
On désigne par l’expression « littérature de gare », une littérature pour gens pressés. De petits romans essentiellement, destinés à être consommés sur un quai de gare, dans un hall d’aéroport, entre deux destinations. Vite lus, vite digérés, vite oubliés. Il s’agit d’une littérature peu cultivée mais distrayante, superficielle mais dotée d’un imaginaire certain, bien que suspect aux yeux de la bourgeoisie ou de l’institution littéraire, ce qui revient au même.
Historiquement, c’est-à-dire, en gros, jusqu’aux années 70 (avec quelques notables exceptions – cf. les collections trash du Fleuve noir des eighties), les romans de gare se reconnaissaient à leurs emballages criards, fruits des délires graphiques de quelques illustrateurs pervers et des titres savamment racoleurs usinés par des romanciers stakhanovistes. On comprend ainsi pourquoi ces romans devenus livres-objets font le ravissement des collectionneurs d’art modeste et constituent un département fort prisé du Musée international des sous-cultures qui n’existe pour l’instant que dans le crâne des amateurs.
La littérature de gare se confond parfois avec la littérature dite « de genre », façon dédaigneuse de qualifier la science-fiction, le fantastique, le polar, le roman noir, le roman d’espionnage, le thriller, etc. On utilise aussi, pour nommer l’innommable, le mot le plus con jamais inventé : paralittérature.
De tout cela, il ressort qu’il existe, a contrario, une littérature purement littéraire, officielle, rétive à toute forme d’imagination et présentée dans des éditions originales graphiquement neutres afin de ne pas rebuter le lecteur. Ajoutons que cette littérature interdite de gare par manque d’entrain peut s’avérer tout à tour verbeuse, prétentieuse, chiante à mourir, complètement niaise ou joliment vide…
Dès lors, plutôt que prétendre instaurer la lutte des classes en littérature, nous préférons recourir à une distinction des genres plus pertinente. Selon laquelle il n’existe que deux formes de littérature : la bonne et la mauvaise.
Dans la première catégorie, on trouve certains romans d’André Héléna (1919 – 1972), pionnier maudit du roman noir français, souvent réédité, toujours snobé. Dans J’aurai la peau de Salvador, publié en 1949, Héléna écrit : « C’était une nuit pluvieuse d’automne, quelque part, vers Montmartre. Une bruine légère huilait les trottoirs gras. De rares passants se hâtaient vers des destins provisoires. »
Ce sont les premières phrases du livre, celles dont le but est de vous prendre par la main et de vous emmener ailleurs. Ailleurs mais où ? Vers des plaisirs provisoires ? À chacun de choisir sa destination. Rien n’est écrit.