
Alexander de Croo a qualifié le virus de « méchant ». J’ai sursauté en entendant cet adjectif. Ainsi, notre nouveau Premier ministre, s’inscrivait-il dans la très longue tradition de l’illusion finaliste. Au 17e siècle, Spinoza la considérait comme l’obstacle majeur à une bonne compréhension du monde. Le préjugé qui est l’ennemi le plus radical de la raison.
Mais qu’est-ce que l’illusion finaliste ?
C’est la croyance de l’humain que la nature agit en fonction de lui. Projetant son vécu sur les choses, il leur attribue des vices ou des vertus en fonction des agréments ou des désagréments que le non-humain leur cause. Les humains ne jugent au fond qu’à partir des effets, bons ou mauvais, que leur procurent les choses, ignorants des causes qui les déterminent.
Pour user d’un grand verbe, ils anthropomorphisent leur environnement, objet de leurs seuls désirs, et dont la seule fin est de les réduire à des catégories humaines, bien trop humaines.
Mais, comme le pose le très sage Tao-Te-King : « l’univers n’a point d’affections humaines ».
Cette conception du rapport au monde fut celle de l’animisme jusqu’à l’aube de la modernité où la révolution scientifique opérât le grand partage entre nature et culture. Désormais « la découverte de l’ignorance », paradigme de la démarche scientifique, soumet les forces de la nature à la puissance humaine dans des proportions jusque-là inégalées et a conduit aux désastres écologiques intenses d’aujourd’hui.
La nature n’est plus mystère. Elle est devenue notre miroir.
Alors quels signes traduisent-ils cet emploi d’un vocabulaire éthique pour un virus ? Un retour aux peurs de jadis devant les désordres célestes, les déchainements des éléments et l’impuissance que seuls la prière ou le sacrifice pouvaient apaiser ? Un refus de la philosophie de Spinoza pour qui, selon la formule canonique adaptée, le seul but du Covid est de persévérer dans son être, totalement indifférent aux courbes statistiques, aux prophéties des experts ou aux théories post-vérité ?
Qui songerait d’ailleurs à leblâmer, ce minuscule virus, « ontologiquement parfait et moralement innocent » dans l’esprit du penseur de l’Ethique ? Qui imaginerait réprimander un nuage parce qu’il envoie des grêlons sur les récoltes ou un tremblement de terre qui provoque pourtant désastres et souffrances tel celui de Lisbonne en 1755 ?
Mais qui dénierait le droit à se vacciner, à protéger ses plantations ou à bâtir des immeubles capables de résister aux secousses sismiques ? Bref, la question n’est pas morale. Le châtiment n’aurait aucun sens. Seuls les anticorps, qui eux aussi, persévèrent dans leur être, érigeront des obstacles à la progression de la pandémie.
Je ne crois pas que le premier des ministres, en bon libéral rationaliste, ait sombré pour le coup dans les obscurités des croyances d’antan et de l’illusion finaliste. Ni qu’il ait eu envie de consulter Spinoza avant une conférence de presse, pourtant le meilleur des communicants avec ce qui nous dépasse.
Non, à mon sens, il a qualifié le virus de méchant pour installer un climat d’inquiétude afin de renforcer l’adhésion de la population aux mesures de confinement.
Sans doute, assez fin connaisseur de l’âme humaine, a‑t-il compris que la seule rationalité se révèlerait trop peu efficace. Il fallait à notre espèce fabulatrice, selon l’appellation superbe de Nancy Huston, une sollicitation complémentaire de nos imaginations instinctives aux valeurs morales du bien et du mal.
Et se convaincre pourtant que seule l’humanité était créatrice de valeurs.
Un commentaire
Merci pour ces propos … on va dire certes « intéressants », voire presque même … amusants, tant l’analyse est rigoureuse , cohérente, et s’applique parfaitement à dénoncer l”’emploi traitre du petit adjectif de deux syllabes point du tout anodin…