Qu’avez-vous pensé du livre de Frédéric Martel ? Comment transposez-vous les enjeux culturels qu’ils soulignent au niveau de votre instance audiovisuelle ?
Un livre comme celui de Martel fait réagir parce qu’il dit des choses importantes avec une perspective différente, une approche neuve et rafraîchissante. Il faut en tout premier souligner que le vocable choisi par Frédéric Martel pour désigner le sujet de son enquête, c’est-à-dire le mot « mainstream », est utile et pertinent. Le mot n’est pas connoté comme peuvent l’être « culture de masse » ou « culture populaire », ces connotations pouvant d’ailleurs varier d’un interlocuteur à un autre. « Culture de masse » a, par exemple, souvent des connotations négatives, notamment dans les discours de résistance de ceux qui sont attachés à la différentiation des cultures et à la notion de culture des différences. Or, dans le contexte précis de ce livre, le « mainstream », cette culture qui « plaît à tout le monde », est approchée sans jugement de valeur, c’est-à-dire sans en exagérer les mérites intrinsèques, ni en l’opposant dichotomiquement à la « Grande Culture ».
Il faut donc ne pas se tromper sur ce que Frédéric Martel essaye d’exprimer. Le livre n’est pas une dénonciation de l’abrutissement de nos esprits par une culture américaine de masse. Ce livre met en lumière des enjeux principalement économiques, et par conséquent, des enjeux culturels qui, eux-mêmes, soulèvent des questions sociales ou morales. Ce dont Frédéric Martel parle fondamentalement, c’est du succès des Américains dans la conquête des marchés économiques, et non pas d’un impérialisme culturel qui infiltre nos esprits. L’impact socioculturel du succès américain n’est pas la préoccupation première de l’auteur, ni celle d’ailleurs des grands capitalistes américains, soucieux avant tout de faire du business. Tout part du constat comparatif qu’il fait des États-Unis avec le reste du monde, avec donc aussi avec l’Europe, sur laquelle je vais concentrer mon propos. Martel écrit que nous avons des cultures nationales, parfois fécondes, parfois de qualité, parfois populaires dans certains pays (dont la taille peut aider, mais n’explique pas tout), mais qui pourtant ne s’exportent pas. Et que finalement la seule culture mainstream commune aux Européens qui reste, il faut bien l’avouer, est la culture… américaine.
Dès lors, à partir de ce constat, il faut réfléchir, agir, interpeller. Contrairement à Jean Cornil (Agir par la culture N°23), je ne vois pas le mainstream (américain ou européen) comme « paralysant toute expression » et donc constituer une culture à combattre. Au contraire, je pense que nous devons retrouver notre place dans la production du mainstream.
Comment trouver cette place face à la Culture Mainstream ?
Pour mieux l’appréhender et pouvoir agir collectivement, il faut commencer par le dédiaboliser. Il faut même sortir de ce cloisonnement rétrograde, parfois imbécile, parfois élitiste, mais toujours contre-productif entre la grande culture d’une part et le divertissement populaire de l’autre. Selon moi, la création au sens large (le fait de créer, de produire des contenus artistiques) est toujours une dynamique. La création est un espace d’émulation, c’est une dynamique active et réactive où les gens se croisent, s’opposent, copient, moquent, détruisent, réagissent. Le mainstream est un acteur majeur de ce dialogue global, il faut donc absolument retrouver une place européenne dans la production, la création de mainstream.
Un exemple concret. Je crois que quand quelque chose fonctionne en culture, il existe souvent deux réactions — au risque de schématiser. Soit on le copie, soit on y réagit, on s’y oppose. Encore une fois, il y a dialogue avec la dominance, avec le succès. Je ne suis pas du tout opposé à la culture américaine. Ce que je trouve inquiétant ou en tout cas regrettable avec l’omniprésence de la culture américaine, c’est que finalement ce dialogue s’installe surtout avec les Américains.
D’une part, nous avons tendance à l’échelle européenne à beaucoup copier les Américains — sans que la copie n’égale l’original, il faut bien l’avouer.
