On réédite ces jours-ci les premières aventures de Barbarella, celles d’avant 68, l’année où Jane Fonda incarna le personnage de BD dans le film de Roger Vadim. L’année d’un certain mois de mai où l’on espéra enfin pouvoir jouir sans entraves et sans temps morts. Mais l’érection ne dura pas…
Jean-Claude Forest, scénariste et dessinateur de Barbarella, avait pourtant quelques longueurs d’avance, lui qui entama dès 1962 la publication de ce space opera pop dans les pages du trimestriel de charme V Magazine. Barbarella : femme libre, indépendante, maîtresse de son temps et de ses actes et surtout propriétaire inaliénable de son corps et des plaisirs multiples que lui offre celui-ci. C’était l’érotisme érigé en valeur fondamentale, sans dieu, sans maître.
Au gré des péripéties, elle découvre des mondes nouveaux, des sociétés souvent cruelles et perverses dont elle réussit néanmoins à apaiser les citoyens tourmentés par sa seule sensualité, sa diplomatie charnelle. C’est que l’amazone intergalactique se dénude volontiers et son buste brandi comme un geste de vertu nous rappelle qu’elle est, peut-être, la femen originelle.
Alors c’est sûr, les censeurs n’encensèrent guère les expériences de Barbarella quand celles-ci parurent en volume en 1964 (au Terrain vague). L’œuvre fut interdite à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs. Les censeurs, c’est connu, ont le nez fin et la queue triste. Barbarella, elle, a le sexe joyeux, ouvert à toutes les contingences, humaines ou extrahumaines à l’occasion.
Cela n’en fait pas un démon pour autant. Et ce, même si depuis la Renaissance, l’Internationale des cons voudrait nous faire croire que la femme est un avant-goût de l’enfer qui attend chacun de nous. Du « sexocide » des sorcières (en gros du 16e au 18e siècle) jusqu’à nos sociétés lourdement machistes, rien n’a vraiment changé. L’homme, dans son délire prométhéen toujours avivé, entend dominer la Terre et la femme ; c’est pourquoi il viole l’une et l’autre sans distinction.
Relire Barbarella aujourd’hui, même si l’œuvre est finalement modeste, nous rappelle combien nos existences restent conditionnées par des rapports hommes-femmes extrêmement injustes, dont le symptôme principal est cette anorexique « journée de la femme », qui serait risible si cela ne servait de cache-sexe à l’inévitable catastrophe qui nous attend. Parce que, quoi qu’en disent les thuriféraires de l’ordre marchand, nous ne masquerons plus très longtemps notre incapacité à construire un monde différent à l’aide de ces postures de mâles triomphants qui se manifestent chez le premier crétin venu au volant d’une 4x4 ou chez l’homme politique le plus insignifiant, fut-il Président d’une république en pleine débandade… Sans parler des affreux, hystériques et sanguinolents, qui repoussent chaque jour les limites de l’abjection pour le seul plaisir de se sentir… quoi ? Des hommes ? Des pesticides, voilà ce qu’ils sont en vérité.