
Godzilla, le vrai, est la figure emblématique d’un courant cinématographique japonais appelé kaiju-eiga : les « films de grands monstres. » La toute puissante Toho se concentrait sur la production d’un film d’aventure épique quand, dans le courant de l’année 1953, sort aux Etats-Unis le « Monstre des temps perdus », d’Eugène Lourié, film où Ray Harryhausen – le véritable mentor de Tim Burton – fait ses premières armes comme responsable des effets spéciaux.
Devant le succès international du film, la Toho interrompt ses projets et se lance à la recherche d’un monstre géant qui, comme celui de Lourié, aurait été enfanté par des expériences nucléaires incontrôlées. Le producteur Tomoyuki Tanaka est chargé du projet. Il s’entoure du romancier Shigeku Kayama, avec qui il ébauche le scénario ; d’un spécialiste des effets spéciaux, Eiji Tsuburaya ; et surtout du réalisateur Ishiro Honda.
Le résultat sort sur les écrans japonais le 3 novembre 1954. « Godzilla » (Gojira en VO), tourné en noir et blanc, remporte d’emblée un succès colossal. Dix ans à peine après Hiroshima et Nagasaki, les spectateurs nippons découvrent avec effarement une créature née de la folie des hommes, un monstre rédempteur qui incarne la destruction dans un pays touché par deux cataclysmes nucléaires et en proie à d’épouvantables catastrophes naturelles. S’ajoute à cela la morphologie de Godzilla, croisement entre le tyrannosaure et le stégosaure d’opérette, rappelant étrangement le dragon de la mythologie, contribuant à ancrer durablement le monstre dans la culture japonaise.
Si le lézard atomique impressionne tant à l’époque, c’est non seulement parce qu’il figure l’excroissance monstrueuse de la mauvaise conscience de l’humanité, mais aussi parce qu’il émane de lui une poésie visuelle très forte. Dans son costume encombrant, le comédien éprouve bien des difficultés à évoluer sur les maquettes géantes qui constituent le décor, et cette maladresse forcée se répercute sur l’attitude du mastodonte de caoutchouc qui apparaît comme fragilisé. En cela, Godzilla rappelle la créature de Frankenstein du film de James Whale (1931), incarnée par Boris Karloff, qui progresse d’un pas hésitant dans une société du rejet.
Au fil des ans, la Toho investira de plus en plus dans ce genre de productions. La galerie des monstres japonais s’enrichira (avec Gamera, Mothra, Ghidorah, Gigan, Ebirah ou même Mechagodzilla) et Godzilla lui-même connaîtra plus d’une vingtaine de fausses suites (le monstre est en effet réduit à l’état de squelette dans le film original). Ennemi de l’espèce humaine à l’origine, le dino à la triple crête s’imposera dorénavant comme le sauveur de celle-ci dans des films de plus en plus naïfs. Le dernier en date remonte à 2004.
Ishiro Honda lui, après avoir beaucoup donné au genre, retournera auprès de son vieil ami Akira Kurosawa dont il fut pendant longtemps l’assistant. Honda est mort en 1993. Godzilla lui a survécu.
Aux dernières nouvelles, depuis la catastrophe de Fukushima, l’anti-Casimir serait de nouveau en rogne…