La cohabitation décrit la situation de plusieurs personnes partageant un même domicile. Le statut de cohabitant·e implique un taux de revenu plus bas pour les individus allocataires sociaux. C’est une des conséquences de notre société néocapitaliste, où les individus cherchent à s’adapter aux conditions économiques difficiles en partageant les frais de la vie quotidienne mais qui entraîne leur précarisation et une augmentation de la concurrence entre eux.
Le débat de l’individualisation des droits sociaux est sur les lèvres des mandataires politiques et des militant.es depuis de nombreuses années. Ce système ne cesse d’influer sur l’équilibre des relations sociales et conjugales au sein d’un même foyer. Une série de dérives lui sont attribuées notamment concernant un probable glissement de notre État social de droit vers un État autoritaire de contrôle.
Paradoxalement, cette société qui nous formate à devenir de plus en plus individualiste, ne nous permet pas de vivre notre individualité et de prétendre à une certaine autonomie.
Le cadre légal en Belgique
En Belgique, le statut de cohabitant·e a connu une évolution significative reflétant ainsi les changements économiques, sociaux et juridiques dans le pays. Historiquement, la cohabitation était considérée comme une situation précaire caractérisée par une absence de protection juridique et sociale pour les personnes impliquées.
Au cours des dernières décennies, le gouvernement belge a adopté des lois pour reconnaitre le statut de cohabitant·e et offrir aux personnes concernées certains droits et protections juridiques.
En 1998, une loi a été adoptée pour offrir aux cohabitant·es une protection en cas de séparation, de décès ou de maladie de l’un·e des partenaires. Malgré ces progrès, la situation des cohabitant·es en Belgique reste précaire, notamment en ce qui concerne l’octroi d’allocations sociales.
Les cohabitant·es ne sont pas considéré·es comme une unité familiale à part entière, ce qui signifie qu’iels peuvent être soumis à des règles d’attribution plus strictes que les couples mariés. Cette situation reflète les tensions et les contradictions du modèle de notre société belge qui valorise la famille traditionnelle tout en privilégiant l’individualisme et la concurrence entre les individus.
La dimension dans laquelle se retrouvent les personnes sous le régime du statut de cohabitant·e est étroitement liée à la question de la propriété privée et de la domination économique. Les cohabitant·es sont confronté·es à des pressions financières croissantes qui les obligent à vivre ensemble pour économiser sur les frais de la vie quotidienne, et ce, d’autant plus qu’à l’heure actuelle, un loyer moyen est calculé sur deux revenus.
Cette situation reflète la privatisation des moyens de production et la précarisation de la vie quotidienne qui sont toutes les deux des caractéristiques fondamentales de la société où l’économie prédomine. Nous pouvons analyser ce statut comme l’instrument d’une politique néolibérale et d’un contrôle qui fragilise les plus faibles.
En opposition avec les droits prônés par la Charte des Droits humains, ce statut et, entre autres, la collecte d’informations concernant les usager·ères, ne leur laisse pas le libre choix de vivre en couple, d’héberger un proche en difficulté, d’accueillir un·e enfant majeur·e ou encore de quitter un conjoint violent, de peur de perdre une partie de leur revenu minimal. Cela fragilise les relations sociales et intrafamiliales, en participant à la désolidarisation et même parfois, à un climat délétère au sein de la communauté.
La définition de la cohabitation, qui dit que les charges domestiques sont régulées par les parties qui constituent le ménage, est assez utopique. Nous le savons, la réalité est bien plus complexe et les violences économiques existent bien et n’apparaissent souvent pas lors d’une visite à domicile.
Dans les CPAS…
Au sein des Centres Publics d’Action Sociale (CPAS), le sujet est brûlant. Les ayant-droits cohabitant·es sont souvent confronté·es à des difficultés pour bénéficier des prestations sociales. Iels sont considéré·es comme des individus économiquement liés et sont soumis·es à des conditions d’attribution plus strictes que les personnes isolées, comme expliqué précédemment.
