La culture, l’art, l’esthétique, est-ce un moment de détente pour toi ou bien est-ce aussi une inspiration qui t’aide dans ton combat politique ?
Cela a été même presque plus que cela. Cela a été au commencement de tout ce qui a fait de moi ce que je suis à l’heure actuelle. Je l’ai souvent dit, je viens d’un milieu très modeste et je me souviens que le contact avec la culture a été pour moi essentiel. Je suis la seule à avoir fait des études universitaires dans ma famille. Ce n’est pas un milieu qui amenait naturellement vers la culture. Je me dois de dire ce que je dois, notamment aux livres.
Un roman Nina Berberova ?
Avant Nina Berberova. Je lis toujours beaucoup et tout le temps, mais il y a des livres qui ont été des moments-clés de mon existence.
Lesquels ?
Quand j’étais très jeune, Molière, bizarrement. Molière parce que c’était une découverte inimaginable avec une description de gens qui me sortaient de mon milieu avec des peintures d’individus qui étaient pour moi un choc. J’ai vraiment adoré.
Et puis effectivement, à la fin de l’adolescence, je crois que cela a été la découverte de Nina Berberova. Je n’adore pas les romans que je trouve assez noirs avec des peintures assez sombres. Par contre, c’est son autobiographie « C’est moi qui souligne », qui est extraordinaire dans la maîtrise d’une vie. Ce sont les choix qu’on fait à titre individuel, sur la maîtrise que l’on doit avoir sur sa propre vie. Cela a été un vrai choc.
Et aujourd’hui, qu’est-ce que tu lis tranquillement le dimanche ou entre les conseils des ministres ?
Je lis rarement des essais politiques, je suis déjà là-dedans toute la journée et j’ai besoin d’un peu de recul. Je viens de terminer un livre « La Dolce Vita » de Simonetta Greggio, sur l’Italie de 1959 à 1979. Je le recommande. C’est exceptionnel et il donne toute une série de clés pour comprendre Berlusconi et l’Italie d’aujourd’hui. Simonetta Greggio est une journaliste. Elle prend des extraits de films, notamment de la Dolce Vita, elle parle de Pasolini, de la loge P2, de tout ce qui a bouleversé l’Italie. C’est vraiment très intéressant.
Mais avant cela, j’ai eu une période un peu particulière. Dans le Nouvel Observateur d’il y a quelques mois, on parlait des génies contemporains et dans ces génies on parlait de Jacqueline de Romilly qui est décédée il y a peu. J’ai donc eu ma période grecque pendant trois mois. C’est inimaginable et en même temps, c’est tellement le berceau de toute l’Histoire. Hérodote et Thucydide, la démocratie. C’est extraordinaire !
Mais je ne fais pas que dans la Grèce, j’aime aussi les livres comme « La Soupière chinoise » qui est un vrai roman policier. On reste en haleine jusqu’au bout pour savoir qui est le coupable. Les « Millénium », les Camilla Läckberg, j’adore, je me plonge là-dedans. J’ai lu aussi « Katiba » de Ruffin, on vient de le revoir dans une émission avec Franz-Olivier Giesbert, La semaine critique, avec Nicolas Bedos.
J’ai lu aussi « Le Chagrin et la Grâce » de Wally Lamb. C’est assez intéressant puisque c’est aussi tout un travail autour de ce qui s’est passé à Columbine ou « Le chagrin » de Lionel Duroy qui se passe pendant la guerre.
Je lis un peu de tout et quand je n’ai pas le temps d’aller à la librairie pour voir ce que je vais lire, je n’ai qu’à puiser dans ce que Marc a toujours sur sa table de nuit.
Et donc, cela t’inspire aussi dans ton action politique ? Il y a un lien d’une certaine manière même s’il est difficile à exprimer entre la littérature et la politique ?
C’est évident, cela ouvre l’esprit, cela permet de prendre du recul. Il y a la lecture, mais des films aussi. J’aime beaucoup le cinéma même si je n’ai plus trop le temps d’y aller.
Un film qui t’a particulièrement marqué ?
Je vais en dire trois. Indissociablement, ces films m’ont formé. C’était « Jonathan Livingston le goéland », « 1900 » et « Z », le film de Costa-Gavras. Ceux-là m’ont vraiment formé. Je continue à beaucoup aimer les films. Il y a des films pour lesquels je suis en mésentente parfaite avec mon mari qui les déteste tous les uns après les autres. Ce sont les films de Lars von Trier qui m’attirent beaucoup, sur la rédemption par exemple. Les trois films que je t’ai cités m’ont vraiment formé comme les bouquins.
