Vous êtes le bourgmestre de Vilvoorde depuis les élections communales de 2012. Comment avez-vous créé la confiance avec les citoyens ?
En réalité, je siégeais déjà au Conseil communal de 2000 à 2006. J’ai été échevin des Affaires sociales et de l’intégration. Ensuite de 2006 et 2012, j’ai été Président du CPAS de Vilvoorde avec aussi des compétences dans le social et l’intégration. Ce qui m’a permis d’être encontact avec les minorités, les associations, mais aussi avec les familles marocaines.
Je travaille aussi beaucoup avec ma compagne de route en politique, Fatima Lamarti, une femme marocaine née à Vilvoorde, devenue échevine des Affaires sociales. Elle est de loin la plus populaire des politiciennes de la ville ! Elle est vraiment plébiscitée par la communauté marocaine.
Tout ceci pour vous dire qu’il était important de créer une certaine confiance et de bons contacts afin de pouvoir monter une cellule contre le radicalisme. En effet, quelques semaines après ma nomination comme bourgmestre, la Sûreté de l’État me signifiait qu’une dizaine de jeunes étaient partis en Syrie. Sharia4Belgium était très active à Vilvoorde, mais aussi à Molenbeek. Il faut savoir qu’il existe beaucoup de liens entre Vilvoorde, Molenbeek et Schaerbeek. Ces communes sont fort proches. Beaucoup de jeunes se rencontrent dans les espaces publics pour jouer au foot ou « faire des bêtises ». Des jeunes vulnérables, mais qui étaient, pour beaucoup d’entre eux, dans des organisations criminelles, le trafic de drogues, de voitures, etc.
Parmi les 28 personnes qui sont parties, la plupart d’entre eux était souvent en opposition avec leur père concernant la manière dont un musulman doit vivre et se comporter. Au début, sous l’influence de Sharia4Belgium, ils sont entrés en conflit avec leur propre mosquée, leur père et mère. Coupés de tout lien familial, ils se sont radicalisés.
Au début 2013, l’OCAM et la Sûreté m’ont informé que Vilvoorde était fiché par des instances européennes comme ville où les extrémistes recrutaient le plus de jeunes de Belgique et d’Europe. Un taux important de ces jeunes âgés de 13 à 15 ans partaient en Syrie. Et par la suite, ces mêmes jeunes, devenus des cadres au sein de Daesh, recrutaient en Belgique depuis la Syrie par internet ou d’autres moyens. Sur 28 jeunes de Vilvoorde partis en Syrie rejoindre Daesh, seuls 8 sont revenus à Vilvoorde. Sur les 8, nous suivons particulièrement deux d’entre eux, car le juge a décidé de les remettre en liberté. L’un des deux porte un bracelet électronique et se trouve sur le territoire bruxellois.
Quelles sont les mesures que vous avez prises par rapport à la radicalisation ?
J’ai mis sur pied un plan antiradicalisme, rapidement validé par le Conseil communal. Nous avons ensuite procédé à une sensibilisation auprès de différentes instances comme les écoles, la police, le CPAS, le centre d’Aide aux Victimes (CAV) ou les instances sociales.
Nous avons aussi directement impliqué les familles des individus partis en Syrie. J’ai prisbeaucoup de temps pour les accueillir et pour entendre leurs problèmes à l’Hôtel de ville. Nous les avons toujours considérés comme des victimes. Cela n’existe pas une mère qui soit fière de son garçon parti combattre en Syrie. Au contraire, ces familles sont minées par la peur de voir partir leurs autres enfants. En 2013, quand j’ai vraiment voulu mettre fin à ces départs qui prenaient de l’ampleur, des mères m’ont demandé de retirer les cartes d’identité de leur fils pour les empêcher de partir. Nous travaillons donc avec des groupes de mères de jeunes salafistes afin d’éviter qu’ils ne se radicalisent.
Nous avons aussi formé un guichet unique, où toutes les informations que nous recevons des parents ou de la mosquée sont centralisées. Le fédéral subventionne la mission de notre fonctionnaire anti-radicalisme Jessica Soors. C’est une fonction très spécifique mais aussi très délicate parce qu’elle a besoin du soutien et de la confiance de tous les groupes. Notamment celui des « flamo-flamands » car travailler de concert avec la mosquée, les immigrés, et les familles des jeunes partis au Djihad, c’est parfois pour eux très difficile à accepter.
Dans le même temps, nous avons aussi décidé d’organiser des formations pour nos policiers afin de leur faire comprendre que tous les jeunes qui portent une barbe n’étaient pas forcément radicalisés ou leur expliquer ce qu’était le ramadan. J’ai aussi formé une table-ronde mettant en contact à la fois des policiers et des jeunes salafistes qui ont déjà connus des démêlés avec la police.
Les groupes de travail collaborent efficacement, d’autant que la plupart des personnes qui les composent sont presque toutes d’origine immigrée. Ils connaissent la moitié des jeunes partis en Syrie. L’engagement de la mosquée est aussi primordial. Je peux, par un simple coup de fil, parler avec l’imam. Je constate vraiment un engagement, une militance de la part de la communauté musulmane de Vilvoorde, y compris de jeunes salafistes qui se sont engagés contre les extrémistes. Notre collaboration est vraiment structurelle et quotidienne.
Il ne faut surtout pas relâcher ce dispositif, car certains jeunes sont toujours susceptibles de partir vers la Syrie. Néanmoins, depuis le 2 mai 2014, plus aucun jeune n’a quitté la ville.