
Souvenez-vous. Dans Sudden Impact (Le retour de l’Inspecteur Harry, 1983, seul film de la série, qui en compte cinq, réalisé par Eastwood himself), Dirty Harry est tabassé par trois brutes sadiques, puis laissé pour mort.
Mais l’inspecteur est un farceur. À la toute fin du film, comme revenu de l’au-delà, Harry surgit, découpant sa longue silhouette dans la nuit, avec éclairage en contre-jour. À l’extrémité de son bras tentaculaire pend un flingue de compétition : Smith & Wesson .44 Magnum Automag… À ce moment précis, l’image suscite chez le spectateur moyen un sentiment de plaisir irrémédiable, trouble, coupable mais acceptable, né du tréfonds des entrailles, dans l’attente d’un accomplissement qu’on sait imminent. L’heure du règlement de comptes a sonné. Il sera bref, brutal, définitif. En quelques coups bien ajustés, Harry Callahan abat les deux séides puis, dans un geste tout aussi paroxystique, rectifie le chef de bande qui perd pied et s’empale quelques mètres plus bas sur la corne d’une licorne de manège forain. Sanglante cerise !
Et rappelez-vous encore : votre jouissance à peine contenue lors de la mise à mort du Scorpion dans le quintessentiel et très épuré Inspecteur Harry (Dirty Harry, de Don Siegel, 1971). Le bourreau se tient du mauvais côté du .44 (le modèle courant cette fois) lorsqu’il entend la question rituelle : « Est-ce qu’il a tiré six fois, ou seulement cinq ? » Cinq. Et bang ! L’inspecteur est impayable.
Notons que, dans ces cas bien particuliers, il n’observe aucunement les règles de la légitime défense. Le flic de San Francisco doit ventiler pour de bon, c’est sa fonction, c’est pour ça qu’on l’appelle Dirty Harry, parce qu’il fait toujours le sale boulot. Comme il dit : « Quand un gars nu poursuit une femme avec un couteau de boucher et une érection, je suppose qu’il ne quête pas pour la croix rouge. » En règle générale pourtant, le policier solitaire est très à cheval sur les principes. Le malfrat, généralement appelé « punk » (rebut de la société, c’est l’étymologie populaire du mot) est toujours prévenu de ce qui l’attend. À condition bien sûr d’apprécier l’humour de l’inspecteur, genre : « T’as oublié ton gâteau surprise… » Ou, traduisant la pensée de son revolver : « Il dit que c’est pas ton jour de chance… » Bang ! Ou encore le plus pédagogique : « Si vous voulez jouer, faut connaître les règles du jeu. » Bang !
C’est cela, au fond, qu’on aime dans ce polar violent et ambigu : tout se termine par un jeu, basique, mortel, mais un jeu tout de même, où l’on devine le vainqueur à chaque fois. Ça dessoude ferme évidemment – dans la saga, on compte en moyenne six amuse-gueules par film pour éviter que l’ambiance retombe –, mais pas plus que dans la plus primaire des bastons sur console PS ou dans une quelconque série B d’action. Ou dans les quartiers Nord de Marseille où plus personne ne semble connaître les règles du jeu.