Jeux vidéo politiques, un outil d’éducation populaire

 Image du jeu McDonald's Videogame, créé par Molleindustria

Long­temps, le jeu vidéo, et par­ti­cu­liè­re­ment celui sou­te­nu par les grands construc­teurs, a vou­lu se défi­nir comme une simple indus­trie du diver­tis­se­ment. Et pour­tant, la poli­tique l’a tou­jours accom­pa­gné. Jusqu’à por­ter un dis­cours progressiste ?

Le jeu vidéo a tou­jours été lié au poli­tique de près ou de loin. Né dans les labo­ra­toires de recherche infor­ma­tique liés au com­plexe mili­ta­ro-indus­triel, il dépend dès ses pre­mières heures des deniers publics géné­reu­se­ment attri­bués pour cause de Guerre froide.

Comme sup­port cultu­rel, une poli­ti­sa­tion impli­cite a tou­jours par­cou­ru le média avant de deve­nir beau­coup plus expli­cite avec l’arrivée de la 3D et en par­ti­cu­lier des jeux d’action mili­taires. Une série à suc­cès comme Call of Duty (Acti­vi­sion, depuis 2003) repro­duit par exemple le dis­cours néo­con­ser­va­teur amé­ri­cain en vogue dans les années 2000. Au-delà, les uni­ver­si­taires s’emparent du média pour don­ner à com­prendre cette poli­ti­sa­tion dès les années 90 aux États-Unis, puis la décen­nie sui­vante avec l’OMNSH en France et enfin le Lab JMV en Bel­gique fran­co­phone depuis 2014. De manière plus mar­quée encore, les mili­tants pro­gres­sistes inves­tissent aus­si le ter­rain dans les années 2000, contes­tés à par­tir de 2014 par une mili­tance conser­va­trice qui se struc­ture autour du mou­ve­ment «#gamer­gate »1

DES JEUX POLITIQUES, PAS FORCÉMENT PROGRESSISTES

C’est enten­du, les jeux vidéo sont un objet poli­tique, comme l’affirmait notre dos­sier « Jeu vidéo : loi­sir mul­tiple, objet poli­tique » paru dans notre numé­ro 43. Mais sont-ils pour autant deve­nus un lieu de débat poli­tique, voire un vec­teur d’expression pro­gres­siste ? Les créa­teurs « indés » publient des jeux sou­vent auto-édi­tés, gra­tuits ou à prix libre, rem­plis d’audace et d’innovation et majo­ri­tai­re­ment pen­sés autour des ques­tions indi­vi­duelles ou socié­tales, loin de la poli­tique clas­sique. Mais l’individu n’est-il pas, pour le meilleur et pour le pire, le champ poli­tique des années 2000 et 2010 en Occi­dent ? À remar­quer pour­tant, le tra­vail du cher­cheur et ani­ma­teur socio­cul­tu­rel belge Pierre-Yves Hurel qui inter­roge avec son jeu vidéo #JEUDEBOUT la pos­si­bi­li­té de faire de la poli­tique en jouant et d’explorer les moda­li­tés de prise de parole déve­lop­pées par le mou­ve­ment poli­tique d’occupation des rues Nuit Debout.

Du côté de stu­dios indé­pen­dants comme Dowi­no, 11 bit Stu­dios, The­Pixel­Hunt, Mol­lein­dus­tria, Osmo­tic Stu­dios, des titres fran­che­ment poli­tiques traitent de sujets com­plexes (les liber­tés numé­riques, les droits humains pen­dant les conflits ou encore la place des han­di­ca­pés) au sein de jeux forts, ludiques tout en étant sou­vent sombres ou à l’ironie grin­çante, des expé­riences qui ne laissent pas indemnes. On remar­que­ra le fait qu’une majo­ri­té de ces stu­dios poli­ti­sés sont issus du Vieux Conti­nent, et en par­ti­cu­lier de France, comme le reflet d’une autre culture et sur­tout d’autres sources de finan­ce­ment que les seules indus­tries commerciales.