Le milieu dans lequel j’ai vécu au niveau culturel, de la peinture, à l’architecture, n’était pas ouvert à la diversité et quand je suis arrivée à la fin du secondaire, j’ai connu des gens d’un tout autre milieu. Je me souviens avoir vu chez mon copain une peinture d’Alechinsky. Je me souviens m’être énervée sur lui en disant : « qu’est ce que c’est cela et cela se vend cher ». Je ne comprenais pas. Je le regarde maintenant et je l’adore.
On avait été à Paris à Beaubourg. Je disais : « comment peut-on exposer cela ? » Et petit à petit, on m’a fait connaître cette forme d’art. C’est la tolérance. Cela ouvre véritablement l’esprit.
Et dans la musique, dans la chanson ?
Mon père est un self-made-man. Il a appris seul le piano et tous les dimanches il jouait du Chopin, du Strauss. J’ai donc découvert la musique classique grâce à mon père. Et aussi des opérettes comme « La Veuve joyeuse ».
Puis, j’ai appris à découvrir d’autres auteurs qui correspondent plus à mon tempérament. J’aime les auteurs russes comme Rachmaninov et Tchaïkovski. C’est puissant, cela bouge dans tous les sens.
Et dans la chanson moderne aujourd’hui, qu’y trouves-tu par rapport à ton adolescence ou ta vie d’adulte où il y avait tous les chanteurs engagés, Lavilliers, Béranger, Rapsat ?
Il y a eu plusieurs périodes. J’ai d’abord vécu à Ougrée pas loin de Tilleur. Pourquoi je dis cela ? Parce que quand j’étais très jeune, Frédéric François, Sandra Kim habitaient juste le village d’à côté. Puis petit à petit, cela a changé. J’étais là évidemment quand Béranger est venu en concert.
Maintenant, je trouve qu’il y a une belle chanson française qui se développe. C’est un lieu commun mais j’aime beaucoup les chansons de Bénabar.
Une série TV américaine ?
« Maison blanche », c’est ma série culte ! J’ai dit que je n’avais plus tellement le temps d’aller au cinéma et donc, soit je regarde des films à la maison quand je reviens tard le soir, soit des séries comme « Maison blanche » qui sont absolument exceptionnelles. Il faut que les gens voient cela. Cela permet de décoder toute la politique américaine. On a l’impression de vivre l’avènement d’Obama. C’est une équipe autour du Président et on comprend bien les relations entre le Congrès, le Sénat et la Maison blanche. Mais depuis lors, j’ai regardé la série « Carlos » d’Olivier Assayas qui vient d’être primée. Un autre film que j’ai apprécié, c’est « L’armée du crime » de Guédiguian. Et « Les piliers de la Terre » de Ken Follett.
La culture, c’est aussi une autre civilisation, de beaux voyages. Ce sont les rencontres avec de nouvelles cultures, dans un monde qui est homogénéisé par la culture anglo-saxonne ?
C’est vraiment chercher la différence. C’est être confrontée à autre chose, à une autre culture, à un autre soi. Je vais donner peut-être l’exemple qui m’a le plus frappé. C’est le désert. C’est particulier mais on est confronté à soi-même dans des moments d’immensités splendides. Cela apporte beaucoup. On voit de vraies sculptures par la nature. Les Giacometti, le matin quand tu te réveilles, tu les vois devant toi. Toutes ces roches balayées par le vent.
Mais est-ce que je pourrais vivre sans livres, sans films, non je ne pourrais pas !
Les nouveaux médias, Facebook, Twitter, ont joué un rôle très positif au Moyen-Orient. Mais c’est aussi un outil d’atomisation, d’individualisation, très superficiel. Ton sentiment ?
Un peu tout cela en même temps. J’ai souvent dit le rôle que cela a joué au Moyen-Orient. Dans l’ensemble des pays arabes maintenant, c’est assez exceptionnel. On peut être critique sur Wikileaks mais c’est quand même assez intéressant. Par contre, cela provoque énormément d’isolement chez les ados, de rupture sociale. Et puis surtout, je me pose la question du rapport au temps. La patience disparaît. On attendait une lettre. On l’a dans la seconde. La réflexion est contractée, le temps est contracté. Avant, on n’avait pas de téléphone portable. C’était il n’y a pas si longtemps. Quand j’ai commencé la politique, je n’avais absolument pas d’ordinateur, de BlackBerry, et maintenant je me rends compte que je fais plusieurs choses à la fois. Je négocie, je regarde mes mails qui arrivent, je suis prête à réagir à tout. Ce n’est pas bon. Je pense que l’on n’a pas fini de réfléchir sur cette contraction du temps et ses conséquences sur la vie.
