guerre mondiale, si loin de ton époque ?
C’était tellement absurde. La mise en place d’une véritable machine de guerre, toute une génération de jeunes hommes qui devaient se battre baïonnette en main… Des images, des histoires me traversent l’esprit : les attaques de gaz, les tranchées.
Et c’est cela que tu racontes dans tes morceaux ?
Oui, « Secret Thoughts » c’est un peu tout cela. Ce sont des images qui me viennent, comme celles que tu vois dans les films. C’est un soldat qui se rend à l’hôpital, des images très « disproportionnées » par rapport à ce qui s’est passé.
Oui, ça me poursuit. Et la seconde chanson « Suburban Skies » évoque les bombardements de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand tu te plonges dans la lecture des livres de Stefan Zweig, ce fils de riche industriel israélite, romancier, nouvelliste et dramaturge ou Gregor Von Rezzori, cet écrivain autrichien, tous les deux présentent Dresde comme une ville culturellement très développée, dotée de nombreuses nouveautés, très avant-gardiste. La communauté juive y était très intégrée. Et puis, un battement de cils a suffi et tout a changé, tout a basculé. À l’Est, s’élevaient des villes très florissantes et il n’en reste rien. J’estime cela tellement étrange, je me dis que ces faits pourraient se passer ici aussi et beaucoup plus vite qu’on ne le pense. J’avoue que cela m’effraie. D’où cette nécessité de déposer sur le papier avec des notes ces deux morceaux.
C’est une façon de mettre tes peurs, tes angoisses en musique ?
À vrai dire, j’exprimais ce besoin comme nécessaire. Nécessaire d’aborder ces moments de l’Histoire. Mais c’était tellement éloigné de moi, que les images devaient me coller, venir à moi. J’ai lu des choses terribles sur les pilotes qui bombardaient Dresde. Nous nous sommes même produits en concert à Dresde, c’était une sensation étrange. Dans une sale guerre, il est trop facile de dire qui sont les bons, qui sont les mauvais. Je pense que si j’analyse les faits d’un point de vue humain, qu’ils soient dans l’avion ou dans la cave, ces jeunes hommes reçoivent et obéissent aux ordres de leur supérieur. Ils sont l’un comme l’autre très angoissés, ont la même peur au ventre, les mêmes suées froides, les mêmes tremblements. Ils souffrent à l’idée de ne plus jamais revoir ceux qu’ils aiment. À quoi se mesure l’humanité dans ces cas-là ? Tous les Allemands n’étaient pas des bourreaux, des soldats sont devenus fous, ont commis des atrocités, ont vu des choses, connu des blessures insoutenables. Oui, vraiment la condition humaine me fascine.
En dehors de ces deux thèmes, il y en a quand même d’autres, moins sombres ?
Les choses les plus gaies sont des chansons qui n’ont pas été mises dans cet album. Parfois j’en crée de super légères. Je signe rarement des chansons qui ne sonnent que lalala, il y a toujours une touche humaniste.
Je me suis permis une chanson « rose » sur ma petite fille âgée de trois ans. Cette chanson est aussi une recherche tournée vers le désir de maternité, cet amour inconditionnel. Selon moi, cela doit encore mûrir, c’est beaucoup plus profond que l’on ne le pense. Le statut de mère t’oblige inévitablement de voir les choses d’une tout autre manière, l’influence est certaine.
Que racontes-tu dans cette chanson ?
Elle immortalise l’instant d’être là avec un bébé. L’impossibilité de garder éternellement cette fraction d’amour. Il passe, très vite il ne t’appartient plus. Vivre avec un petit être qui grandit si vite, c’est plein d’enseignements. En même temps, il faut s’adapter constamment, c’est une véritable recherche le pouvoir de vivre ensemble. Et puis un jour, je le sais, l’adolescence te tombe dessus sans prévenir et là tous tes câlins spontanés sont mis en général au rencart ! Mais c’est passionnant la maternité !
Quand tu es sur scène, il t’arrive parfois de changer des phrases ou du texte en fonction de ton humeur du moment ou du public que tu as devant toi, pourquoi ?
Souvent, car il m’arrive d’oublier les paroles et là j’ouvre la petite porte de mon inconscience pour sauver la situation, mais ce n’est jamais volontaire. Surtout en solo quand je commets des fautes musicales, je peux alors partir dans tous les sens ! Un vrai feu d’artifice.
C’était un besoin de réaliser un album toute seule maintenant, une façon de te retrouver ?
Oui, mais il est né également d’une opportunité qui s’offrait à moi. Mon compagnon et complice du début Koen Gisen a énormément de travail en tant que producteur. Donc j’ai décidé de la jouer en solo.
Une question un peu plus politique : est-ce que tu te considères comme une artiste avant tout flamande, une artiste belge ou européenne ?
D’abord, sincèrement très Belge, car j’aime beaucoup le petit triangle très absurde que représente la Belgique.