UN MÉDIA PUISSANT POUR S’AMUSER MAIS AUSSI INTERPELLER

Entre les deux mondes, les struc­tures asso­cia­tives elles-mêmes voient de nom­breuses ini­tia­tives poli­tiques et sociales émer­ger avec sou­vent un cré­do com­mun sui­vant lequel les jeux vidéo sont un média puis­sant capable tout à la fois d’amuser, de faire pen­ser, de tou­cher voire de remuer ceux qui les pra­tiquent. On pour­ra citer Games for Change, Game Impact, Kiss Your Tea­cher ou encore la Média­jam sou­te­nue par La Belle Games et… Média­part. Média­jam est un tra­vail de col­la­bo­ra­tion entre jour­na­listes et concep­teurs qui a don­né lieu à la pro­duc­tion de toute une série de jeux met­tant en scène la rela­tion entre médias et monde poli­tique, inter­ro­geant gou­ver­ne­men­ta­li­té et élec­tions pré­si­den­tielles fran­çaises à venir. Qu’un média aus­si pres­ti­gieux et poli­ti­que­ment mar­qué que Média­part s’engage dans une telle ini­tia­tive illustre bien les chan­ge­ments concep­tuels qui s’opèrent et les rap­pro­che­ments à venir entre acteurs d’univers très différents.

Un jeu vidéo expli­ci­te­ment poli­tique s’est affir­mé depuis une dizaine d’années, pour le meilleur et pour le pire. Si les plus grandes struc­tures défendent sou­vent une vision clas­sique voire conser­va­trice du réel, les « indés » osent pour leur part des thé­ma­tiques socié­tales fortes tan­dis qu’émergent depuis peu des jeux poli­ti­que­ment mar­qués à gauche qui offrent des expé­riences fortes, immer­sives, ludiques et propres à déclen­cher chez les joueurs un regard cri­tique. Une forme bien­ve­nue d’éducation popu­laire à tra­vers un média pop et cen­tré sur le faire.

QUELQUES EXEMPLES DE JEUX ENGAGÉS

Pao­lo Per­der­ci­ni, prin­ci­pal force vive du site Mol­lein­dus­tria, mar­xiste reven­di­qué et l’un des seuls créa­teurs vidéo­lu­diques poli­ti­que­ment affir­més, crée régu­liè­re­ment depuis 2003 des jeux gra­tuits jouables sur son navi­ga­teur inter­net. Ceux-ci ques­tionnent aus­si bien un sujet d’actualité que des thé­ma­tiques socio­po­li­tiques ou le dis­cours poli­tique d’autres jeux vidéo. Une réfé­rence. De son côté, le créa­teur Lucas Pope, après avoir long­temps tra­vaillé pour de gros stu­dios, tente l’aventure indé­pen­dante en 2010 et sort Papers,Please trois ans plus tard. Ce simu­la­teur d’administration réus­sit le tour de force, en pla­çant le joueur dans le rôle d’un garde-fron­tière face à une crise huma­ni­taire, de le confron­ter à des dilemmes moraux dra­ma­tiques et de lui faire tou­cher du doigt la bana­li­té du mal chère à Han­nah Arendt. Réa­li­sé en 2014 par les Polo­nais de 11 bit stu­dios, This War of Mine pro­pose la ges­tion d’un groupe de civils dans un conflit ins­pi­ré du siège de Sara­je­vo (1992 – 1996). Très sombre, ambiance encore ren­for­cée par des gra­phismes en noir et blanc, le jeu com­bine avec talent ques­tions éthiques, ges­tion morale et pro­pos paci­fiste, ce qui ne l’empêcha nul­le­ment de ren­con­trer un grand suc­cès. Pea­ce­ma­ker (Impact Games, 2007) est l’un des tout pre­miers serious game et aus­si l’un des plus réus­sis. À la tête de l’État israé­lien ou pales­ti­nien, le joueur doit construire une paix réelle en évi­tant toute relance du conflit. Par son por­trait com­plet des dif­fi­cul­tés de la situa­tion, le titre offre une éton­nante immer­sion dans un sujet com­plexe. Devant son suc­cès péda­go­gique, les auteurs ont d’ailleurs ren­du le jeu gra­tuit. Enfin, signa­lon­sé­ga­le­ment Cart Life (Richard Hof­meier, 2011), un simu­la­teur de tra­vailleur pauvre, Sep­tem­ber 12th (Newsgaming.com, 2006), une satire grin­çante de la guerre contre le ter­ro­risme de George W. Bush, et Pas­sen­gers (Nerial, 2015), où le joueur tient le rôle d’un pas­seur de migrants illégaux.

  1. À pro­pos de cette contro­verse met­tant à jour un conflit entre un cou­rant réac­tion­naire d’une part et un cou­rant pro­gres­siste d’autre part dans la com­mu­nau­té des « gamers » (c’est-à-dire des joueurs de jeu vidéo les plus impli­qués) voir notre article « Jeux vidéo : polé­miques, enjeux et pers­pec­tives ».

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