Après une phase de conception de plus d’un an et demi, le Musée a donc vu le jour là où, plusieurs journées et nuits durant, plusieurs paires de mains bénévoles et un peu folles se sont transmis marteaux, vis, panneaux imprimés, pinceaux et rouleaux de peinture pour enfin voir s’élever ce qui n’était resté jusqu’alors que quelques traits sur une feuille, quelques signes sur un écran d’ordinateur, quelques images dans nos têtes…
L’idée de créer un Musée peut paraître étonnante. Un livre ou un film documentaire aurait pu être une manière plus aisée d’aborder ce sujet. Mais un Musée nous a semblé une bonne manière de permettre aux citoyens de se le réapproprier. En effet, si le terme « capitalisme » est aujourd’hui souvent utilisé, il reste peu expliqué. Beaucoup de citoyens méconnaissent les mécanismes du système auquel ils prennent pourtant part quotidiennement. Le vulgariser pour mieux en comprendre les enjeux nous a dès lors semblé utile et nécessaire. Nous sommes bien conscients des choix qu’il a été nécessaire de poser et nous ne sommes pas détenteurs d’une vérité mais plutôt d’une envie de susciter chez le visiteur la réflexion voire l’esprit critique sur le système actuel.
Nous avons choisi d’appeler notre projet « Musée du Capitalisme » en référence au Musée du Communisme de Prague qu’avait visité un des membres de notre collectif. Il n’existait en effet pas à notre connaissance de musée consacré au capitalisme. Dans ce musée, il n’est pas question de collections d’objets anciens mais plutôt de la volonté de mettre en lumière tout un système au travers d’objets de tous les jours. Précisons que s’il s’agit pour le moment d’une exposition itinérante, nous souhaitons nous implanter à terme dans un lieu fixe.
Se déployant sur plus de 200 m2, la scénographie propose un parcours didactique depuis les « origines » du capitalisme jusqu’à ses alternatives en passant par les espoirs qu’il a portés ainsi que ses limites. Dans l’objectif de le rendre attractif visuellement, informatif, ludique et interactif, nous nous sommes aidés de différents outils : supports visuels sous forme de panneaux avec des textes, des illustrations ou des photos, vidéos, bornes audio (avec des témoignages, des lectures d’extraits de textes…), installations qui invitent le spectateur à participer à la construction de l’information, élaboration d’une machine pour le focus environnement, mises en situations, bornes interactives, quizz, bibliothèque avec des livres à consulter sur place…
Le parcours se décline en quatre salles qui sont autant d’entrées thématiques.
D’abord la salle « Origines »qui propose une définition du capitalisme et quelques apports théoriques. Elle est aussi l’occasion d’exposer, en quelques dates repères, l’histoire des grandes avancées des sociétés occidentales liées au capitalisme.
Puis la salle « Espoirs »qui présente sous forme de différents « focus » les avancées qui ont été permises par des sociétés humaines fondées sur le capitalisme. En effet, le système capitaliste a notamment favorisé : la lutte contre les fléaux et les maladies (focus santé), la production et la distribution en grande quantité ainsi que l’accès d’une population en pleine croissance à la consommation (focus style de vie américain), la mise en place d’organisations efficaces et productives et d’alléger le labeur quotidien (focus travail – loisirs), d’aspirer et parfois de bénéficier d’une certaine ascension sociale (focus rêve américain), d’avoir accès à une alimentation variée et en quantité (focus alimentation), de mettre en place une morale plus universelle, des institutions et des échanges économiques internationaux (focus mondialisation).
Ensuite, la salle « Limites » qui relativise les avancées du capitalisme et en développe les limites : la surconsommation, la finance, l’agro-alimentaire, l’environnement, la démocratie, les inégalités et le mal-être.
Enfin, la Salle « Alternatives » détaille une série d’initiatives lancées en Belgique qui apportent des solutions aux problèmes intrinsèques du capitalisme. Le visiteur peut également y inscrire ses propres initiatives et idées.
