POLÉMIQUE AUTOUR DU JEUX VIDÉO : UNE CONSTRUCTION MÉDIATIQUE
Les jeux vidéo ont très vite posé question et soulevé les débats, et été qualifiés de dangereux dès leurs débuts commerciaux dans les salles d’arcade. Pas sans raison d’ailleurs, celles-ci étaient souvent liées aux Yakuzas au Japon et fréquentées par une foule interlope en Europe. Mais plus généralement, c’est le contenu des jeux, leur violence et leur puissance d’attrait qui ont fait émerger des discours alarmistes liés à une « panique morale », concept formalisé par le sociologue Stanley Cohen en 1972. Le psychologue Thomas Gaon résume ce concept comme suit : « dès qu’un nouveau médium arrive dans la société, il peut provoquer une panique morale, [c’est-à-dire] une guerre culturelle où les dominants, les aînés considèrent que cet objet culturel, ce médium constitue une menace pour la société tout entière ». Auparavant, le roman, le cinéma et la bande dessinée ont connu les mêmes phénomènes de rejet devant leur succès auprès de publics populaires et jeunes avant d’être consacrés et admis dans le cénacle de la haute Culture. Il y a donc une première explication et un premier schéma que l’on retrouve dans le parcours des médias de masse.
Ce discours sur la violence accompagne donc le développement économique des jeux vidéo, de l’arcade à la console en passant par les micro-ordinateurs, durant les années 1970 et 1980 mais demeure en retrait dans les médias puisqu’il concerne une pratique répandue mais minoritaire, passagère car liée à l’enfance, et couvertes par une technophilie aveugle rangeant tout ce qui touchait à la micro-informatique dans le même sac. Ce discours va prendre une toute autre ampleur à partir des années 1990. En plus de rendre (ou d’être) violents, les jeux vidéo sont ainsi accusés de provoquer des crises d’épilepsie, de plonger dans l’isolement social et d’encourager les usages excessifs. Comment expliquer un tel changement et une telle montée en puissance médiatique d’un tel discours ? Outre la panique morale, il faut y voir plusieurs causes. Tout d’abord, une organisation renforcée des lobbys les plus conservateurs qui sur le modèle américain arrivent à structurer et à diffuser leur discours, à l’exemple de Familles de France chez nos voisins. Ensuite, l’arrivée en 1994 de Sony avec la PlayStation impose un triple changement : quantitatif avec des budgets marketing augmentés donc à l’impact plus important, de public avec une promotion décalée ciblant les jeunes hommes de plus de 20 ans, de violence graphique avec des jeux destinés à un public adulte de par leur surenchère de gore et de mauvais goût. Enfin, la construction d’un récit médiatique (« les jeux vidéo rendent violents leurs utilisateurs les plus jeunes ») qui arrange tout le monde : sous couvert du problème clairement identifié de la violence chez les jeunes adeptes des jeux vidéo, les médias et la télévision en particulier construisent un récit construit sur la logique du bouc émissaire stigmatisé au profit de son propre public plus âgé. Public auquel s’adressent alors les politiques aux discours simples prompts à diffuser l’impression de maîtriser les problèmes sociaux en légiférant contre un ennemi identifié. Pour ces deux acteurs, les problèmes comme les solutions sont évidents, le récit se referme sur lui-même dans un cycle cause identifiée/peur socialement acceptable/solution simple. Les éditeurs de jeux quant à eux surfent sur le scandale et la publicité gratuite pour augmenter la notoriété de leurs titres auprès des plus jeunes qui les achètent d’autant plus volontiers par goût de la transgression.
« C’EST LA FAUTE AUX MÉDIAS ! »
On le voit, le changement de discours découle essentiellement de causes politiques et médiatiques. Pourtant, devant le tumulte et l’accumulation de procès, les différents acteurs de l’industrie vont s’organiser et mettre en place des signalétiques pour encadrer la diffusion des jeux et anticiper toute réglementation contraignante venant du monde politique. Aujourd’hui les deux principaux systèmes, PEGI et ESRB, donnent toutes les informations quant au contenu du jeu sur la pochette sans qu’aucune limite légale de vente ne soit imposée, la responsabilité de l’achat étant renvoyée aux parents. Fin du débat sur la violence tout en sauvegardant la liberté de vente, le jeu vidéo demeure avant tout une industrie commerciale.
