
À l’idiot, toujours sûr de lui, de ses opinions et de ses goûts, pris d’un petit rire moqueur à la vue de ce tableau qui a pourtant tout son sens dans votre intérieur, vous pouvez expliquer certaines choses…
Tout d’abord, que l’original de ce tableau reproduit ici par un procédé d’impression industriel, est l’œuvre hyperréaliste d’un peintre oublié qu’on appelait Torino, œuvre datée du milieu des années 60, représentant Maria Yañez Garcia, star du music-hall espagnol, morte à l’âge de cent ans en 2001, mieux connue (mais pas chez nous) sous le nom de La Bella Dorita.
Ensuite, que le peintre a choisi d’incarner la chanteuse en gitane d’Espagne. Que les gitanes de Torino connaîtront d’ailleurs un certain succès à cette époque, mais moins toutefois que les femmes dénudées de Lynch ou les Chinoises habillées de Tretchikoff (tapez dans Google images, vous verrez).
Ajoutez d’emblée qu’il s’agit bel et bien d’une œuvre d’art commercial, expression désignant « les peintures et sculptures non reconnues par le marché de l’art contemporain et/ou servant à la production de posters. » (Hervé Di Rosa, l’Art modeste, Hoëbeke, 2007). Que les artistes comme Torino, producteurs d’images et non de sens, cherchent à gagner leur vie sans chercher à marquer l’histoire de l’art.
Et qu’à l’occasion, cela fait du bien de se foutre de l’histoire de l’art et de se laisser guider par son instinct. Qu’en matière d’instinct, les gitanes espagnoles sont expertes. Que la plus célèbre d’entre elles, Carmen, est née sous la plume de Prosper Mérimée en 1845. Que « sa peau, d’ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. » Que « ses yeux étaient obliques mais admirablement fendus ; ses lèvres un peu fortes, mais bien dessinées et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sans leur peau. » (Folio, p. 60). Rappelez que Carmen accéda à la postérité grâce à l’opéra-comique de Georges Bizet (1875), qu’elle y perdit certes un peu de tempérament (relisez Mérimée, y a pas photo) mais que nous savons tous depuis lors que l’amour est enfant de bohème.
Rappelez aussi que par les temps qui courent, on préfère ne plus accrocher chez soi des tableaux représentants roms, gitans ou tziganes. Que la bohème s’est embourgeoisée mais que, malgré tout, certaines femmes continuent à faire perdre la tête aux hommes et c’est très bien ainsi. Précisez que tout est dans tout, définitivement. C’est pour cela qu’on aime aussi, beaucoup, les poupées russes. Et qu’on vous en reparlera, à l’occasion. Parce même les choses les plus futiles ont une histoire à raconter.
Qu’enfin, comme disait Marcel (Duchamp), le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût.
Et si après tout ça, l’idiot rit toujours, tuez-le !