Un Président qui s’insurge suite à la sortie prévue d’un morceau de musique, ce n’est pas un fait courant. Et c’est pourtant ce qui est arrivé en 1992, quand George H. W. Bush (le père, donc) s’est ouvertement offusqué que des labels puissent publier un tel titre. Cette chanson, c’est « Cop Killer », de Body Count, titre qui signifie « Tueur de flic ». Pour bien la comprendre, elle est à remplacer dans son contexte. En effet, le 3 mars 1991, Rodney King, un Américain noir, passe une soirée plutôt arrosée avec des amis. Il prend la route, roule trop vite, est repéré par des agents et refuse de s’arrêter. Il se fait courser et, finalement, engage sa voiture sur le bas-côté. Il s’obstine à ne pas quitter son véhicule. Le départ d’un déferlement de violence : une décharge de taser, il tombe à genoux. Une seconde, il s’effondre. Il tente de se relever et deux policiers se lancent dessus et font pleuvoir les coups de matraque. Mâchoire fracturée, cheville droite cassée, vingt points de suture. La scène a été filmée, les images font le tour du monde. Entre nausée et révolte. Un an plus tard, les quatre policiers impliqués dans l’affaire sont jugés : acquittement.
La même année, Body Count, une formation à la rencontre des genres entre le hardcore-punk, le metal et le rap, s’apprête à sortir son premier album. Avec son chanteur emblématique, le rappeur Ice‑T, ils écument les scènes depuis déjà un an. Dans la set-list figure un titre, « Cop Killer », dont les lyrics sont pour le moins explicites, avec son fameux « fuck police brutality ! » en refrain. Une diatribe instinctive, le besoin viscéral de dénoncer avec hargne les violences policières qui ont lieu couramment aux États-Unis. Cracher ce sentiment d’injustice, notamment par rapport à ce qu’a connu Rodney King. La formation décide de pousser la démarche jusqu’au bout, en utilisant « Cop Killer » comme titre d’album. Mais l’information remonte et les esprits s’enflamment. Les patrons de leur label de l’époque — Warner Bros Records — sont menacés de mort. Au final, l’album ne comportera pas de titre et le morceau « Cop Killer » est remplacé. Il verra néanmoins le jour en version single, entrant dès lors dans l’ADN du groupe. Même si Ice‑T commencera quelques années plus tard à incarner le rôle d’un policier dans la série Law & Order : Special Victims Unit, il n’en demeure pas moins que l’artiste n’a jamais renié ce morceau sulfureux.
Un peu moins de trente ans se sont écoulés depuis la sortie de cette chanson. On est à la fin du mois de novembre, Perhast et Shamden Shawri attendent devant le Tribunal de Première Instance de Mons. Ils s’apprêtent à assister au procès du policier qui a tué, deux ans plus tôt, leur petite fille Mawda. Deux ans, une balle en pleine tête. Le tueur de flic devient le flic tueur. Un coup parti tout seul, selon les dires du policier incriminé, alors qu’il tentait de stopper une camionnette contenant vingt-six personnes migrantes, dans un périple afin de rejoindre l’Angleterre. Il était au courant qu’à l’intérieur se trouvait un nombre important de personnes, dont des enfants. Il n’avait reçu aucun ordre. Il avait appris que tirer dans les pneus d’un véhicule en course et de nuit était proscrit. Et pourtant, il a sorti son arme et a fait feu. La camionnette s’est finalement arrêtée sur le côté. Le père tient sa fille ensanglantée, on la lui retire de ses bras et on la jette par terre. Le père est neutralisé, la fille est emmenée en ambulance. Sa maman tente de la rejoindre, une policière la retient par les cheveux. Mawda mourra, seule, dans l’ambulance.
Le même sentiment qui revient. Celui qui serre la gorge et fait bouillir de l’intérieur. Celui de l’injustice et de l’impunité face à celles et ceux qui sont censé·es faire respecter la loi, maintenir l’ordre et assurer la sécurité publique. Face à ces mêmes personnes qui sont censées observer une règle de proportionnalité, à savoir recourir à la force uniquement pour leur défense et en fonction du degré de menace ou de violence encourue. Et pourtant face à ces mêmes personnes, assermentées, qui laissent bien trop souvent leurs actions être dictées par un racisme devenu structurel.