Nous sommes alors au début des années 2000, la panique morale n’a pas disparu et les médias tiennent un bon sujet pour encore quelques temps malgré l’absence de preuves scientifiques et la signalétique apposée aux jeux. Comment continuer dans cette direction ? Il suffit pour cela de médicaliser le problème pour continuer à parler aux parents et à leurs peurs : après la violence, la drogue. Les jeux vidéo, toujours principalement destinés à un public jeune dans le récit médiatique et dans les normes culturelles occidentales, seront dorénavant décrits comme « addictifs » à grand renfort de mots empruntés au champ lexical des cliniques de désintoxication. Particulièrement visés, les jeux en ligne dont la conception et le caractère social empêchent toute fin (de partie).
Des milliers d’études sur le sujet vont être produites, la demande existe et les chercheurs décrochent donc des budgets privés comme publics pour se financer, régulièrement reprises par les médias qui résument le plus souvent les résultats de manière lapidaire et tendancieuse. Pourtant, dès la fin des années 2000 un même constat apparaît dans les études sur l’addiction ou sur la violence, il n’existe tout simplement pas de preuve affirmative. Les recherches démontrant l’inverse sont partielles, non reproductibles, menées sur des groupes trop petits pour être représentatifs,… En fait, le débat est tranché dès cette époque au sein du monde scientifique : aucune augmentation de la violence ou de l’agressivité n’est constatée de manière durable et répétée, aucune addiction physique ou physiologique n’existe au sens médical du terme1. Hormis quelques polémistes politiquement intéressés et épisodiquement la presse écrite en pages intérieures, ces deux sujets disparaissent de l’espace médiatique, même s’ils continuent à intéresser le monde de l’éducation.
LE MONDE DES JEUX VIDÉO, UN ENDROIT IDYLLIQUE FINALEMENT ?
Le discours médiatique majoritaire aurait-il retrouvé ses esprits ? Les médias appliqueraient-ils dorénavant aux jeux vidéo leur rigueur journalistique dont ils se gargarisent tant ? Les politiques se seraient-ils rendus à l’évidence de l’absence de preuve pour étayer ces polémiques2 ? L’industrie elle-même aurait-elle renoncé à ses excès et pratiques douteuses ? Non, loin de là.
C’est qu’entretemps la pratique des jeux vidéo est devenue majoritaire en termes démographiques3, économiques4, culturels5 et même de sexe6. Si les chiffres doivent évidemment être pris avec du recul, notamment parce qu’ils proviennent en bonne partie de l’industrie elle-même qui y injecte de nombreux biais dans sa quête de respectabilité, ils expliquent bien la difficulté à continuer à pointer du doigt un bouc émissaire aussi large. Sans compter que la puissance marketing des plus gros éditeurs mondiaux leur donne dorénavant une force de frappe à même de produire un discours consensuel répété par les médias généralistes et spécialisés. Enfin, ces éditeurs sont aussi devenus des acheteurs d’espaces publicitaires comme les autres. On ne mord pas la main qui vous nourrit… Des journalistes visiblement peu au fait du sujet se contentent donc de répéter le contenu des dossiers de presse officiels, gentiment fournis par les conglomérats vidéoludiques, où se côtoient les records financiers, les budgets hyperboliques et les comparaisons avec les blockbusters… à l’avantage du jeu vidéo qui « a enfin dépassé le cinéma ».
Pourtant, les jeux vidéo continuent à nous interroger, à soulever des questions nouvelles, à générer des pratiques problématiques, à ouvrir des perspectives dans de nombreux domaines a priori extérieurs. Sélectionnons-en deux particulièrement significatifs.
