Femmes politiques : une histoire récente
Le droit de vote des femmes n’est pas si ancien. Dans de nombreuses démocraties, les femmes n’obtiennent ainsi le droit de vote qu’après la Première Guerre mondiale (France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni…) ou plus tardivement après la Seconde, comme en Belgique (mais aussi en Italie, au Portugal, en Grèce…). Cette conquête féministe est le fruit d’un long combat mené par les femmes pour faire reconnaitre leur droit élémentaire. Elles ont gagné leur droit d’éligibilité plus vite que leur droit de vote : les premières femmes élues au niveau fédéral siégeaient alors même qu’elles n’avaient pas pu voter elles-mêmes. Il s’agit des socialistes Marie Spaak-Janson (1921) et Lucie Dejardin (1929).
L’analyse genrée des résultats électoraux traduit la non-corrélation entre l’octroi d’un droit et son effectivité. Les femmes peuvent effectivement voter, elles peuvent se présenter sur des listes électorales mais elles continuent à être minoritaires dans la plupart des cénacles et sont presque inexistantes dans les fonctions premières (telles que présidentes de parti, cheffes de gouvernement, présidentes d’assemblées, bourgmestres, gouverneures ou Premières ministres)1. Pallier cet échec de la parité en politique reste un enjeu majeur dans un projet de société inclusive.
Parité, quotas, tirette, etc.
Dès 1948 donc, l’accès aux élections législatives est garanti pour les femmes, mais elles restent minoritaires comme candidates et élues à tous les niveaux de pouvoirs et tout parti confondu (elles plafonnent aujourd’hui à 10 % d’élues dans les parlements belges). À partir des années 19902, de nouvelles règles électorales entrent en vigueur. En 1994, la loi Smet-Tobback impose une représentation minimale d’un tiers par genre sur les listes. Ces quotas seront ensuite portés à 50 % en 2002.
La même année, la Constitution est modifiée afin d’y introduire le principe du droit fondamental à l’égalité des hommes et des femmes et d’organiser leur égal accès aux mandats électifs et publics. L’article 11bis garantit notamment la présence de femmes au sein du gouvernement fédéral. Malheureusement, à cette époque, les places les plus stratégiques restent trustées par des hommes.
En 2009, une nouvelle règlementation impose une alternance de genre dans les deux premières places des listes électorales, pour favoriser la présence des femmes aux places éligibles. En 2018, le système est encore une fois renforcé par l’instauration du système dit de « la tirette », qui impose l’alternance entre les hommes et les femmes sur l’ensemble de la liste.
Enfin, en 2019, et pour la première fois, un décret impose un quota dans un exécutif. Depuis lors, le gouvernement wallon doit être au moins composé d’un tiers d’hommes ou de femmes.
Mécanisme correcteur
Personne n’aime les quotas. Ni les hommes politiques qui ont dû renoncer à une place qui leur semblait légitime au profit d’une femme parce qu’elle est une femme, ni les femmes qui se voient attribuer une place éligible ou un poste dans un exécutif parce qu’elles représentent le genre sous-représenté.
Pour autant, d’un point de vue statistique, tout le monde s’accorde sur leur effet positif. Au fédéral, le nombre de femmes élues est passé de 15 % en 1995 à 41 % en 2019. Les femmes occupaient 2 mandats sur 17 dans le gouvernement en 1995, alors que dans la majorité actuelle elles occupent la moitié des postes. Dans les entités fédérées, l’augmentation est également significative, bien qu’assez différente selon les régions. Jusqu’en 2004, il n’y avait aucune femme ministre en Région wallonne, aujourd’hui elles occupent 3 mandats sur les 8 que compte le gouvernement wallon. En Fédération Wallonie-Bruxelles, 3 femmes sur 5 depuis 2019. Et la Fédération a compté en 2014 la première ministre des Droits des femmes3.
La popote interne
Pour autant, lorsqu’il s’agit de choisir la personne qui occupera le poste de tête de liste, et ce, qu’importe le niveau de pouvoir, les femmes sont très minoritaires. Le nombre de femmes bourgmestres ne représente pas plus de 19 % des bourgmestres en place. De la même manière, nous avons connu récemment la première femme Première ministre de l’histoire de la Belgique, mais sa nomination s’est déroulée dans une période inédite de pandémie, dans le cadre d’un mandat transitoire, et parce que son prédécesseur accédait à d’autres fonctions…
Même constat pour les présidences des partis politiques, un poste crucial dans le paysage politique complexe qui est le nôtre. Tant en Flandre (1/6) qu’en Wallonie (1/6), les femmes peinent à accéder à ces postes.
Pour certains observateurs politiques, les partis politiques ne sont pas toujours enclins à favoriser la parité dans leur organisation électorale et dans l’accession à des postes-clés. Dès lors, il n’est pas étonnant que lorsqu’il s’agit d’attribuer des postes sur base de négociations internes et dans le cadre de majorités électorales, la présence des femmes reflète peu leurs résultats électoraux4.
Culture virile et climat hostile
Certains éléments culturels et sociaux constituent aussi des freins importants à la parité en politique.
La culture du monde politique reste dominée par des modèles masculins qui seraient réputés incarner l’autorité et inspirer confiance. Face à cette culture genrée très stéréotypée, pendant des années, les femmes politiques ont adopté les codes et attitudes de leurs homologues masculins afin de correspondre au mieux à l’image attendue du responsable politique5.
