Les Marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse ? « D’anciennes processions religieuses dédiées à des saints locaux, protecteurs des paroisses, ayant pris au fil des temps un caractère folklorique, sans cependant que l’aspect religieux en soit totalement perdu. Elles sont accompagnées d’escortes armées, également traditionnelles. » (Wikipédia). On compte 140 de ces processions sur le territoire wallon. D’ampleurs différentes, elles sont gérées par des comités organisateurs indépendants. Ces évènements populaires, à la fois solennels et festifs, ont été reconnus au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2012.
Or, sans faire ici une analyse approfondie de toutes ces marches folkloriques, on ne peut nier que leurs organisations comportent des dérives assurément sexistes. Un exemple parmi d’autres ? La Sainte Rolende de Gerpinnes, star des marches, qui se déroule le dimanche et le lundi de Pentecôte. Rolende, fille d’un roi exilé en Gaule, ayant fui un mariage forcé en 774 pour se consacrer à Dieu. Elle meurt d’épuisement à Villers-Poterie (aujourd’hui village de l’entité gerpinnoise) au bout d’une longue marche vers Cologne. Chaque année, cette procession qui réunit plus de 3.000 marcheurs, répartis en 11 compagnies, retrace en partie le chemin que la Sainte aurait emprunté.
Mais où sont les femmes ?
Trois de ces compagnies n’acceptent aucune femme… Chez les autres, des places comptées sur les doigts de la main sont accordées sous certains critères : femmes non-mariées, limite d’âge, places mises aux enchères, obligations de porter une jupe (!), etc. Notons que la plupart de ces compagnies acceptent favorablement les filles, mais seulement jusqu’à l’âge de 12 ans…
Les postes proposés aux femmes reposent le plus souvent sur l’obligation de devoir à la compagnie. Quand il ne s’agit pas de vendre de la goutte aux soldats, il faut porter le matériel des officiers ou accompagner les jeunes marcheur·euses. Seules les places, très limitées, d’infirmières et de vivandières (quand elles ne doivent pas transporter les tartines ou vendre des objets) permettent à une petite partie d’entre elles de profiter de la marche sans obligation. Sauf celle de marcher au pas.
Pourtant, les femmes ont un rôle essentiel pour la bonne tenue de ces marches folkloriques. Elles s’occupent des costumes et de la logistique en amont, gèrent l’intendance et les enfants pendant les festivités et accueillent la famille et les visiteurs venus en masse pour profiter de l’évènement. Tout le monde n’a donc pas intérêt à ce que ça change ! Les hommes surtout, qui composent très majoritairement les organes de décision. Pour justifier ces formes d’injustice, les arguments d’un autre âge — très répandus ! —, ne manquent pas : « C’est la tradition ! », « Les femmes ne portent pas le fusil ! », « On a toujours fait comme ça… »
Tradition, héritage, souvenir, conscience collective, mais aussi devoir de transmission et d’enrichissement des pratiques à travers le temps (Voir l’article « tradition » sur Wikipédia). Ces notions se heurtent au traditionalisme ambiant que veulent imposer les comités organisateurs. Une attitude passéiste qui tend à figer l’histoire de manière arbitraire, comme si elle pouvait se résumer à un instant T que l’on pourrait rejouer à souhait, année après année, sans prendre en compte les mutations de la société. L’authenticité que revendiquent ces comités est le résultat d’un tri sélectif servant les intérêts d’une partie seulement de la population. Car il est ici question d’intérêts et de privilèges. Si demain en effet, les rôles devaient changer, si les femmes avaient le droit et l’opportunité de pouvoir marcher aux côtés de leurs ami·es et de leurs voisin·es, qui assurerait l’intendance ?
Pour ne pas s’essouffler, la sacrosainte tradition ne doit-elle pas s’adapter aux évolutions positives — parce que justes — de notre société ? Pour quelles raisons valables peut-on aujourd’hui priver la moitié de la population d’un patrimoine commun ? Quels messages envoie-t-on à nos filles lorsqu’à l’âge de 12 ans elles doivent quitter les rangs, laissant leurs frères, leurs cousins, leurs amis parader, eux, librement ?
Aujourd’hui, des groupes de femmes se rassemblent pour questionner cette organisation résolument patriarcale de notre folklore. Devront-elles s’imposer par la force ? En recourant à la justice ? Ou pouvons-nous espérer un sursaut des esprits ? Le débat est posé, la question ne pourra plus être évitée, et il semble logique que les autorités locales y prennent aussi leur part de responsabilité.