LE « #GAMERGATE », UN CONDENSÉ DES ENJEUX ACTUELS
A partir d’août 2014 commence la controverse du « #Gamergate », soit un ensemble de polémiques, scandales, harcèlements, révélations, menaces de mort, … qui agitent le monde vidéoludique des créateurs, des journalistes, des influenceurs, des forums dédiés et des joueurs. Si tout démarre d’une simple histoire d’adultère entre une auteure indépendante et un journaliste spécialisé, les différents événements, essentiellement américains, vont impliquer de nombreux problèmes du jeu vidéo jusque-là séparés : la proximité entre les journalistes et les éditeurs, la question des représentations de la femme dans les jeux et le sexisme de l’industrie, la prédominance économique et culturelle d’un discours majoritaire (blanc, masculin, militariste, impérialiste, commercial) au dépend des autres approches du média, la fermeture voire l’intégrisme de la « culture geek ».
Le « #Gamergate » prend par bien des aspects une tournure spécifiquement américaine entre « liberals » et « conservatives » mais concerne aussi l’industrie vidéoludique partout ailleurs, économie mondialisée dès ses origines. L’approche économique éclaire en effet bien le débat : si aujourd’hui tout le monde ou presque joue grâce à l’informatisation de la société et le succès des smartphones, l’essentiel des revenus provient d’un segment minoritaire des joueurs, les jeunes hommes entre 15 et 35 ans qui achètent au prix plein les blockbusters ainsi que les nombreux suppléments qui viennent s’y ajouter entre deux épisodes annualisés. Orientés vers l’action, ces jeux proposent des univers souvent réduits à la trilogie science-fiction/fantastique/guerre aux récits reproduisant les schémas hollywoodiens classiques. Ce constat peut être nuancé et l’industrie a profondément changée en 50 ans d’évolutions mais ce qui a frappé avec le « #Gamergate », c’est la violence de ces joueurs à l’égard de ces changements, des autres joueurs, de nouveaux discours notamment féministes et sociologiques à propos de leur divertissement, des autres formes de jeux majoritaires en quantité mais minoritaires en termes économiques et médiatiques.
Les « gamergaters », au-delà des menaces de mort et du cyber-harcèlement, ont développé des argumentaires tranchés expressions d’un débat social preuve des enjeux considérables générés par le jeu vidéo, enjeux proprement politiques. Ils se considèrent comme les seuls « vrais joueurs » qui refusent que des « faux joueurs » attirés par le succès d’un média « qu’ils ne comprennent pas » viennent y mettre « des questions politiques qui n’ont rien à y faire » ou produire des « non-jeux artistiques ennuyeux » alors qu’il s’agit « d’un simple divertissement ». En face, des créateurs comme Zoe Quinn, des militants et influenceurs comme Anita Sarkeesian, des journalistes, des artistes ou chercheurs prennent aussi position sur internet à travers des éditoriaux écrits et vidéo, des débats, des études, des jeux. Le résultat est souvent aussi polémique, parfois aussi fermé, mais montre la pluralité des approches, des analyses, des créations, des modèles économiques7, de la définition-même du média !