C’est ce statut qui impose les visites domiciliaires, donnant aux travailleur·euses sociaux·ales le rôle de vérificateur·ice et de juge de bonne foi des bénéficiaires du minimum vital. Pourtant, individualiser les droits et cesser de collecter chaque information de la vie financière, sociale, sentimentale et culturelle d’une personne demandeuse d’aide allégerait considérablement le travail des assistant·es sociaux·ales, leur permettant de remettre l’être humain au centre de leur accompagnement.
Abandonner cette conviction selon laquelle il faut mériter le minimum vital, c’est donner le temps d’écouter les projets de vie des bénéficiaires et travailler dans un esprit de collaboration qui pousse à l’alliance entre travailleur·euse social·e et être humain ; c’est donner la chance de vivre dans un logement décent et non pas nourrir les marchand·es de sommeil dans des habitats qui sont des passoires énergétiques.
De plus, d’un point de vue institutionnel, le statut de cohabitant·e ne garantit pas à la structure du CPAS de « faire des économies ». En effet, en n’investissant pas dans l’égalité d’un revenu décent pour toutes les parties du ménage, nous rendons les individus plus pauvres, précaires. En mettant en difficulté ces foyers, ces derniers font l’objet d’autres demandes d’aide comme par exemple pour leur facture d’énergie.
Du statut de cohabitant·e aux visites domiciliaires
Le débat sur les visites domiciliaires en lien avec le statut de cohabitant·e au sein des CPAS continue de susciter de nombreuses controverses. Les CPAS sont chargés de venir en aide aux personnes en difficulté en leur offrant une aide financière pour répondre à leurs besoins et leur permettre d’accéder à une vie digne. Selon la loi belge et la réglementation, les CPAS ont pour mission de vérifier si les deux partenaires ne fraudent pas le système actuel en percevant une aide de manière individuelle ou sans avoir déclaré une autre rentrée d’argent.
Par conséquent, les visites domiciliaires sont effectuées par les agents sociaux pour s’assurer que les personnes bénéficiaires sont véritablement dans une situation de précarité et qu’elles ne vivent pas en concubinage avec quelqu’un·e qui pourrait subvenir à leurs besoins. Si tel est le cas, le CPAS ne leur accordera pas d’aide financière.
Il me semble pertinent, dans le contexte de ces missions, de questionner le rôle des travailleur·euses sociaux·ales lors de ces visites domiciliaires. Quelle est la limite entre recherche d’informations et contrôle ? Comment tisser une relation de confiance si les prises d’informations personnelles se muent en perquisition de l’intimité de l’autre ? Quelle posture adopter en tant que travailleur·euse social·e et fonctionnaire public ?
Les visites domiciliaires ne doivent pas être utilisées comme un moyen de stigmatisation des personnes en situation de précarité. Les CPAS ont un rôle crucial à jouer pour aider les personnes victimes de la société à retrouver une situation plus stable, mais cela doit se réaliser en respectant les droits fondamentaux de chaque individu et dans le respect de sa personne.
Les visites domiciliaires doivent être effectuées de manière ciblée, en fonction des informations dont dispose le CPAS, tout en respectant les droits des personnes concernées.
Rappelons, également, que les personnes en couple peuvent également être confrontées à des situations de précarité et/ou de pauvreté, même si leur partenaire dispose de revenus suffisants pour subvenir à leurs besoins. Dans ce cas, il est essentiel que les CPAS adaptent leurs critères d’attribution pour prendre en compte la situation de chaque personne, indépendamment de leur statut de cohabitant·e.
Au début de mon mandat politique en tant que Président du CPAS de La Louvière, les visites domiciliaires de manière impromptue avaient toujours lieu. C’était un mécanisme bien rodé, demandant aux travailleur·euses sociaux·ales de se fonctionnariser et de prendre l’habit de l’inspecteur·ice, pour vérifier, déterminer, si l’individu avait droit ou non au minimum vital. La subjectivité de ce qu’est le couple, les différentes manières d’incarner le ménage, l’amour et les relations humaines menaient à de nombreux recours de la part des citoyen·nes qui se voyaient refuser une aide. Le cadre flou leur donnait souvent raison.