Cependant, l’arrivée croissante de femmes dans la sphère politique, y compris à des fonctions exécutives, tend à modifier ce mécanisme de mimétisme. En effet, on voit apparaitre dans les discours médiatiques une valorisation de la politique au féminin qui s’exercerait au travers de caractéristiques et d’attitudes dites « féminines », comme l’attention aux autres, le dialogue, l’empathie, le désintéressement… Cette tendance a été illustrée par la valorisation pendant la crise sanitaire des pays dirigés par des femmes6, comme si être une femme prédisposait ces dirigeantes à prendre davantage soin de leur population.
C’est donc malheureusement toujours au travers de stéréotypes de genre bien ancrés que l’action d’un homme ou d’une femme politique sera jugée valable ou adéquate. Cette vision des identités genrées est un frein permanent pour les femmes politiques, qui risquent à tout moment de ne pas correspondre à l’image attendue. Ces stéréotypes constituent un frein aussi pour les hommes qui souhaiteraient faire de la politique autrement.
Les femmes politiques doivent par ailleurs souvent répondre, réagir ou se justifier sur des éléments qui n’ont rien à voir avec leur mandat politique. Les remarques sexistes ou comportements déplacés leur font ainsi subir une « double peine » : après avoir été victimes de sexisme, elles subissent des répercussions lorsqu’elles le dénoncent. Au point que nombreuses sont celles (Laurette Onkelinx, Joëlle Milquet, Véronique Salvi,…) qui ont préféré renoncer, totalement ou partiellement, à la vie politique.
Les femmes politiques sont aussi davantage victimes de cyberharcèlement ou de cybersexisme, au point de parfois devoir quitter les réseaux sociaux et perdre ainsi en visibilité7. Et l’objectif derrière cette violence est clair : exclure les femmes de l’espace public numérique, alors même que près de 92 % des contenus sexistes signalés ne sont pas supprimés par les plateformes qui les abritent.
Deux textes initiés par le PS ont été déposés cette année à ce sujet : un par Laurent Devin sur la sensibilisation, la prévention et la lutte contre les discours de haine et le harcèlement, y compris dans l’univers numérique, et un second par Gwenaëlle Grovonius sur les violences faites aux femmes, transposées dans les univers numériques
De nombreuses initiatives existent dans ce cadre de la lutte contre les discriminations, soulignons par exemple la rédaction du « Code du droit des femmes » par l’association Fem&L.A.W., une ASBL créée par des femmes, juristes et féministes dont l’objectif social est au confluent du droit et des féminismes. Le Nouveau Plan Droits des Femmes 2020 – 2024 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, quant à lui, s’articule autour de quatre axes : lutter contre les violences faites aux femmes ; déconstruire les stéréotypes et agir sur les représentations ; assurer une meilleure représentation des femmes dans tous les secteurs professionnels et à tous les niveaux dans les instances de décision et les postes à responsabilités ; et enfin faciliter la conciliation vie privée – vie professionnelle. Par ailleurs, la conférence interministérielle sur les Droits des Femmes a pour mission de renforcer la coordination et les collaborations entre les différents niveaux de pouvoir pour garantir les droits des femmes dans tous les domaines de leur vie quotidienne.
Car, comme l’ont affirmé les députées du Parlement wallon puis du Parlement fédéral en octobre dernier, « les femmes sont plus qu’un quota ». C’est exact, elles représentent près de la moitié de l’humanité. Il est grand temps qu’elles ne soient plus sous-représentées en politique.
- Les pourcentages genrés des mandats politiques sont disponibles ici. À titre d’exemple, il n’y a qu’une femme à la présidence d’un parti politique et il n’y a que 18 % de femmes bourgmestres en Wallonie et une seule bourgmestre sur 19 communes à Bruxelles.
- Dans le prolongement des mouvements féministes tels que « Votez femmes », voir « Les femmes et le droit de vote en Belgique : un peu d’histoire », Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes.
- Sabine Panet, « Cinq ans de ministère des droits des femmes : pari tenu ? », Axelle Mag, N° 217, Avril 2019.
- Comme le souligne Sophie van der Dussen : « L’ordre utile sur une liste de candidats et les votes de préférence sont deux autres facteurs importants. Or à ce niveau-là, c’est le choix des partis qui reste déterminant. (…) C’est un groupe restreint de mandataires et de dirigeants du parti qui choisit la personne à mettre en tête de liste ou qui désigne celles et ceux qui assureront un poste clé. Les partis politiques sont donc in fine les acteurs qui ont en mains les cartes d’une évolution vers davantage de parité. » in « La représentation des femmes en politique (1994 – 2013) », Courrier hebdomadaire du CRISP, N°2199 – 2200, 2013.
- Les Femmes Prévoyantes Socialistes (FPS) ont consacré un dossier très complet sur cette question en 2018 consultable ici.
- Voir par exemple cet article : « Coronavirus : les pays dirigés par des femmes s’en sont mieux sortis, selon une étude », Grégoire Ryckmans, rtbf.be, 29/08/2020.
- « Les jeunes femmes politiques, cyberharcelées », Belga publiée le 20/05/2019 sur rtbf.be.