[COVID-19] Célébrer d’autres jours fériés

Par Jean Cornil

Illustration : Vanya Michel

Sup­po­sons que le monde d’après soit dif­fé­rent de celui d’avant, Like never before.

Sup­po­sons un bas­cu­le­ment cultu­rel majeur, une sai­gnée dans nos repères tem­po­rels, une amné­sie col­lec­tive d’un pas­sé qui ne passe pas.

Sup­po­sons que nous soyons des his­to­riens, ayant per­du la mémoire.

Parions alors sur un effort col­lec­tif de remémoration.

Pour nous y aider, petite pro­po­si­tion d’un mélan­co­li­co-far­ceur : modi­fier cer­tains jours fériés.

Quelque furent le tra­gique abso­lu, la somme de souf­frances, insou­te­nables, des guerres mon­diales du siècle der­nier, et la néces­si­té abso­lue d’en gar­der un vif sou­ve­nir, pour­quoi ne pas com­mé­mo­rer, en plus ou à la place de, au choix, d’autres dates que celles du 11 novembre et du 8 mai.

Par exemple, le jour où Ignace Phi­lippe Sem­mel­weis, un méde­cin en poste à Vienne, découvre les ver­tus du lavage sys­té­ma­tique des mains avec un mélange dés­in­fec­tant. Il sera reje­té par un corps médi­cal conser­va­teur mais réha­bi­li­té dans la pre­mière par­tie du XXe siècle par un jeune étu­diant en méde­cine, appe­lé à mar­quer, de manière sul­fu­reuse, la lit­té­ra­ture fran­çaise : Louis Fer­di­nand Céline…

Cette étape déci­sive, d’une impor­tance cru­ciale, de l’hygiène date de mai 1847, le jour pré­cis étant impos­sible à déter­mi­ner. Après la fête des tra­vailleurs, on pour­rait arbi­trai­re­ment déci­der que le hui­tième jour de ce « joli mois » honore aus­si un évè­ne­ment, certes moins spec­ta­cu­laire que la fin d’un conflit armé, mais déter­mi­nant dans l’amélioration de la san­té des humains. L’asepsie vaut autant qu’un armistice.

Autre exemple signi­fiant pour le monde post-Covid : la célé­bra­tion du moment où Louis Pas­teur invente la vac­ci­na­tion en s’opposant à Georges Cle­men­ceau sur l’origine des microbes. Ain­si le 6 juillet 1885, un Alsa­cien de 9 ans, Joseph Meis­ter, mor­du par un chien, et mal­gré les contro­verses sur la vac­ci­na­tion pra­ti­quée par Pas­teur sur l’enfant, ne déve­lop­pe­ra jamais la rage.

On pour­rait mul­ti­plier les célé­bra­tions des coups de génie scien­ti­fique par d’audacieux savants : Alexandre Fle­ming et la péni­cil­line, Albert Sabin et le vac­cin contre la polio, Alexandre Yer­sin, héros d’un mer­veilleux roman de Patrick Deville, et la décou­verte du bacille de la peste… Tant d’autres, dis­crets tâche­rons de la lutte contre les infec­tions sont res­tés dans l’ombre de l’Histoire sanitaire.

Mais, entre les jours de fêtes, chré­tiennes puis laï­ci­sées et les éphé­mé­rides toutes à la gloire des vic­toires mili­taires, il pour­rait res­ter dans le monde post-coro­na­vi­rus quelques gouttes de temps pour louer les sen­ti­nelles de notre santé.

« Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir » (René Char)