Ce qui n’est pas nommé n’existe pas… Oserions-nous également dire que ce qui n’est pas chiffré n’existe pas ? Depuis quelques années, la question des règles et de leur coût fait l’objet de nombreuses études à travers le monde. En moyenne, les premières règles apparaissent entre 11 et 14 ans pour durer jusqu’à la ménopause, qui survient entre 45 et 55 ans. Les femmes ont donc leurs règles durant 39 années, ce qui correspond, en moyenne à être réglées environ 500 fois durant leur vie. Si l’on souhaite chiffrer le nombre de femmes touchées, cela correspond environ à un quart de la population dans les pays occidentaux. Or, être réglée entraine des coûts qui peuvent se révéler accessoires pour certaines personnes mais beaucoup moins pour celles qui vivent en situation de précarité. En France, au Royaume-Uni ou encore en Belgique, la presse et des associations ont tenté d’estimer le budget que cela pouvait représenter pour les femmes. Au Royaume-Uni, selon une enquête de la BBC, ce coût s’élèverait à 1432 livres sterling (1626 euros) alors qu’en France, d’après le quotidien Le Monde, cette estimation prenant en compte, outre les protections intimes, toutes les dépenses parallèles, s’élève à 5864 euros. En Belgique, le Centre d’Action Laïque a fait sa propre estimation en se calquant sur un calcul global pour aboutir au montant de 5300 euros pour 38 années de menstruations, créant de véritables inégalités financières entre les personnes menstruées et celles qui ne le sont pas.
La précarité menstruelle, késako ?
Il s’agit de la difficulté ou du manque d’accès des personnes réglées aux protections périodiques en raison de leur manque de moyens financiers. Qui dit coût financier dit inévitablement précarité accrue pour les personnes vivant dans la pauvreté, d’où ce concept de « précarité menstruelle » apparu en 2015 en France et dénoncé à cette époque par le collectif Georgette Sand qui a mobilisé l’ensemble du paysage associatif autour de la taxe sur les protections menstruelles, appelée « taxe tampon ». Cette mobilisation a ensuite percolé et traversé les frontières françaises. La précarité menstruelle résulte également du manque d’information et d’infrastructures adaptées. À travers le monde, une femme sur dix ne pourrait pas avoir accès à ces produits. Dans nos pays occidentaux, les femmes sans-abris, les personnes précaires et les étudiantes sont les plus touchées en raison du budget nécessaire à l’achat de ces protections. Les femmes cisgenres, les personnes non-binaires et les hommes trans sont également touché·es par la précarité menstruelle. Dans le monde, jusqu’à 500 millions de personnes vivent dans la précarité menstruelle, selon diverses études. Ce manque d’accès aux protections intimes peut avoir des conséquences extrêmement néfastes, tant en termes de santé qu’en termes d’éducation. Le défaut d’hygiène peut entraîner démangeaisons et infections pouvant aller jusqu’au choc toxique et entrainer la mort. Au Royaume-Uni, les jeunes filles réglées s’abstenant d’aller à l’école faute de protection hygiénique manqueraient en moyenne 145 jours d’école en plus que leurs homologues masculins. Et ne parlons pas des femmes sans domicile ou incarcérées qui doivent aller jusqu’à l’utilisation de papier journal, de papier toilette voire même de bouteilles d’eau comme coupe menstruelle, faute d’accès à des protections intimes à des prix décents, voire gratuites.
Les associations proactives…
Comme c’est souvent le cas dans ce type de situation, c’est le secteur associatif et les citoyen·nes lambdas qui ont pris le problème à bras le corps, le monde politique ne montrant que peu d’intérêt pour la question jusqu’il y a peu, nous y reviendrons. En Belgique, et plus précisément à Bruxelles même s’il tend à étendre son action à la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est le collectif BruZelle qui est le plus actif. Créée en 2016 par Veronica Martinez et Valérie Machiels, inquiètes de la manière dont les femmes sans abris pouvaient se procurer des protections menstruelles, l’association s’est rapidement développée et est aujourd’hui bien connue de la population. Pour pallier au manque de politique publique, les deux femmes ont décidé de mobiliser les citoyen·nes, les entreprises et les associations pour récolter des serviettes hygiéniques qu’elles compilent dans des trousses en tissu, elles aussi réalisées par des citoyennes (tiens, tiens, encore des femmes à la manœuvre…). Ces trousses sont ensuite redistribuées lors de maraudes effectuées par les membres de BruZelle, des bénévoles ainsi que par des institutions travaillant avec des personnes précarisées.
Dans la région liégeoise, ce sont les Centres de Planning Familial qui ont lancé le projet « Sang Souci » qui consiste en une action de récolte de serviettes et de tampons hygiéniques, l’occasion pour eux de sensibiliser à la précarité menstruelle tout en apportant une aide matérielle concrète aux personnes concernées. Toujours à Liège, les étudiantes peuvent obtenir gratuitement des protections menstruelles à l’initiative des Femmes Prévoyantes Socialistes. Toutes ces initiatives vont dans le bon sens, mais encore une fois, est-ce aux citoyen·nes de palier à un problème de santé publique ? De la même manière que cela a été abondamment questionné pour la création de masques au début de la crise de la Covid, est-ce encore aux femmes (car, faut-il le préciser, BruZelle et les associations susmentionnées travaillent essentiellement avec et pour les femmes) à devoir gérer ce que nos gouvernements « oublient » ou refusent de prendre en compte ?