D’autre part, même le langage de la réaction, de l’opposition est souvent emprunté aux Américains. Historiquement, et ce depuis la nuit des temps, l’un des vecteurs parmi les plus intéressants de la création est celui de l’expression des exclus, des opprimés, ceux qui sont mis à part et qui trouvent dans la création artistique un moyen d’expression interpellant, violent, novateur (souvent d’ailleurs récupéré plus tard par le mainstream). On constate quand même ces dernières décennies, sans toutefois généraliser, que la création issue « de l’exclusion » s’exprime souvent par des codes créés par les exclus américains. La copie et la réaction se mêlent !
Aujourd’hui, le rap européen est devenu un outil d’expression des minorités qui s’approprient un genre musical qui nous vient tout droit des États-Unis. Il est une réponse, un outil disponible, pour les populations exclues ou qui se sentent exclues.
Si on prend les minorités sexuelles, on constate exactement le même phénomène, la culture gay européenne a énormément puisé dans l’expression artistique, mais aussi intellectuelle des mouvements gays américains ; il existe là-bas un important foisonnement mainstream qui est arrivé jusque chez nous, comblant en partie un vide.
Une fois encore, lorsqu’on n’arrive pas au niveau européen ou même au niveau local à créer du mainstream, on ne se prive pas uniquement de richesses économiques, on se prive aussi d’un secteur d’activités qui fait tourner globalement la création. D’où une dimension européenne qui se perd dans le dialogue à l’intérieur même de la création. C’est même assez vrai en Communauté française (un petit territoire, un petit marché), où dans toute une série de disciplines, on constate la difficulté de fabriquer du mainstream. Ce qui fait que nous réagissons simplement au mainstream extérieur au pays. Le contraste avec la Flandre est souvent très intéressant : dans cette région il existe un vrai mainstream flamand.
Le dialogue, l’émulation doivent avoir lieu et être stimulés. Il ne faut pas oublier toutes les passerelles que cela crée aussi : certains artistes peuvent très bien commencer leur carrière dans le mainstream, y trouver un beau succès puis tourner dans un film d’auteur ou réaliser eux-mêmes leur film, leur album, leur série télévisée. C’est chose fréquente dans les grandes cultures dynamiques. Ces mouvements amènent une partie de leur public vers d’autres produits plus différenciés, plus novateurs. Les mouvements des artistes entrainent des mouvements du public et des mouvements d’autres artistes, qu’ils inspirent, énervent ou interpellent. Le mainstream est une pièce essentielle à cette construction bizarre et instable qu’est la création.
Croyez-vous que l’on apporte une réponse, une résistance au mainstream, en construisant un mainstream à l’européenne ?
Il faut d’abord arriver à sortir de l’opposition entre logique marchande et logique de soutien à la création alternative. Il faut arriver à considérer justement la culture comme un monde global composé d’une série d’acteurs et animé par des dialogues et des oppositions. Et il ne faut plus tarder à le faire. La mondialisation de la culture fait que ce dialogue dépasse déjà les frontières. Je pense simplement que c’est une évidence et qu’il ne sert à rien de s’y opposer. Même les Américains qui tentent de s’opposer par la menace à Internet n’y arriveront pas. Il faut surtout qu’au sein même de l’Europe, cette disparition des frontières puisse jouer un rôle positif et constructif. Il ne faut pas se voiler la face, nous avons vraiment raté l’échelon du dialogue intra-européen de la culture.
Lors de durs combats menés notamment par les Belges francophones, certains défendaient le principe de l’exception culturelle, exception devant s’appliquer aux règles européennes de politique économique des autres secteurs. Malgré un combat politique soutenu, cette exception culturelle a constamment été remise en cause et encore aujourd’hui par des biais directs et indirects, on remet toujours sur le tapis les aides publiques à la production cinématographique, par exemple.
En matière de politique de médias télévisuels, plus spécifiquement, l’objectif poursuivi par la majorité européenne a été dès le début de favoriser l’émergence et le développement de grands groupes de médias européens. La crainte était, dans les années 80 et du début des années 90, de voir débarquer de grands groupes de médias américains comme Time Warner, Viacom ou Columbia-Sony qui viendraient s’implanter en Europe, faire leur loi, prendre d’assaut tous les marchés, réaliser tous les bénéfices d’un secteur en constante évolution en écrasant toute initiative européenne. Tout est basé sur une logique néolibérale de libre circulation des entreprises plus que sur le développement concurrentiel de la création de contenus européens. Il était clairement question de favoriser l’émergence et la croissance de grands groupes de médias européens du type TF1, Mediaset de Berlusconi ou Bertelsmann. Cette politique a été menée avec détermination et a rencontré de fait un certain succès, comme le montrent les exemples que je viens de citer.