Tu es originaire de Deurne ?
Oui, d’Anvers. Mon grand-père était francophone, il a acheté une maison en Ardennes. J’ai dès lors grandi entourée de beaucoup de copines francophones.
En tant qu’artiste, qu’est-ce qui te plaît le plus en Flandre ? Une caractéristique particulière ?
L’avant-gardisme.
Et ce qui te dérange le plus en Flandre ?
Le repli identitaire au plan politique, je trouve cela très très con !
Tu le ressens très fort depuis quelque temps ?
Je le vois autour de moi. Pourtant, je suis très peu les faits politiques, par contre je trouve que les médias en font un peu trop, ils ont tendance à accorder trop d’attention à ce repli identitaire. Mais ma vie est bien trop remplie pour vraiment approfondir le sujet.
Qu’est-ce qui t’émeut le plus dans ta vie ?
Je pense que c’est la musique. Quand je joue de la musique et que tout va bien, quand je me perds, quand je m’oublie dans la musique, ce sont des moments magiques. J’adore être dans cet état.
Qu’est-ce qui te donne l’envie de te battre dans la vie ?
Je me bats vraiment pour mon intégrité, ma liberté artistique. Surtout ne pas me faire happer par le système de l’industrie musicale, essayer de résister à ce qui semble la bonne façon de connaître le succès. C’est quoi le succès ? Je ne cherche pas le succès, je veux que les gens m’apprécient pour l’essentiel. Ce n’est pas du snobisme. Un artiste doit faire ce qu’il sait faire. Quand tu écoutes bien Madonna, elle va chercher des influences dans toutes les choses nouvelles, elle fait son shopping par exemple chez Goldfrapp, elle se nourrit de l’originalité et de l’avant-gardisme chez d’autres artistes. Elle compose ce mélange pour un large public. Cela s’appelle aussi le talent ! Les penseurs originaux sont toujours là trop tôt…
Si tu n’avais pas choisi d’être chanteuse et musicienne, qu’est-ce que tu aurais voulu faire ?
Du théâtre. Je serais invariablement restée dans la fibre artistique.
Quelles sont tes références musicales ?
Je n’écoute pas beaucoup de musique, mais la musique de ma jeunesse m’a fort influencé. D’abord les tubes des années 80. À 12 ans, j’écoutais les premiers albums de Mylène Farmer. Je trouvais cela fascinant, nouveau, très « dark », c’est avec elle que j’ai découvert pour la première fois Baudelaire. Elle a réalisé des clips très cinématographiques. Ce fut aussi mon tout premier concert. Maintenant j’ai perdu de vue ce qu’elle produit.
J’aimais beaucoup les bandes sons des grands films français des années 70, puis plus tard j’ai écouté Talk Talk, Roxy Music, Robert Wyatt, Simple Minds etc.
Tu parles souvent de ton grand-père, c’est quelqu’un d’important pour toi ?
Oui, c’était un homme bizarre, très curieux. Dans les années 50, il explorait le côté technique des enregistrements en live. Il avait toujours à portée de mains des caméras vidéo, des photos. C’était furieusement son hobby.
Quel est ton plus beau souvenir d’enfance ?
Ce sont les Noëls chez les grands-parents. Nous étions tous réunis, étions nombreux. Quand on arrivait chez eux le soir de Noël, il n’y avait rien de déposé au pied du sapin. Et puis à minuit pile, on se levait, et la magie opérait, il y avait plein de bonbons, de cadeaux, de vieilles décorations de Noël. C’était féérique, vraiment. Aujourd’hui, la nuit de Noël, ma fille est complètement fascinée par les lumières et les boules de Noël, elle tient un peu de sa maman je crois !
Tu as beaucoup de dates de concerts en préparation ?
Je pars en tournée en France et en Hollande. Et puis, cela dépendra beaucoup de l’accueil et du succès de ce nouvel album.
Tu as une bonne relation avec ton public ?
Oui, j’adore faire des « live », beaucoup plus que les enregistrements. Les gens savent aussi que pour soutenir un artiste, il faut acheter son album, du coup je me dois de ne pas les décevoir sur scène. Les concerts dégagent tellement d’intensité.
La jaquette de ton album est particulièrement réussie ?
Oui, elle a été réalisée par Chris Berens, elle est le fruit du travail de ce peintre amstellodamois qui l’a spécialement conçue en écoutant ma musique. Le résultat est absolument magnifique. Ce n’est pas digital, c’est fait à la main. C’est impressionnant, il a travaillé pendant trois semaines jours et nuits pour vraiment s’imprégner de l’ambiance musicale de l’album. Chris Berens possède plusieurs galeries au Japon, sa grande amie, qui n’est autre que Debbie Harry (Blondie), est une grande collectionneuse de ses œuvres picturales. J’ai découvert émerveillée l’ampleur, le talent de cet artiste.