La déferlante du « printemps arabe » n’a pas épargné le pouvoir syrien, confronté aux revendications populaires de justice et d’égalité. Les premières manifestations eurent lieu en mars 2011 et se sont prolongées jusqu’à aujourd’hui, de manière de plus en plus violente. Au départ intra-syrienne, cette violence s’est internationalisée et confessionnalisée.
L’un des facteurs complexifiant la résolution du conflit en Syrie est en effet lié à la transformation du territoire syrien en une terre de Jihad. Ainsi, peu à peu, ceux que l’on appellera « opposants » par souci de simplification, se sont vu rejoindre dans la cible de leurs revendications par des troupes djihadistes formées grâce aux nombreuses cellules de recrutement. Le phénomène s’étend à toute l’Europe et à la Belgique, d’où plus de 200 jeunes sont partis combattre en Syrie.
C’est la plus grande représentation nationale d’Europe proportionnellement au nombre d’habitants.
DES MOTIVATIONS SINGULIÈRES
Il est bien sûr difficile de dépeindre les motivations qui poussent ces jeunes, parfois sans lien avec la Syrie voire même le monde arabe, à partir combattre et mettre leur vie en danger.
L’une des clés de compréhension réside dans l’analyse du processus de radicalisation qui permet à certains groupes extrémistes de convaincre ces jeunes du bien-fondé de leurs propos, celui du Jihad et la promesse d’un au-delà meilleur.
Plusieurs facteurs peuvent faciliter la radicalisation dont la situation économique et sociale difficile ou les profondes inégalités sociales, réelles ou perçues. Ici, l’exclusion par rapport au groupe dominant induit une perte de repères et donc la quête d’un cadre normatif et identitaire stable.
L’idéalisme face à la situation injuste ressentie en Syrie, le besoin de se sentir utile et l’absence de repères sont autant d’éléments qui poussent ces jeunes à s’engager physiquement dans ce conflit.
LUTTE CONTRE LE TERRORISME OU LUTTE CONTRE LA RADICALISATION ?
Lutter contre la radicalisation et le terrorisme passe donc par la lutte contre les inégalités sociales qui induisent frustration et sentiment d’injustice. La prévention qui propose une stratégie de dé-radicalisation et la promotion de la justice sociale et économique constitue une véritable alternative. Cela signifie pour la Belgique, particulièrement touchée par les départs de jeunes en Syrie, de mettre en place des politiques qui visent réellement l’intégration sociale, économique et politique du plus grand nombre. Ce n’est qu’alors que nous pourrons construire un sentiment d’appartenance où la voie du dialogue peut véritablement prendre le pas sur celle de la violence.
Le cas de ces jeunes Belges doit être appréhendé comme le symptôme de malaises profonds qui appellent à une transformation radicale de nombreux aspects de notre vie en société. Les chiffres ne manquent pas (chômage, éducation, ségrégation socio-spatiale, etc.) et témoignent tous de la nécessité d’un développement sociétal différen. La CNAPD vient à cet effet de publier un outil pédagogique sur ce phénomène : « Ma ville, mon quartier. Déconstruire les discours simplistes. Ségrégation socio-spatiale et communautarisation ».
REDONNER À L’ENGAGEMENT SES TITRES DE NOBLESSE
Il convient également de se demander pourquoi la volonté de marquer son indignation par rapport au conflit syrien – et donc une certaine forme de solidarité – prend dans ce cas-ci la forme d’un engagement dans la lutte à mort. Les formes traditionnelles et démocratiques d’engagement solidaire sont-elles inadéquates ou inefficaces ? Le citoyen se sent-il à ce point dépossédé de ses moyens d’action ?
L’émergence dans le débat public de l’engagement de jeunes Belges en Syrie prouve en tout cas la nécessité d’accentuer l’importance de la mobilisation citoyenne (et de son écoute par les pouvoirs publics) et la promotion d’un engagement judicieux et légitime.
Le choix de ces jeunes engage aussi une réflexion sur le cadre politique et diplomatique dans lequel il s’inscrit. Nos sociétés occidentales sont promptes à militariser les réponses aux crises, à proposer des moyens violents pour atteindre les objectifs de paix et de sécurité. Le cas syrien n’échappe pas à la règle : pendant longtemps, les efforts diplomatiques n’ont pas été portés vers une résolution politique du conflit, mais plutôt vers l’exacerbation des tensions. Les appels à l’armement ou à l’intervention armée ont publiquement jalonné ces trois ans de crise syrienne. Quel exemple nos gouvernements ont-ils ainsi donné à nos jeunes ?
Guillaume Defossé est Président de la CNAPD