Mais favoriser l’émergence, la croissance et la solidité de grands groupes de médias n’est pas du tout la même chose que favoriser l’émergence d’une industrie de contenus. Car ces grands groupes de chaînes ont naturellement une logique économique : eux aussi vont chercher à produire ce qui plait, mais surtout à diffuser ce qui n’est pas trop cher… On sait que diffuser une série américaine de qualité à succès coûte bien moins cher que de produire et diffuser une série locale. Le choix économique prévaut sur l’origine du produit. Finalement, on a mis en œuvre avec détermination toute une série de règles afin d’aider ces grands groupes, tout en délaissant ou ignorant des règles qui pourraient favoriser le développement d’industries de contenus.
Un exemple précis. On débat toujours de la politique des quotas ; les Américains ne les apprécient pas et les combattent dans tous les pays. Un courant en Europe, dont la France et la Communauté Française de Belgique ont fait partie, a été favorable à l’instauration de quotas de productions et de diffusion de programmes européens, ils les appliquent d’ailleurs chez eux. C’était un combat très difficile au niveau européen, car beaucoup n’étaient pas convaincus par cette logique. Cette division originelle n’ayant jamais clairement été résolue, cette politique audacieuse et ambitieuse est loin de porter les fruits attendus.
Ne faut-il pas modifier cette politique de quotas ?
L’idée de départ était d’imposer à toutes les chaînes présentes en Europe que 50 % de ce qu’elles diffusent soit conçu et produit en Europe ; cela ne veut pas dire pour autant dans leur pays. Il ne s’agit pas d’une mesure de protection nationale, mais de promotion européenne. Cet outil aurait été puissant et efficace, non pas sur la qualité, mais bien sur le quantitatif. Synonyme de productions, de créations d’emploi, de création de richesses. En effet, si des groupes étrangers, qui viennent s’installer en Europe avec une déclinaison européenne de leur chaîne, comme MTV, CNN international, ou National Geographic, s’étaient vus obligés de diffuser 50 % de programmes européens, si cette obligation avait été effective alors ils se seraient adaptés. Or, que s’est-il passé ? Les pays européens ne se sont jamais réellement mis d’accord et ont accouché d’une directive qui, en voulant faire plaisir à tout le monde, perd toute sa force de frappe potentielle. La directive européenne spécifie en effet que les 50 % sont d’application « dans la mesure du possible ». Dès lors, il ne faut pas être grand juriste pour se rendre compte qu’avec une phrase telle que celle-là on peut tout justifier et tout contourner. La politique de quotas, dans certains pays comme en France ou en Communauté française de Belgique, a été reprise de manière stricte, mais dans d’autres pays on a repris la syntaxe européenne et elle n’est quasiment pas appliquée. Il n’y a donc pas de réelle mesure européenne effective pour l’industrie des contenus.
L’enjeu n’est donc pas de se battre contre le mainstream mais bien de s’assurer que l’Europe garde sa capacité de création, de différence. Il faut qu’il existe un mainstream local, comme par exemple en Flandre, ainsi qu’un vrai mainstream européen s’y superposant, qui viendraient l’un et l’autre se frotter au mainstream américain existant, dans des proportions d’audience et de succès un peu rééquilibrées !
Il y a différentes politiques de quotas dans les médias audiovisuels chez nous. En télévision, il y a par exemple, les 50 % de programmes européens. En matière musicale, les radios et les télévisions qui diffusent de la musique doivent diffuser 4,5 % de musiques produites, réalisées, créées en Communauté française de Belgique. Il s’agit d’un intéressant levier de politique culturelle qui respecte aussi la liberté éditoriale : cette obligation n’est pas liée à la langue ou au genre musical. Mais on constate que certaines chaînes télé ou radio qui diffusent principalement du mainstream éprouvent, selon elles, d’énormes difficultés à remplir ce quota. Ceci ne doit pas forcément amener à remettre en question l’existence du quota, mais bien de réfléchir aux initiatives à développer, de la part des acteurs privés ou publics ou ensemble, pour continuer à stimuler l’émergence d’artistes musicaux mainstream en Wallonie et à Bruxelles. Le quota légal est donc un incitant utile à faire bouger les choses.
