Comment s’organisent et se développent les différents projets à Gand ?
Je crois que tout démarre par et se base sur l’action de citoyens et citoyennes qui ont conscience de devoir anticiper les problèmes, ou bien qui veulent trouver des solutions là où l’État et le Marché ne jouent par leur rôle. Bien souvent ces initiatives sont soutenues par des organisations infrastructurelles, par des initiatives de la Ville ou par des fonctionnaires de bonne volonté. Ils vont chercher des soutiens afin de rendre possibles ces projets coopératifs. Par exemple pour que des occupations temporaires qui sont proposées soient par la suite soutenues par la Ville. Ces projets combinent donc autonomie et facilitation par des tiers, par des processus qui ne sont plus ceux des vieilles ONG qui prenaient tout en main. Ensuite, pour garantir leur autonomie et un engagement plus pérenne, il n’est par rare que ces initiatives cherchent à se démarquer par des activités marchandes éthiques et « génératives » — l’adjectif « génératif » qualififiant des activités économiques qui enrichissent les communs humains et naturels, plutôt que de les exploiter et les affaiblir.
Le meilleur scénario possible est celui du Energiewende, processus de transition énergétique en Allemagne : des pionniers montrent le chemin, la sphère publique édicte de nouvelles régulations en vue de faciliter ces initiatives. Celles-ci deviennent alors la norme, par le biais d’activités génératives.
Quels sont les initiatives phares qui sont selon vous exemplaires à Gand ?
Parmi les nombreuses initiatives, je citerai en tout premier lieu le NEST, une occupation temporaire d’une vieille bibliothèque, qui s’est développée après un appel à la coopération : 70 initiatives culturelles, sociales, socioculturelles etc. se sont coorganisées en deux mois. Autres exemples d’occupation temporaires que la Ville propose les « Buren van de Abdij » qui organisent plusieurs fois par semaine des activités culturelles sur le terrain d’une abbaye que la ville ne pouvait plus entretenir. Mais aussi, le parc collectif Driemasterpark qui rassemblent de nombreux habitants d’un quartier populaire autour de la gestion commune d’un ancien site industriel. S’y sont développés une plaine de jeux mais aussi un jardin potager, un poulailler et un esapce réservé aux chiens. Il y en a évidemment beaucoup d’autres, au niveau de l’alimentation, du co-logement, de la mobilité partagée, ou de l’approvisionnement en énergie comme par exemple Energent. Il s’agit d’une coopérative d’énergies renouvelables [qui permet aux habitant·es d’acquérir à bas prix des panneaux solaires reliés en réseau et redistribuant à égalité l’électricité produite par ce réseau à tous les membres de la coopérative – même à ceux ayant des orientations peu productives NDLR].
Qu’est-ce que ça implique de passer des « communs urbains » à une vision plus ambitieuse, celle d’une « ville des communs » ?
C’est exactement le passage d’une vision des communs encore « à la marge », vers une reconnaissance des communs comme un des outils tout à fait central pour une transition écologique et sociale. Cette reconnaissance est vitale pour la survie d’une ville et d’une bio-région dans un contexte d’urgence climatique et écologique. Et ce, avec une vraie approche de « ville partenaire » c’est-à-dire avec une véritable institutionnalisation de la coopération public-commun. Ainsi, on peut créer de l’emploi local et rendre la vie citadine plus résiliente.
Cependant, je voudrais attirer votre attention sur le fait que bien que Gand ait une administration progressiste et motivée d’une part, une sphère des communs très active d’autre part, cela ne veut pas dire pour autant que la relation entre ces deux sphères aille de soi et soit satisfaisante.
Malgré mon rapport et sa réception positive, nous ne sommes en effet qu’aux premiers balbutiements de cette transformation. Il y a encore beaucoup de fragmentation de part et d’autre des deux sphères. Mais il est important de souligner qu’un dialogue continu est désormais institué. Celui-ci permettra d’emmagasiner des progrès, surtout après les élections, lorsqu’il y aura de nouveaux mandats démocratiques. Pour le moment, les fonctionnaires de la ville préparent des dossiers avec la contribution des « commoneurs » et « commoneuses ».
Votre projet permet-il de mener une transition sociale et écologique nécessaires face aux échecs relatifs de l’État (désengagement des services publics) et du marché en la matière ? Quel serait le rôle de l’État dans le cadre de la généralisation des communs ?
D’un côté, la réémergence des communs est précisément une réaction aux manquements de l’État et à ceux des forces du marché. Mais attention, il y a des forces politiques qui vont essayer d’utiliser cette émergence pour encore plus affaiblir l’action de l’État. Cela apparait clairement dans les projets de gouvernements ultra-libéraux comme en Grande Bretagne (la « Big Society » des conservateurs) et aux Pays-Bas (la fin de l’État social et son remplacement par le « Participatie samenleving »).
Donc, attention, un État partenaire ou facilitateur ne signifie pas un « État faible », au contraire ! Prenez l’exemple de la Sécurité sociale. Au départ, vers la moitié du 19e siècle, il s’agissait de communs sociaux auto-organisés, marqués par des inégalités sectorielles et spatiales. Puis, le mouvement ouvrier a créé des mutuelles nationales, mais qui n’ont jamais couvert qu’une minorité de la population. C’est l’État et ses droits sociaux pour tous qui ont créé un vrai potentiel d’égalités (au cours des Trente glorieuses), mais au prix d’une bureaucratisation. Notre idéal aujourd’hui, c’est de garder cette échelle et ce socle de droits, mais en démocratisant le fonctionnement de ces services.
Ces projets de communs urbains vont-ils réussir à tenir sur le long terme et à se multiplier, à Gand et ailleurs ?
Nous sommes globalement dans un cycle de re-mutualisation et de ré-invention des communs, toutes les statistiques le montrent. Mais, sans réforme législative et sans nouvelles régulations, et même s’ils résolvent des problèmes, beaucoup de ces projets risquent de rester marginaux. Regardez comment le fameux feed-in tariff en Allemagne (un mécanisme politique conçu pour accélérer les investissements dans les technologies d’énergie renouvelable) a permis aux coopératives d’énergie de se généraliser, jusqu’à les amener à produire aujourd’hui la majorité de l’électricité dans le pays ! La reconnaissance de ces nouveaux modèles passera nécessairement par une lutte sociale et politique pour changer les indicateurs de l’achat public et de l’analyse financière. Mais je n’ai aucun doute sur la faisabilité des choses. Ni leur nécessité si l’humanité veut survivre aux multiples crises écologiques convergentes.