
L’égalité n’existe pas, ni par nature, ni dans les faits, éventuellement en théorie.
Le monde de la culture est essentiellement blanc, masculin, âgé de plus de quarante ans. Je corrige : les postes de pouvoir (comprendre le haut de la hiérarchie des structures, les lieux de prises de décisions, mais aussi la gestion des plus gros portefeuilles budgétaires) sont essentiellement occupés par des hommes blancs, âgés de plus de quarante ans et en accord avec le genre qui leur a été assigné à la naissance. Les cas de harcèlement, d’abus de pouvoir et les burn out sont légion et les légionnaires sont le plus souvent des femmes rendues plus vulnérables par leur mode de socialisation genrée (des chiffres sont partout disponibles et s’informer est notre devoir à toustes, non pas la seule mission de certain·es).
Alors on fait quoi ? Des quotas. On cherche, on impose la représentativité, avec ce qu’elle a de délicat, ce qu’elle implique de précision. Les femmes sont par exemple plus nombreuses en école d’art mais moins nombreuses à la tête des institutions artistiques. Il ne s’agit donc pas de simplement s’assurer de qui assument des directions, mais de s’assurer de qui assume des postes équivalents en termes de visibilité, de pouvoir. Les quotas, c’est aussi réfléchir à toutes les échelles du champ culturel : existe-t-il moins de personnes racisé·es ou porteuses d’un handicap ou appartenant ouvertement à des minorités sexuel·les dans le monde des « grands » ? Oui, il existe un plafond de verre, mais aussi un plancher collant, et surtout encore beaucoup de portes fermées que certain·es n’ont pas les moyens, l’occasion, la force mentale de penser à franchir.
Pourtant qui les en empêche ? La discrimination positive est discrimination, soit. Néanmoins on ne devrait plus oser contester que depuis des décennies, voire des siècles elles opèrent déjà en faveur des mêmes personnes. Comme les pratiques de rencontres en non-mixité tant décriées au sein de groupes (politiques par exemple) dont les membres partagent eux-mêmes pourtant tous les mêmes caractéristiques. Si pendant longtemps, les femmes ont été écartées des lieux de pouvoir volontairement, légalement, il serait illusoire de croire que de simples et nouvelles dispositions législatives pseudo-égalitaires viendraient effacer des siècles de construction d’entre-soi masculin, d’attitude de soumissions, d’intégration de comportements fragilisants. Si deux, voire trois siècles, d’histoire culturelle occidentale ont contribué à construire une vision hiérarchisée, paternaliste, élitiste de la production artistique, il nous faudra plus de détermination que de bonne volonté pour transformer en profondeur les biais de nos regards habitués à juger de ce qui a de la valeur.
Ah mais voilà poindre le risque du tokénisme – de l’anglais token, qui désigne à l’origine « un personnage de fiction membre d’une « minorité », placé là dans le seul but de la représenter » – pratique dénoncée parce qu’elle instrumentalise des individus en les réduisant à une seule dimension visible de leur personnalité, en les utilisant pour se donner un meilleur rôle social, une meilleure image, plus qu’elle ne contribue vraiment à une société plus égalitaire. C’est là un affreux dilemme qui n’a qu’une forme possible de résolution : le travail, celui que chacun·e d’entre nous a le devoir de prendre en charge. Principalement, celleux qui à un moment donné, se retrouvent en situation de devoir embaucher, attribuer des financements, donner de la visibilité.
La pratique de quotas est une question épineuse. Elle implique de définir la manière dont chacun·e pour soi, pour sa structure, pour ses projets doit délimiter les contours et les critères des règles à appliquer. Ça peut paraitre contraignant et rébarbatif et nuire à la liberté de choix et d’opinion. Mais ça peut aussi être vu comme une méthode ultra-stimulante pour renouveler ses regards établis, ses réflexes et ses manières de faire, un moyen d’inventer des relations plus justes et sensibles entre les différents groupes sociaux, ce qui est – n’est-ce pas ? –, la noble mission et de l’art, et de la culture, et de l’éducation : travailler à bouleverser notre rapport au monde.
Ou alors, on attribue les budgets, les directions, les projets, les salaires de manière aléatoire en intégrant toustes les citoyen·nes (et même celleux qui légalement ne le sont pas). Là on va peut-être commencer à vraiment rigoler.