Que faut-il faire selon vous au niveau des autorités publiques ?
Les autorités publiques doivent chercher à développer une culture mainstream chez eux, tout en ne se trompant pas sur l’objectif : développer une culture mainstream est avant tout un moyen et pas une fin. C’est un moyen pour faire tourner et dynamiser la création de manière générale à côté et en plus des efforts spécifiques pour soutenir la création artistique hors mainstream.
Il faut donc essayer de créer un cadre favorable au succès économique d’un mainstream européen, d’un mainstream local à l’instar des Américains. Il est synonyme de création d’emploi, d’activité et créateur d’une dynamique culturelle. Il faut se réapproprier et assumer, ce n’est qu’un exemple, une politique de quotas forte, idéalement aussi au niveau européen. Dans le livre de Martel, toute la partie sur la formation aux métiers de l’audiovisuel, au niveau de l’enseignement supérieur, doit nous interpeller, doit nous inspirer. Il faut aussi réfléchir à un vrai accompagnement de nos créateurs aux aspects entrepreneuriaux de leurs activités, les aider à se former en permanence, à gérer leur finances, à les accompagner à l’exportation, etc.
Mais, à côté de cela, les autorités publiques doivent utilement continuer à soutenir et stimuler toutes les formes de création parallèles au mainstream. Continuer à favoriser le foisonnement créatif, alternatif, novateur. Cela se fait par des moyens indirects. Il est fondamental, par exemple, de continuer à développer l’esprit critique dans les écoles, dans les différents cours d’histoire, de français, etc. Continuer à distiller l’esprit critique chez nous, de façon à toujours réagir, répondre, dialoguer avec la culture mainstream omniprésente. Il y a des moyens plus directs aussi : soutenir financièrement la création alternative, assurer l’existence d’espaces de diffusions. C’est le cas dans la FM, où nous sommes attentifs à conserver des places pour des radios d’expression et associatives assurer une diversité dans la bande FM ; les chaînes de services publics en télévision jouent un rôle important également ; les salles de cinémas d’auteur doivent être soutenues. Même chose pour les différents festivals, qu’ils soient de musique, de théâtre ou de cinéma.
La « résistance » au mainstream, c’est des artistes qu’elle doit venir, pas des gouvernements. La vraie réponse au mainstream, d’où qu’il vienne, c’est sa coexistence avec une culture subversive, novatrice, décalée, choquante, emballante, secouante.
Est-ce que selon vous la puissance culturelle américaine est dangereuse ?
Sur le plan économique oui, et donc aussi sur le développement du secteur créatif en Belgique, en Europe. Sur le plan des valeurs, par rapport à des possibles « lavages de cerveaux » ou impérialisme US des valeurs, je ne pense pas que cela soit un danger. Le mainstream américain n’est pas, par son caractère américain, plus dangereux qu’un autre mainstream ou a fortiori qu’un mainstream européen si tant est qu’il existe un jour. La puissance et le rôle du mainstream, et donc la nature et l’importance de notre distance critique par rapport à lui, renvoie directement aux effets structurants de l’hégémonie culturelle théorisée par Antonio Gramsci.
Il ne faut pas oublier que le mainstream reflète autant, voire plus, qu’il ne façonne le consensus social. Quel que soit le regard critique que l’on peut ou que l’on doit porter sur le consensus social, celui-ci n’est pas fondamentalement différent qu’il soit américain, français ou anglais. Un consensus social, heureusement, évolue, synthèse des thèses conservatrices et antithèses progressistes. Il bloque et ralentit parfois aussi, évidemment, quand diminue notre capacité ou notre volonté de distance critique. Mais le mainstream, précisément, apporte des points de positionnement et de débat si on prend le temps de réfléchir à ce qu’il nous montre.
Le mainstream américain a fait comme la société américaine, et même parfois plus encore qu’elle, de grand bonds en avant ces dernières décennies. La place des femmes, des minorités raciales ou sexuelles a évolué à l’écran de télévision, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Même le culte de l’argent n’est pas aussi univoque à l’écran que certains critiques aiment à le penser ou le dire. On voit que le mythe du « petit homme » contre « la grande entreprise » reste fermement ancré dans l’imaginaire collectif américain, par exemple.