Demander aux individus de se justifier auprès des travailleur·euses sociaux·ales et du monde politique pour recevoir une aide à laquelle tout être humain a droit pour vivre (ou survivre) dignement ne concordait pas avec mon obédience profondément de gauche, rendait les démarches des intervenant·es nocives, passant de l’accompagnement au contrôle, détricotant la relation de confiance au profit d’une relation de pouvoir.
Il est plus que nécessaire d’adopter une loi et des politiques en lien avec la société actuelle et promouvoir un contexte sociétal qui permette à chaque être humain de vivre son individualité au sein de la collectivité qu’il aura choisie, dignement.
Fin des visites impromptues au CPAS de La Louvière
Le CPAS de La Louvière a pris une décision courageuse en mettant fin aux visites impromptues auprès de ses bénéficiaires, une pratique controversée dans le domaine de l’aide sociale. Cette initiative fait suite à une réflexion approfondie sur l’impact de ces visites sur les personnes en situation de précarité ou de pauvreté et sur la relation de confiance entre les bénéficiaires et les agents du CPAS ; relation de confiance qui mène à un travail en collaboration et permet aux individus de quitter le statut d’allocataire social, accompagnés vers un projet. C’est investir dans sa personne, de manière plus digne.
Les visites impromptues pouvaient être considérées comme une intrusion dans la vie privée des bénéficiaires, générant de la méfiance et de la peur, ainsi que des sentiments d’exclusion et de stigmatisation.
En supprimant ces visites, le CPAS a non seulement rétabli une relation de confiance mutuelle avec les bénéficiaires, mais a également libéré des ressources pour renforcer l’accompagnement social et favoriser leur autonomie. Cette initiative constitue donc un exemple à suivre pour tous·tes les acteur·ices de l’aide sociale qui souhaitent promouvoir une approche plus humaine et respectueuse des droits des personnes en situation de précarité. Après un temps d’adaptation, le niveau de tension dont les travailleur·euses sont victimes a nettement baissé. Les visites, sur base de rendez-vous, rendent l’accompagnement plus respectueux et fondé sur une plus grande considération de la personne et de sa carte du monde.
En tant que Président de CPAS, je suis convaincu que nous devons abolir ce statut qui ne fait qu’aggraver les difficultés financières des personnes et les tensions familiales.
"Cohabitant·e : vie et mort d’un statut injuste"
Ce numéro 58 des Cahiers de l'éducation permanente de PAC se penche sur le statut de cohabitant·e dénoncé depuis plus de 40 ans par de nombreuses organisations politiques et associatives. En effet, ce statut pénalise de nombreux ménages et individus, notamment les femmes, en diminuant le montant de plusieurs allocations par le simple fait qu’iels partage un logement. Au travers de 11 analyses s’occupant de différents aspects liés à ce statut (féministe, juridique, historique, sociologique…), ce numéro déroule arguments et récits qui en démontrent toute l’injustice. Cette publication poursuit un travail d’information débuté par une vaste campagne menée par PAC avec le CIEP et le MOC en 2022 qui demande la fin de ce statut et revendique l’individualisation des droits en assurance et sécurité sociale pour garantir à tous·tes une protection et une autonomie économique tout au long de la vie.
Disponible sur la boutique de Présence et Action Culturelles
Nicolas Godin est président du CPAS de LA Louvière
Un commentaire
Bravo, mais ne pas oublier cependant que c” est un ministre « ”socialiste » qui a introduit pour la 1ère fois le statut de cohabitant dans la législation sociale en Belgique, début des an nées ’70 ! Cela a coûté des milliards de FBelges, pris dans la poche des victimes les plus défavorisées du capitalisme, …