Nous, les Humains, vivont, peut-être, en ce début de décennie 2020 du troisième millénaire de notre ère, un momentum historique dans l’odyssée de l’évolution qui a vu se succéder six révolutions de notre espèce.
Il y a trois millions d’années, au travers de processus complexes, nous sommes devenus humains, en adoptant la bipédie, en fabricant des outils, en devenant omnivores et en colonisant toute la planète.
Puis, entre ‑500.000 et ‑40.000 ans avant le Christ, le feu, le langage, l’art et la domination du Sapiens signent une révolution cognitive et symbolique déterminante.
Il y a 12 000 ans, la révolution néolithique, par l’invention de l’élevage, de l’agriculture, donc de la sédentarité, de la division du travail et des premières villes, entraîne un boom démographique majeur. Nous devenons des paysans.
Ensuite, il y a 2500 ans, pendant la période qualifiée d’axiale par le philosophe Karl Jaspers, naissent des empires et des religions à vocation universelle. Bouddha, Confucius, Zarathoustra, Esdras ou Pythagore éclairent une profonde mutation morale.
Au milieu du 18e siècle, la révolution thermo-industrielle sous ses aspects scientifiques comme énergétiques, unifie le monde sous l’hégémonie européenne et exploite de manière intensive toutes les ressources de la Terre. Nous devenons des ouvriers.
Enfin, aux alentours de l’an 2000, les nouvelles technologies, des sciences cognitives à la révolution numérique, connectent toute la planète en temps réel, entre espérances transhumanistes et surgissement de l’Anthropocène, nouvelle périodisation des âges géologiques de la biosphère.
Aujourd’hui, nous témoignons en contemporains de l’affolement du système-Terre et de l’accélération vertigineuse de tous les paramètres, humains, telles la démographie, l’urbanisation ou l’intensification du commerce, comme des indicateurs naturels, tels l’augmentation du dioxyde de carbone, le recul de la biodiversité ou l’acidification des océans, depuis le milieu du siècle dernier.
Au-delà de la présentation, simplifiée et caricaturée, de ces six révolutions, d’autres découpages de l’Histoire humaine, susceptibles de nuances et de raffinements coexistent dans un tourbillon chronologique, un vortex d’évènements, de crises, et de destins.
Ainsi, à choisir l’angle philosophique, on pourrait scander les étapes de la pensée européenne par la succession du principe cosmologique, celui des Grecs et des Romains, selon lequel le sens de l’existence réside dans la capacité à s’ajuster au Cosmos. Puis, selon le principe théologique, au travers de la révolution monothéiste, où « la vie bonne » consiste à obéir aux commandements divins. Ensuite vient le principe humaniste où le référent ultime est l’homme et non plus la nature ou Dieu.
Enfin, le principe de déconstruction met en évidence les forces nietzschéennes, les déterminismes marxistes et les pulsions freudiennes qui minent nos croyances à un libre arbitre, à un humain transparent à lui-même, à un être pleinement responsable.
En poursuivant, en ces temps tourmentés, la recherche d’un nouveau principe de sens, d’un paradigme fécond capable d’éclairer notre modernité, les anciennes représentations de monde se côtoient s’entrecroisent et se meurent dans notre présent.
Ainsi la célébration d’une certaine écologie suite au pillage des ressources, les regains de religiosité, les luttes pour l’approfondissement des droits humains, la dénonciation de l’inégalité mondialiste produite par la logique libérale productiviste ou les trop rares instants de lucidité critique.
L’actuelle pandémie sera-t-elle l’an 01 d’une nouvelle ère, dont les dates se révèlent certes toujours arbitraires et ethnocentrées ?
Deux millénaires et deux décennies après la venue d’un improbable prophète, le Christ ? Seize années après la naissance de Facebook qui révolutionna pour une part les rapports humains, si l’on voulait proposer un facétieux nouveau point de départ de l’Histoire,
Ou année zéro d’un sursaut planétaire et d’une prise de conscience de l’impérative nécessité d’un nouveau récit de l’humain relié à la biosphère ? Comme une septième révolution ? Délicat de sauter par-dessous son époque et de s’autoproclamer contemporain de l’aurore d’une séquence historique qui darde son museau,
A y réfléchir un peu, ce virus apparait comme en miroir de notre condition. Il inflige par sa réplication dans nos cellules ce que nous infligeons aux écosystèmes depuis que nous commençons à comprendre que l’information, cette entité vivante immatérielle, constitue, comme l’explique merveilleusement le naturaliste Pierre-Henri Gouyon, le fil de la vie1.
Jadis, tout fût forces, comme en témoignent les correspondances entre la physique de la gravité d’Isaac Newton, les logiques mécanistes et déterministes, la main invisible de l’économie classique ou la symbolique de l’horloge. Puis, tout fût énergie, comme le racontent les paradigmes de la thermodynamique, du matérialisme historique ou de la machine à vapeur.
Enfin, tout devînt information, de muscle au cerveau, de la pyramide au réseau, de la cybernétique à l’algorithme. PC ne signifie plus Parti Communiste mais Personal Computer. L’acronyme signe une révolution.
Nouvelles grilles de lectures du monde. Il n’y a pas de matière vivante, il n’y a que des systèmes vivants.
En ce sens, ce virus qui accapare toutes nos attentions depuis quelques semaines est l’emblème même d’une narration renouvelée de nos interprétations du réel. Cette petite molécule d’ARN, avant son suicide, « transmet ses dernières volontés sous forme d’un message qui réside dans la cellule infectée, cette dernière subissant un véritable viol », se met à répliquer l’information virale comme s’il s’agissait de l’information qui lui permet de se répliquer elle-même, écrit Pierre-Henri Gouyon2. Exactement comme un piratage informatique, ou comme les inquiétantes perspectives de l’intelligence artificielle,
Sommes-nous les témoins d’une septième révolution en cours, le nez trop plongé dans le guidon, l’œil éloigné des vertus du rétroviseur, où, peut-être pour la première fois dans la longue évolution de Sapiens, le cuisinier n’est plus inclus dans la recette de l’avenir ?
« Eveillés, ils dorment » écrivait le philosophe grec Héraclite,
« La vie est un rêve, ne me réveillez pas ! » affirme un proverbe,
A chacune et chacun de choisir comment il entend ouvrir l’oeil.
« Les hommes font l’Histoire sans savoir l’Histoire qu’ils font » (Karl Marx)
Un commentaire
A quand un mouvement de révolution !!!!