Été 1977, les troupes de l’Empire galactique entament la conquête de la planète Terre. Bientôt plus personne n’ignorera l’existence de Star Wars, la plus célèbre saga cinématographique contemporaine. Aujourd’hui, chez des millions d’individus à travers le monde, on trouve au moins une relique, un fétiche, un souvenir de la Guerre des étoiles : jouets, ustensiles de cuisine, t‑shirts, chaussettes pour enfant, sous-vêtements… Rarement la logique du merchandising (officiel ou pas) aura connu une telle apogée. Ces objets de la postmodernité ambiante, témoignent sans doute de notre nostalgie envers un futur qui n’adviendra pas. Parions qu’on en trouve même à Alep, sous les décombres ; ou en Corée du Nord, quelque part, cachés.
Mais parmi les personnages qui composent ce vaste space opera qu’est Star Wars, une figure s’est imposée dans l’imaginaire populaire au fil du temps, celle de Dark Vador (Darth Vader en VO), l’âme damnée de l’Empereur Palpatine, le Jedi renégat, héritier de la race des Sith. En 1997, pour la sortie de la version restaurée de la trilogie originale, c’est Vador qui figurera au centre du gigantesque marché des produits dérivés et des supports promotionnels. En vingt ans, le « méchant » avait acquis un succès délirant dans l’iconographie pop mondiale.
Étrange séduction du mal incarné, qui touche aux désirs obscurs présents en chacun de nous…
Mais le mal, en soi, ne fascinerait pas autant sans une dimension esthétique affirmée. Un pouvoir d’ensorcellement qui est lié à l’irruption de la photographie, du cinéma et de la bande-dessinée au début du 20e siècle. On pense à Fantômas porté à l’écran par Louis Feuillade dès avant la Guerre de 14, mais aussi à Dracula, au Comte Zaroff ou au Fantôme de l’opéra qui prennent corps dans les années 20 et 30. Des êtres distingués, inévitablement vêtus de noir, le noir profond, la couleur stéréotypée du mal. Celle qu’endossera Dark Vador, créature mi-homme mi-machine.
À la même époque, passant de la fiction au réel, des hommes de chair et de haine propageront leurs idées en arborant, eux aussi, les habits du mal : la chemise noire ou l’effrayant (bien qu’élégant) uniforme de la SS (créé par Hugo Ferdinand Boss, rappelons-le). Y aurait-il eu, quelque part, contamination entre le royaume imaginaire des personnages qui exploitent la fibre de nos fantasmes et cette réalité cruelle qui enfanta Hitler, Staline ou Pol Pot et qui continue à vomir les pires ersatz issus des enfers du totalitarisme ? En d’autres termes, la fascination-répulsion pour le mal esthétisé présageait-elle de ces engouements populaires nouveaux envers les dictateurs en puissance qui polluent notre actualité ?
Nous ne le pensons pas. Les masses qui offrent leurs suffrages à celles et ceux qui remplacent l’esprit par le propos viril et autoritaire, se soucient peu du pouvoir magique de la fiction. Elles suivent la voix du maître, source ancestrale de réconfort pour les peuples.
En outre, Vador et les autres « génies du mal » restent surtout des héros-tragiques. À l’origine, on sait que George Lucas n’avait pas envisagé de propulser le cyborg casqué au centre de son épopée. Pourtant, dès l’épisode V (L’Empire contre-attaque, 1980), le monde découvre, pétrifié, que le Sith est le père du « gentil » Luke Skywalker. Le parcours initiatique du fils cède alors la place au parcours de rédemption du père. Génial retournement : le méchant avait un cœur, un passé, des sentiments, des raisons.
On objectera que, dans le monde réel, d’aucuns se sont aussi penchés sur la vie d’Adolf Hitler afin de comprendre quelque peu les mécanismes du mal. À cela nous répondrons que le Führer, lui, n’a jamais fait acte de contrition. Dans la vraie vie, les méchants n’ont pas de remords.