…les gouvernements à la traine ?
Et d’ailleurs, iels en sont où, nos gouvernant·es ? En Écosse, pays précurseur sur la question, une proposition de loi sur l’accès gratuit et universel des protections périodiques a franchi la dernière étape parlementaire en novembre 2020. Dorénavant, le gouvernement écossais doit permettre à quiconque ayant besoin de tampons ou de serviettes hygiéniques partout dans le pays de les obtenir gratuitement. Les écoles, lycées et universités doivent mettre à disposition gratuitement une gamme de protections périodiques dans leurs toilettes. En Belgique, les politiques sortent doucement du bois. Alors que la précarité menstruelle et le coût des produits liés aux protections périodiques font débat au sein de la société, la « taxe tampon » a été supprimée en juillet 2018 grâce au combat et à la mobilisation du collectif « Belges et Culottées ». Les tampons, protèges-slips et autres coupes menstruelles bénéficient depuis d’une TVA à 6 %. Bien, mais encore ? Margaux de Ré, députée écologiste, a déposé une proposition de résolution dont le texte demande au gouvernement d’étudier l’impact budgétaire de la mise à disposition des protections périodiques dans l’enseignement obligatoire et supérieur, ainsi que le soutien à la mise en œuvre d’un projet pilote dans les établissements scolaires avant fin 2021. Au niveau fédéral, la ministre de la lutte contre la pauvreté Karine Lalieux versera un subside de 200.000 euros destiné à lutter contre la précarité menstruelle sur le territoire belge. Il s’agit d’un projet porté sur le terrain par le Conseil des Femmes Francophones de Belgique et de son pendant néerlandophone, le Vrouwenrade. Les deux entités ont pour objectif de mettre en place des lieux de récoltes et de distribution dans plusieurs villes à travers le pays, mais aussi de créer des moments de sensibilisation pour travailler aux tabous encore très ancrés sur la question des menstruations. Des objectifs clairs et précis ont été posés : identifier les besoins pour une action locale et adéquate vers les publics cibles, sensibiliser et faire de la prévention auprès des publics concernés mais aussi des interlocteur·trices dans les domaines tels que le social, l’enseignement ou encore la santé. Le subside permettra en outre l’achat et la distribution de matériel menstruel adapté via les associations de terrain. Un premier pas dans la bonne direction, mais on n’est, vous en conviendrez, encore loin du compte…
Ces propositions ne font que pallier l’urgence, et n’envisagent encore aujourd’hui aucunement une union des forces en vue d’un réel changement sociétal à l’égard de cette problématique qui va beaucoup plus loin que la simple question des protections périodiques. En effet, de nombreuses femmes déclarent avoir déjà été contraintes de choisir entre acheter des protections hygiéniques ou s’alimenter, d’autres disent avoir déjà manqué le travail ou un rendez-vous faute de protection et la question des règles reste taboue dans notre société. Il ne faut en outre pas oublier les alternatives écologiques et économiques, telles que la cup menstruelle, pour lesquelles divers aménagements sanitaires seraient nécessaires. Les promouvoir sans adapter les installations sanitaires dans les entreprises, les écoles ou encore les lieux publics ne fait aucun sens. Même si en Belgique, nous avons passé le cap de penser qu’une femme réglée pourrait faire tourner la mayonnaise, il serait trop facile de dire que le tabou est complètement tombé. Les choses évoluent, certes, mais ce n’est pas encore la panacée.
Nous sommes encore aujourd’hui inégales face à l’information obtenue et à la démystification de certaines croyances liées à nos menstruations en fonction de notre éducation et de notre culture. D’où l’importance d’identifier les différents niveaux d’information des différents publics, l’importance, encore et toujours, de labelliser l’EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et d’y inclure ces questions de précarité menstruelles, de… la liste est longue comme le bras, et il faudra bien davantage que le faible lobbying politique actuel pour y faire face.
Itinéraire de la « Taxe tampon »
Jusqu’en 2018, les protections menstruelles étaient taxées à 21 % alors que tous les produits de première nécessité étaient taxés à 6 %. Une incohérence et une discrimination contre lesquelles le collectif « Belges et Culottées » a lutté durant de nombreuses années, dénonçant le fait que les tampons, serviettes hygiéniques et autres coupes menstruelles soient considérés comme des produits de luxe. Iels ont milité pour que ces produits soient moins taxés voire pas taxés du tout, avec pour slogan « Que le gouvernement cesse de se mêler de ce qui se passe dans notre utérus ». En décembre 2016, le ministre des finances a annoncé la fin de cette « taxe tampon ». Après plus d’un an d’attente, sans nouvelles, le collectif s’est remobilisé avec le soutien de Test-Achats et une nouvelle sollicitation à l’égard de la presse pour enfin voir annoncer la promulgation du texte pour janvier 2018.