Olivier Poivre d’Arvor vient d’écrire un très beau livre sur la culture qui s’appelle « Bug made in France, histoire d’une capitulation culturelle ». Qu’est-ce que tu penses de ce qu’on appelle le Mainstream, c’est-à-dire la culture anglo-saxonne qui est en train d’uniformiser le monde et les résistances difficiles que l’Europe met en œuvre ? Un exemple : une vache européenne est subventionnée 1.000 fois plus par l’Union européenne qu’un créateur européen.
C’est une mauvaise politique. Nous sommes en position défensive. C’est vrai que l’on s’est bien défendu au niveau européen quand il s’est agi que la culture soit protégée contre les règles habituelles de concurrence européenne et contre une intégration notamment via la directive « Services ». Il y a là une défense active qui a donné des résultats, mais je pense qu’il faut partir à l’offensive. Mais pour cela, il faut être fier de sa propre culture.
Quand on m’interroge par exemple pour le moment en disant « c’est quoi la Belgique ? » « Est-ce que cela a encore un sens ? » On a un modèle particulier, un modèle social de bien-être, on a une aventure commune et on a surtout un génie créateur commun. La Belgique est absolument extraordinaire dans à peu près toutes les disciplines. Quand tu vois au niveau de la peinture, c’est quand même la peinture belge qui amené la lumière. La plupart des grands peintres italiens reconnaissent notamment l’apport de Van Eyck. Quand tu vois qu’on est le berceau du surréalisme. Partout ! Dans la BD, dans la chanson, dans l’architecture, Horta !
Je pense qu’il y a un génie belge de la création, mais si tu le demandes aux gens, ils ne le savent pas ou ne le reconnaissent pas comme belge. Il faut affirmer une plus grande fierté qui fait de nous ce que nous sommes.
J’étais très fière quand dernièrement, pour un commentateur russe, la Belgique, c’est « L’Oiseau bleu » de Maeterlinck !
Pour en revenir à ta question, oui je crois qu’il faut passer de la défensive où je trouve qu’on a bien travaillé, à l’offensive et à la fierté de cette culture qui nous a fait ce que nous sommes.
Certains disent que la culture est par essence non démocratique, qu’elle est élitiste et aristocratique. Comment émanciper quand on sait que les gens lisent très peu, qu’ils regardent surtout les séries télévisées ou bien qu’ils écoutent des chansonnettes ? Est-ce que l’école par exemple devrait consacrer plus de place à l’enseignement artistique, à la sensibilité à tous ces courants-là ? Pas toujours les sciences, les mathématiques, le quantifiable, l’économique ? Quel est ton sentiment ?
Je suis encore maman d’ados et d’une petite fille. Elle a été dans une école à discrimination positive. On ne peut pas dire que ce soit une école élitiste. Et bien les moyens qu’ils avaient en discrimination positive, ils les utilisaient pour la culture. Donc elle est allée, je ne sais pas combien de fois, au théâtre, au cinéma, et je trouve cela exceptionnel. Elle revenait à la maison, elle faisait des peintures, par exemple, à la Miró, à la Pollock. C’est certainement le moyen le plus intéressant dans les milieux de socialisation, de favoriser les visites de musées. C’est parfois chiant une visite de musée pour des gosses mais il faut trouver des formes pour les intéresser.
Je me souviens que j’emmenais mes enfants dans de petits voyages et je passais dans un musée. Il y a des découvertes, il y a des flashs. C’est ce qui m’est arrivée, à titre personnel dans une aventure qui n’était pas collective, mais avec des amis. Moi à l’école, je n’ai pas été confrontée à la peinture contemporaine. Maintenant, ils le sont beaucoup plus. À l’époque, c’était la télé scolaire, de temps en temps les films, Exploration du Monde. C’était les Jeunesses musicales. C’était intéressant et puis il y avait des discussions, le Cinéclub, mais autour de la sculpture, la culture, la peinture, de la chanson, de la musique classique, il n’y avait rien. Or je pense que cela enrichit énormément.