Quelles peuvent être les conséquences de la montée de la N‑VA sur les politiques culturelles en Flandre ?
Je n’ai pas envie de me focaliser uniquement sur la N‑VA. Je vois une crise européenne plus générale. La globalisation et la situation économique mondiale font très peur aux gens un peu partout en Europe. Il y a un repli sur soi et une tendance à faire des choix électoraux de droite qui remettent en question la notion même de solidarités entre communautés. Cela se vit fortement en Flandre.
Dans le monde artistique, comment vit-on ce repli identitaire ?
Je suppose que les gens ont un peu peur mais pas forcément de la N‑VA. Je ne trouve d’ailleurs pas qu’il faille en avoir peur. Il faut être très clair : la N‑VA est un parti démocratique avec un projet politique tout à fait légitime. Que ce soit au niveau de son programme politique ou du discours de Bart De Wever, la N‑VA n’est pas un parti raciste. On pourrait presque dire que la montée de la N‑VA en affaiblissant le Vlaams Belang est une bonne chose. En même temps, je crois qu’en Flandre, il y a quand même une fâcheuse tendance à développer un discours de plus en plus nationaliste, de plus en plus flamand, poussant vers un repli sur soi. Tout cela conduit à ce que certaines conceptions du vivre ensemble, qui me sont très chères, deviennent de plus en plus problématiques. C’est une chose que je ressens fortement depuis 10 ans, tous partis politiques confondus. La N‑VA se distinguant en poussant ce discours toujours plus loin.
Je dirais qu’il y a aussi le rapport de la Flandre avec une ville comme Bruxelles, multiculturelle et multilingue. Un centre culturel comme le KVS, fortement subventionné par la Communauté flamande, a fait le choix de mettre cette ville et cette réalité multiculturelle et multilingue au cœur de son projet artistique. Ce projet, je dois l’expliquer et le défendre de plus en plus. C’en est même un peu angoissant ! Et en même temps, cela montre que ce projet est plus pertinent que jamais. Il y a de moins en moins d’espace dans le débat public en Flandre pour un discours qui prône le vivre ensemble. Et cela, les artistes et le secteur culturel le ressentent clairement depuis quelques années.
Par exemple ?
Un exemple parlant est celui de la manifestation « Pas en notre nom » en Flandre. Il s’agissait d’une manifestation d’une cinquantaine d’artistes flamands qui après les élections législatives, au beau milieu de la crise de la construction du Gouvernement fédéral et le blocage institutionnel ont dit : « Pas en notre nom », nous ne voulons pas de cette impasse, nous estimons qu’il faut continuer à dialoguer, à pouvoir travailler ensemble, qu’une solidarité entre communautés linguistiques en Belgique n’est pas quelque chose à détruire ou à remettre constamment en question. Tous ces artistes étaient des gens reconnus comme Tom Lanoye ou Alain Platel, le KVS avait simplement accueilli cet événement. Eh bien, nous avons été très fortement attaqués pendant six mois par l’ensemble du monde politique. Des académies, des médias, des gens à l’intérieur du monde culturel ont posé ouvertement la question : « Le KVS devait-il s’exprimer de cette façon ? ». Ils estimaient qu’un théâtre devait faire du théâtre, que cette manifestation était un événement politique et qu’il n’avait donc pas sa place sur nos plateaux. En clair : « Faites votre travail artistique et laissez la politique aux politiques, sinon cela détruira votre crédibilité artistique ». Personnellement, je ne partage pas du tout cette conception du théâtre et d’une institution comme le KVS.
Face aux critiques des politiques, de plus en plus d’artistes, d’organisations et de centres culturels se retirent de ce débat et se taisent. C’est en partie dû à la crainte qu’après les prochaines élections en juin 2014, il y aura une majorité (et pas seulement la N‑VA) qui tiendra un discours très flamand, pas pro-Bruxelles. Très probablement, la culture ne sera plus défendue et soutenue comme elle l’est encore aujourd’hui en Flandre. Mais se retirer du débat politique n’est pas une bonne attitude. Le risque pour le monde culturel après juin 2014 est certes bien réel mais cependant, ce risque existera quelle que soit la nouvelle majorité. Adopter une position très visible et très centrale dans la société me parait la meilleure façon de se prémunir. Si on prend le pli de se taire, personne ne saura que nous existons. Cela créera de l’indifférence qui ne nous sera aucunement utile dans les années qui viennent.
Vous préparez une réponse à cette indifférence ?
Tout le projet du KVS essaie d’être dans une dynamique de défense d’un projet culturel très lié à une vision urbaine, du vivre ensemble dans notre ville et dans notre société en général. Nous défendons un projet qui part du travail des artistes avec l’ambition de ne pas nous enfermer dans un monde artistique restreint, de ne pas travailler dans notre petit milieu avec toujours les mêmes publics, en s’auto-valorisant entre-nous. Je crois que chaque projet artistique fort doit avoir une dimension qui va au-delà de ce qui est purement artistique, qui essaie d’ajouter quelque chose au vivre ensemble, même si c’est d’une façon poétique.