Certaines faiblesses ou problèmes persistent. D’abord des problèmes qu’on trouve dans le mainstream européen aussi, comme par exemple la présence de stéréotypes sexistes. Et puis, certains problèmes plus spécifiquement américains. Ainsi, on doit constater, la négation de la réalité de l’avortement. La difficulté aussi de parler de la politique sans angélisme, sans simplisme. Une série comme « The West Wing » y arrivait, mais la plupart des séries mainstream abordent la politique sans les nuances essentielles à la bonne compréhension du débat démocratique et de la gestion collective et conflictuelle de la société. Il y a aussi, dernier exemple, un unanimisme spécifiquement américain sur la religion.
Ces particularités américaines ne deviennent « dangereuses » que si on ne prend pas la peine de s’y arrêter et d’y réfléchir. Le mainstream doit être et rester un objet de discussion, de débat, tant culturel que, osons le mot, politique ! Ceci ne veut pas dire s’opposer farouchement au mainstream, mais garder un esprit critique sur ce qu’il nous livre, ce qu’il montre, ce qu’il nous raconte. Et, encore une fois, cessons de nous braquer sur les États-Unis ; le simplisme consensuel est le lot de toute culture de masse. Selon moi, « Joséphine Ange Gardien » ou « Julie Lescaut » n’offrent pas de vision politico-sociale plus complexe ou plus subversive que « Dr House » ou « Grey’s Anatomy ».
Les mouvements d’éducation permanente n’ont-il justement pas une place importante à jouer pour vis-à-vis du mainstream ?
Encore une fois, je ne m’inscris pas dans un combat contre le mainstream. Mais par contre, il faut se réapproprier ou utiliser le mainstream comme objet de débat, objet de critique, objet de réflexion et notamment dans des outils d’éducation permanente. Le mainstream, par définition, touche énormément de gens et des milieux très différents. La télévision est un média populaire. Utilisons-le donc aussi comme outil de débat et d’échange constructif. Si on veut parler politique, discuter du rôle qu’elle doit exercer, de son fonctionnement, de ses complexités, on peut partir de la manière dont on parle de politique dans des séries télévisées, américaines ou autres, et se demander si cela a du sens d’en parler de telle façon. Ouvrir un débat sur la condition des femmes aujourd’hui et la manière dont on parle des femmes à l’écran, dans notre société, peut se faire en faisant parler les gens de manière participative de ce qu’ils décodent en regardant par exemple « Desperate Housewives ». Vous libérez la parole d’une manière très efficace en partant d’une série que beaucoup de gens connaissent et qui n’est ni parfaite ni complètement à jeter.
Il s’agit très justement de réintégrer un discours réflexif et critique sur les valeurs, sur la manière dont notre société fonctionne. Il s’agit de continuer à se poser des questions tout en prenant du plaisir à regarder une série télévisée, à lire un livre, à écouter de la musique ou à aller au cinéma. Ceci est à la fois légitime et positif mais peut déclencher aussi un sujet de discussion. Il serait formidable que les gens en famille, lorsque leur série préférée est terminée, éteignent leur téléviseur en prolongeant la discussion entre eux. Il s’agit d’un véritable outil culturel, un média tellement présent dans nos vies qu’il façonne la manière dont on voit les choses : n’hésitons donc pas à parler des choix moraux qu’il nous propose, les styles de vies, les portraits qu’il nous présente. Nous devons pouvoir les utiliser comme sujet de débat, entre nous, entre collègues, en repas de famille. Cela concerne donc bien aussi ceux qui veulent faire réagir sur le consensus social dont on parlait : la culture populaire est un outil précieux.
Le mainstream séduit et lasse, il innove parfois et copie beaucoup. L’enjeu politique véritable est bien de stimuler la production d’un mainstream chez nous et par nous pour alimenter la dynamique créative et économique globale d’un secteur qui nous tient à cœur, tout en stimulant aussi une saine distance critique entre œuvre et public, pour que chacun s’approprie plus activement et plus consciemment le divertissement qui lui est fourni.