Voilà bien l’un des paradoxes de la situation actuelle : malgré cette variété et cette capacité à toucher potentiellement tous les publics, cette facilité d’accès sur tous les supports et des prix pour toutes les bourses, les blockbusters dominent plus que jamais l’espace médiatique, la captation des richesses générées et les représentations du média auprès du plus grand nombre. Si l’irruption des jeux indépendants, les « indies », il y a plus de 10 ans avait bouleversé l’industrie avec des réussites commerciales et critiques comme Minecraft, Braid, Limbo ou TowerFall, les gros éditeurs ont repris le dessus aujourd’hui. Les petits jeux sont noyés dans la masse de la production actuelle : plus de 1000 jeux édités chaque jour ! La puissance de frappe financière et marketing des géants du modèle traditionnel permet à leurs titres de se faire connaître et de monopoliser l’attention malgré la qualité largement supérieure du reste de la production. Sans même parler des jeux artistiques les plus audacieux, avec leurs hautes ambitions, leurs esthétiques et leurs univers radicaux, condamnés à la gratuité, à une certain confidentialité ou aux échecs commerciaux à répétition. L’ouverture des structures culturelles de financement, avec l’avance sur recettes en France, et d’accueil, comme le MOMA à New-York et sa collection de jeux ou la Gaîté Lyrique à Paris et son travail de médiation, proposent néanmoins des pistes. Et de nouvelles questions à propos des risques d’institutionnalisation ou de cloisonnement au public habitué des espaces culturels…
« LE JEU, CE N’EST PAS SÉRIEUX » : JEU VIDÉO ET ÉDUCATION
Dans la plupart des cultures et chez la plupart des mammifères, jeu et éducation sont intiment liés. Et pas seulement pour des raisons d’âge, l’enfant reproduirait le monde des adultes par le jeu pour le comprendre, raisons qui limite le jeu au savoir puéril qu’il faut mettre de côté lorsque le véritable savoir est enfin abordé à l’aube de l’adolescence8. Plus profondément, l’importance du jeu dans l’éducation, la formation, la constitution d’une culture est bien connue depuis deux ouvrages fondateurs : Homo Ludens et Le Jeu9. L’un comme l’autre montrent les parallèles entre les éléments fondamentaux du jeu et ceux des religions (auxquelles le jeu est souvent historiquement lié), des structures sociales comme règles canalisant les échanges entre participants, des espaces de résolution des conflits (tribunaux, fêtes, …) à la manière de la désignation des gagnants au terme d’une partie, …
L’évidence serait de mettre en place des cours d’analyse du média auprès des jeunes puisqu’il constitue leur principale activité culturelle. Si les programmes scolaires débordent de bonnes intentions sur « l’esprit critique à inculquer » aux jeunes pour qu’ils « deviennent des citoyens pleinement conscients de leurs actes », peu de choses concrètes sont proposées, à commencer par la critique des médias pourtant cruciaux dans un monde largement médiatisé et numérisé. Comprendre la construction d’un jeu vidéo, ses mécanismes, ses spécificités, la manière dont il s’exprime notamment par l’importance cruciale du gameplay, déconstruire le modèle économique et médiatique mis en place par les éditeurs ainsi que le marketing ou l’obsolescence au cœur de cette « économie du désir », … tout cela aurait du sens dans un cadre scolaire et plus large dès aujourd’hui. Mais il ne s’agit pas seulement de comprendre et d’éduquer au jeu vidéo, il y a sans certainement plus fertile encore à utiliser le jeu comme outil d’apprentissage, d’éducation et de formation.
Comme outil, le jeu vidéo, et plus largement les différentes formes de jeu, possèdent de nombreux atouts et qualités. Tout d’abord, le jeu vidéo possède l’avantage d’être un média doublement populaire : à la fois quantitativement mais aussi en termes sociaux. Contrairement aux autres médias liés à la « grande culture », considérés comme artistiques, l’apprenant issu des couches populaires ne se sent ni rejeté, ni jugé par le jeu vidéo dont l’image est surtout associée au divertissement. Cette image positive permet un travail formatif plus ouvert et détendu, jusqu’à aborder des thèmes et des questions très complexes sous couvert de la légèreté du jeu vidéo10. Ensuite, le jeu vidéo est le plus souvent mieux maîtrisé par les étudiants que par les enseignants ce qui redistribue les rapports d’autorité en horizontalisant la maîtrise des savoirs. Phénomène particulièrement important dans l’enseignement secondaire où les élèves prennent en assurance et dispensent à leur tour un savoir jusque-là jamais mobilisé ou dévalorisé11. Ce genre d’attitude active correspond parfaitement à cet enseignement dorénavant centré sur les compétences, compétences mobilisées dans les jeux vidéo dont l’essence se trouve, contrairement aux autres médias, dans l’interactivité. Or, la participation à la construction du savoir l’enracine plus profondément dans l’apprenant, lui donne un rapport plus positif à cet apprentissage et correspond mieux à l’organisation sociale contemporaine. Il y a aussi les expériences pédagogiques à l’étranger. Avec bien sûr des serious games (des jeux vidéo visant à la formation à l’aide des codes vidéoludiques) conçus dès le départ pour la formation d’enfants, d’adolescents ou d’adultes. Mais de manière plus originale, l’utilisation de jeux commerciaux dans un cadre pédagogique à l’image de celle développée par Tobias Staaby, ce professeur d’éthique en Norvège. Ses élèves jouent ainsi à la série Walking Dead (Telltale Games, depuis 2012), des jeux qui se caractérisent par les choix moraux que doivent poser le joueur, puis ils travaillent ensemble les choix de chacun, leurs causes et leur justification. L’intérêt est multiple :
- Les apprenants sont en terrain familier puis qu’ils utilisent un jeu auquel ils ont déjà joué ou dont ils connaissent les conventions pour pratiquer les titres du même genre en-dehors de tout cadre pédagogique.
