
L’arrivée soudaine d’un minuscule virus aux effets planétaires gigantesques va sans conteste provoquer une quatrième blessure narcissique à l’Humanité. La première advint quand le savant polonais Nicolas Copernic prouva au 16e siècle que la Terre ne constituait pas le centre de l’univers. Débuts prometteurs de l’héliocentrisme.
La seconde blessure infligée aux prétentions humaines à se croire au sommet de la pyramide du vivant fut portée par le naturaliste Charles Darwin qui conclut au travers de la théorie de l’évolution que nous étions les cousins éloignés des primates. Le Sapiens « descend » du singe et non du « miracle de la création ».
Enfin, Sigmund Freud, le génial inventeur de la psychanalyse, découvrit à l’aube du siècle dernier que l’homme n’était pas le maître en sa demeure et que l’inconscient, guidé par nos pulsions, déterminait la plupart de nos actes. Exit le rêve cartésien de libre arbitre et d’une créature transparente à elle-même.
Aujourd’hui, la tornade sanitaire qui ébranle en quelques semaines tous nos modes de vie et toutes nos croyances en une maîtrise absolue de la nature, qui bouleverse tous les flux économiques de la planète, confine des milliards de terriens et amplifie à la puissance dix toutes les souffrances sociales, provient, en l’état de connaissances, d’une unique petite molécule d’acide ribonucléique présente dans une seule chauve-souris. Vertigineux.
Un immense, un incommensurable, effet papillon, du nom de cet exemple tiré de la théorie du chaos en mathématiques. Un mammifère infecté à Wuhan par un agent pathogène inconnu a terrassé l’ordre complexe du monde, dont la vulnérabilité et l’interdépendance nous stupéfie. Cette quatrième blessure, en termes symboliques, a comme pétrifié, vitrifié notre présent. On doit, comme il se dit de manière prosaïque, se pincer pour le croire.
C’est aussi une fantastique leçon d’humilité face aux mystères insondables de la vie et donc de la médecine. Même si de fabuleux progrès ont été accomplis depuis des millénaires pour lever un peu le voile sur l’énigme du réel que les sciences cherchent à découvrir avec une impatience parfois insensée.
Songeons que l’évolution de notre univers a été déterminée par la conjonction d’une quinzaine de nombres dits « constantes physiques », loi de la gravité, force électromagnétique, masse de l’électron, vitesse de la lumière… Un réglage d’une précision de l’ordre de 10-60, comme le décrit l’astrophysicien franco-vietnamien Trinh Xuan Thuan : « Si on changeait un chiffre après soixante zéros, l’univers serait stérile »1. Étourdissant.
Songeons, qu’en regard du nombre d’atomes qui nous constituent et en vertu des lois de la probabilité, nos corps comprennent des particules de matière qui devaient être présentes dans ceux d’Abraham, de Bouddha, du Christ ou de Mahomet. L’homme « descend » aussi du songe.
L’incroyable destinée d’un microbe et de son improbable chaîne de transmission, via une chauve-souris, un pangolin puis un humain, apparait alors un peu moins ébouriffante même si ses effets transforment nos vies. Comme si l’univers savait que l’humain allait venir et rétablissait un peu l’indispensable équilibre des forces naturelles.
« Le hasard permet à Dieu de rester anonyme » (Albert Einstein)