
Ce matin, comme tous matins, j’ai pris une douche – pas de bain, jamais de bain : ça consomme eau et énergie de façon irresponsable. L’eau est un peu fraiche, ça revigore et, bien entendu, le jet est économique – savez-vous que certains pommeaux de douche vous font économiser jusqu’à 40 % d’eau (ou alors 70 % selon les publicitaires) ? L’eau est chauffée par une chaudière à condensation dernier cri, qui fait économiser jusqu’à 30 % de gaz. Selon l’installateur, du moins.
D’ordinaire, je règle ma minuterie « douche » – un joli petit canard dont il faut quelque peu tourner la tête – sur 3 minutes : c’est bien suffisant, pour autant qu’on soit efficace du gant de toilette.
Tout guilleret, ravigoté par cet exercice matinal, je passe à la cuisine, 17° C° le matin puisque je vais incessamment la quitter – je prépare mon p’tit déjeuner – fruits et céréales bio, achetés en vrac, ça va sans dire. Vieux réflexe : j’allume la radio pour avoir les dernières nouvelles des nouvelles et je découvre que « J’ai un impact ». Ben, ouais, j’sais… Ah mais oui mais non : cette fois-ci, j’ai un impact sur la guerre en Ukraine. Là, pour le coup, mon moral en prend pour son grade : j’aurais pu prendre une douche de 2’30″, ne pas chauffer la cuisine, utiliser le micro-ondes ou, mieux, boire mon café froid : « Un café glacé pour les Ukrainiens », ça le fait, non ?.
Enfin : tout ça, d’après une grande campagne d’information lancée par le Gouvernement et qui, je cite, vise à réduire notre consommation de pétrole et de gaz afin de diminuer notre dépendance énergétique à la Russie et ainsi, « indirectement » aider les Ukrainiens. J’ai pas bien tout compris du raisonnement stratégique, mais par contre je sais à présent qu’en suivant les 5 conseils avisés de nos éminences, je vais sauver des Ukrainiens : promis, je m’y mets dès demain.
Et donc, puisque j’ai bien tout noté : je vais 1) baisser le chauffage de 1°C (« Encore heureux qu’on va vers l’été », comme disait l’autre), mettre le chauffage en mode nuit 1 heure plus tôt (j’vais plus trop avoir le temps de le mettre en mode jour), me déplacer autrement (facile : vélo, bus, train,…) et cuisiner malin – grâce à mon micro-ondes et à ma taque à induction –va me coûter un pont celle-là, mais que ne ferais-je pas pour l’Ukraine ?
Et enfin, pour me réchauffer, je vais partir à la chasse aux énergivores. Ah ça, pour un conseil, c’est un conseil ! D’autant qu’on m’a tout bien expliqué. Par exemple, j’ai tout de suite dégivré le congélateur et ce soir je le transporte à la cave puisque « Le saviez-vous ? La consommation énergétique du congélateur dépend de la différence avec la température extérieure. » Ah, sacristi !, faut une pièce non chauffée et la chaudière y est déjà, à la cave. Me reste à le mettre aux toilettes. Ca va être coton, mais je ne reculerai pas !
Ensuite, et un par un, je vais examiner tous « les énergivores qui, me dit-on, sont des appareils électriques qui consomment beaucoup d’énergie. » ça risque pas de me remonter le moral – c’est une intuition — je ne crois pas qu’ils soient tous étiquetés A+++. Mais au moins, je le saurai. Et quand je gagnerai au Loto, j’en changerai.
Y’a bien d’autres conseils « Le saviez-vous ? me demande-t-on, une maison bien isolée permet d’économiser jusqu’à 30 % d’énergie. » D’ailleurs, tout à fait cohérent, « le gouvernement fédéral a prolongé la TVA à 6 % pour la démolition et la reconstruction. » Ben là, bon, je vais réfléchir encore un peu : je suis en train de me demander si ma caravane, que je dois encore acheter, sera prête pour cet hiver quand on aura mis ma maison à bas, pour la reconstruire. J’imagine aussi qu’avec le progrès ça ne consomme rien en pétrole de démolir une maison pour la reconstruire isolée en mieux.
J’ai l’air de douter, mais en réalité, j’ai une confiance totale : un Gouvernement pareil ne peut pas se tromper. Sauver des Ukrainiens, même « indirectement », et le climat en même temps, c’est du génie ! Y’a qu’à voir d’ailleurs comment depuis la loi votée en 2003, ils ont géré la sortie du nucléaire pour comprendre…