- L’interaction donne un visage concret et immédiat à l’abstraction de l’éthique et le cadre ludique imprime de la légèreté à une discipline parfois aride, et les élèves en arrivent même à déconstruire les mécanismes de gameplay (c’est-à-dire l’ensemble des mécanismes interactifs mis à disposition du joueur pour agir) mis en œuvre pour les faire réfléchir.
- Autre argument, la capacité d’expérience vécue que proposent les jeux vidéo. C’est-à-dire que les joueurs/étudiants « vivent le sujet », ce qui les implique d’autant plus et leur permet de partir d’une expérience vécue pour aller vers l’abstraction du savoir. Tout enseignant a déjà rencontré cette situation où un exemple permet aux élèves de rentrer dans la théorie. Les jeux vidéo offrent le même effet en l’accentuant d’autant plus que les élèves ont « vécu » l’exemple à travers le jeu. Sa puissance immersive implique plus profondément le participant, permet une exemplification forte en particulier par rapport à l’abstraction de la matière qu’elle rend moins aride pour donner à voir et à vivre l’altérité.
- Dernier argument, l’échec dans les jeux vidéo n’est pas pénalisant en lui-même et la virtualité des conséquences dans la plupart des titres encourage l’expérimentation et la curiosité sans crainte de conséquences scolaires négatives. C’est tout simplement pousser la logique scolaire du « droit à l’échec », celle qui sous-tend les exercices en classes ou la cotation formative, celle qui dit qu’à l’école on peut se tromper pour avancer et trouver le bon chemin. L’échec n’est plus une erreur pénalisante mais au contraire une source d’enseignement et d’amélioration.
INVESTIR LE JEU POUR INVESTIR LE MONDE !
Le jeu vidéo, une industrie commerciale de divertissement, des productions plus originales par de petites équipes dévouées, des œuvres d’auteur au modèle économique vacillant, des œuvres personnelles underground gratuites, une scène créative boostée par la facilité de diffusion/nouveaux outils/usages propres comme la game jam, de nombreuses associations de « retrogaming » qui ont constitué des fonds voire des quasi-musées contre la volonté des éditeurs et des constructeurs, un jeu vidéo professionnel devenu spectacle aux enjeux médiatiques et financiers gigantesques, les mondes de la création artistiques et de la recherche scientifiques qui ont investi depuis au moins une décennie le média,… Au regard de toutes ces pratiques, cela fait longtemps qu’il faut parler des jeux vidéo.
Loin de se réduire aux seuls blockbusters, les jeux vidéo, portés par des petites structures et des initiatives personnelles, ont déployé leur potentiel culturel, créatif, artistique et universitaire dans d’innombrables projets. Il reste encore de nombreux domaines où ce potentiel reste à orienter afin que ce média ne reste pas entre les seuls mains de gigantesques structures commerciales. Il reste beaucoup à faire, particulièrement dans une optique progressiste, pour établir des ponts entre la création vidéoludique indépendante et le grand public.
Le jeu vidéo a déjà gagné mais le monde ne le sait pas encore. Reste à savoir quel jeu vidéo. Et cela est entre nos mains dès à présent.
- Ce qui n’exclut pas pour autant les pratiques problématiques et la surconsommation. Un nombreux certain, mais restreint, de jeunes ont un rapport douloureux avec le jeu qui représente une fuite d’autres problèmes. Des aides existent, des cellules de soutien et des thérapeutes spécialisés peuvent aider. Comme le résume le psychologue Thomas Gaon : « Si l’on joue tout le temps, on passe à côté de sa vie. Le jeu doit rester un loisir ».