Un outil d’éducation populaire
Le Musée est surtout pour nous un espace citoyen. Nous sommes des citoyens qui, en toute indépendance et en toute humilité, proposons un regard – forcément perfectible – sur le capitalisme. Et nous souhaitons que chacun se forge son propre regard, que le visiteur, au terme de sa visite, ait quelques réponses à ses questions, mais qu’il ait également de nouvelles questions à résoudre ! C’est pourquoi nous attachons beaucoup d’importance au dialogue avec les visiteurs.
C’est pourquoi nous avons souhaité proposer des visites guidées pour les groupes. Les demandes de visites proviennent principalement des écoles secondaires et supérieures. Certaines associations comme Oxfam, PAC, Vie Féminine, des CPAS, des syndicats, ONG, ASBL en environnement, ou encore les employés de l’Université de Namur ont également programmé des visites. Plus de 80 au total !
Les visites sont réalisées par des membres du collectif ou par des guides bénévoles extérieurs. C’est aussi une des richesses de cette aventure. Nous avons organisé une journée de formation et près de dix personnes d’âges fort variés sont venues pour nous épauler.
Par ailleurs, suite inattendue du projet, nous sommes amenés à intervenir dans les écoles. Ainsi, nous avons animé deux journées sur l’économie pour toute une école secondaire de Bruxelles – 600 élèves ! Et nous avons élaboré une autre action qui, si elle est soutenue par les pouvoirs publics, permettra à quatre classes de deux écoles de créer leur point de vue sur le capitalisme, qui sera intégré dans le Musée bruxellois (nouveau focus, capsule vidéo,…).
Un financement et un fonctionnement collectif et citoyen
Une partie de nos ressources provient des entrées des visiteurs : le principe du prix libre (chacun paye ce qu’il veut ou peut) a été mis en place dans le but de favoriser l’accessibilité du public au Musée tout en permettant une compensation financière qui assure, en partie, la pérennité du projet. Mais d’autres éléments contribuent également à cette accessibilité.
La salle d’exposition a été mise gratuitement à notre disposition grâce au concours de la FUCID. Les objets qui y sont présentés sont essentiellement des objets récupérés, ou achetés en seconde main. Si le projet (d’un budget de 20.000€) a été rendu possible, c’est également grâce au soutien financier du Service Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles, du BIJ, d’Annoncer la Couleur, de la Ville de Namur et de quelques mécènes privés. Nous avons également eu recours au financement participatif (Crowdfunding) qui nous a permis de récolter un peu plus de 3000€.
Qui se cache derrière tout cela ? L’équipe du musée est exclusivement composée de volontaires. Le Musée du capitalisme est une initiative citoyenne portée par quatorze femmes et hommes âgés de 24 à 32 ans venant d’horizons divers (sciences humaines, sciences économiques, études artistiques,…), certains travaillant dans le secteur associatif depuis plusieurs années, d’autres achevant leurs études. Le groupe fonctionne sans hiérarchie prédéfinie. Les tâches sont distribuées selon les compétences et affinités de chacun. Quant aux décisions, elles sont prises collectivement, par consensus et à l’unanimité.
Des centaines de courriels, une dropbox pleine à craquer, un forum d’une dizaine de sujets, sous-sujets, un guide des guides… Autant d’outils qui nous ont permis de mener à bien notre projet grâce à une communication interne que nous avons veillé à rendre la plus efficace possible. Le rythme de travail s’est intensifié au fur et à mesure de la concrétisation du Musée : un week-end par mois, une semaine de congé, puis toutes les semaines, puis tous les jours dans la dernière ligne droite,…
Enfin, ce projet citoyen est également une expérience humaine formidable et complexe qui illustre la capacité de chacun à créer et à s’investir au sein d’une initiative bénévole au service du bien commun.
Alors que le Musée fermera ses portes à Namur en juin, nous préparons déjà activement la suite. Une partie du Musée sera déployée au Festival Esperanzah (fin juillet-début août) afin d’aller à la rencontre du public. En 2015, nous devrions présenter le Musée à Bruxelles. Mais nous recherchons encore le lieu parfait disponible pendant plusieurs mois et à moindres frais… Appel est lancé aux personnes qui auraient des contacts utiles !
Maud Eloin et Thomas Prédour sont membres de l'équipe du Musée du Capitalisme.