- Début 2015, la future candidate à la présidence des Etats-Unis Hillary Clinton fait diffuser sur les réseaux sociaux une photo d’elle en train de jouer à la Gameboy, après avoir pourtant été l’un des fers de lance de la critique des jeux vidéo dans son pays. Mais voilà, entretemps la pratique est devenue majoritaire auprès de son électorat et des influenceurs des médias numériques si utiles à Barack Obama en 2008…
- Selon une enquête du CRIOC de 2011 pour la seule Belgique, 79% des jeunes et plus de 50% des adultes jouent.
- Avec un chiffre d’affaire en 2014 de 70 milliards de dollars, ce qui le place devant le cinéma et la musique.
- La fameuse « culture geek » au cœur des blockbusters hollywoodiens depuis le début des années 2000.
- De nombreuses études affirment depuis une décennie que la moitié des joueurs sont… des joueuses. Si ce nombre est clairement surévalué, notamment en termes de pratique et d’investissement financier, le jeu vidéo peut toutefois être qualifié de culture mixte aujourd’hui. Une savoureuse anecdote l’illustre : en 2009, la chaîne américaine CBS met fin au feuilleton Guiding Light après 57 ans de diffusion en raison d’une chute vertigineuse des audiences de son public dédié, les femmes au foyer et les retraitées… parties jouer aux jeux sociaux sur Facebook ! (Sources)
- Un mot sur les « Free-to-Play » ou F2P, jeux prétendument gratuits mais farcis de micro-transactions qui facilitent la vie du joueur prêt à payer pour éviter les temps d’attente ou acquérir des objets plus puissants. Le célèbre Candy Crush Saga a développé ce modèle avec un succès planétaire et une éthique… souple. En effet, la plupart de ces F2P ne sont souvent que des machines à sous déguisées dont les mécanismes ludiques se réduisent à leur plus simple expression et qui analysent en temps réel les joueurs pour adapter la difficulté afin d’optimiser la probabilité de leur passage à la caisse.
- Ce qui explique aussi pourquoi, dans la construction publique majoritaire, la violence des jeux vidéo pose un tel problème : ceux-ci restent en effet associés à l’enfance de par le mot « jeu ». Alors que ces titres violents ou matures ne sont tout simplement pas destinés aux plus jeunes. De manière amusante, les créateurs de jeux vidéo se déclarant artistes et les institutions culturelles intégrant des installations vidéoludiques cherchent souvent à évacuer ce mot « jeu » de leur communication, comme si les notions enfantines qui y sont liées empêchaient les œuvres d’atteindre les sommets de la Culture et de l’Art en majuscule.
- Johan Huizinga, Homo ludens – Essai sur la fonction sociale du jeu, 1938 et Jacques Henriot, Le jeu, 1969
- J’ai moi-même pu expérimenter cette caractéristique en réfléchissant avec des élèves autour de la notion d’interdit à propos de la classification d’âge des jeux vidéo. Ou à propos de la notion de guerre juste avec les jeux d’action Call of Duty (Activision, depuis 2003) dont certains épisodes placent le joueur dans le rôle d’un soldat occidental envahissant un pays du Moyen-Orient. Et j’ai aussi pu voir des élèves construire des raisonnements philosophiques en parlant de leur jeu vidéo de football préféré alors qu’ils se pensaient incapables d’abstraction.
- Lors de la Quinzaine des Médias que nous avons organisée à Charleroi entre le 22/11/13 et le 6/12/13, nous avions reçu le philosophe Mathieu Triclot pour parler de la philosophie dans les jeux vidéo devant plusieurs classes de rhétorique. Lorsque les élèves ont pris la parole, ils ont développé une vraie connaissance historique du média, une pensée complexe sur les thèmes de jeux artistiquement plus ambitieux et ont tout simplement parlé de la philosophie dans les titres qu’ils pratiquaient. À la grande surprise de tous les adultes, enseignants comme organisateurs.