Entretien avec Katrin Solhdju et Alice Rivières

Le savoir médical à l’épreuve du réel

Illustration : Ivonne Gargano

Alice Rivières est por­teuse de la muta­tion géné­tique res­pon­sable de la mala­die de Hun­ting­ton. Katrin Solhd­ju est cher­cheuse au FNRS, pro­fes­seure à l’université de Mons – spé­cia­li­sée en his­toire et phi­lo­so­phie des sciences, par­ti­cu­liè­re­ment de la méde­cine –, et membre du comi­té consul­ta­tif de bioé­thique de Bel­gique. Elles font par­tie du col­lec­tif Ding­ding­dong, un Ins­ti­tut de copro­duc­tion de savoir qui s’attache à ima­gi­ner d’autres manières de voir, conce­voir, vivre et par­ler de Hun­ting­ton. Nous nous sommes ren­con­trées chez Alice Rivières pour un dia­logue autour du savoir médi­cal et des pra­tiques de soin, nour­ri du che­min qu’elles ont par­cou­ru ensemble au sein du collectif.

Aux Éditions Dingdingdong, vous avez publié en 2015 un livre de Katrin, L’épreuve du savoir, où tu évoques des spécificités de la rationalité médicale. Pourrais-tu nous en donner des exemples ?

Katrin Solhd­ju Pour se reven­di­quer comme scien­ti­fique dans le sens moderne du terme et sta­bi­li­ser ses connais­sances, la méde­cine a dû faire face à une série de dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières dues à l’irrationalité inhé­rente de ses objets d’études : les corps vivants et les pro­ces­sus patho­lo­giques qui, dans leurs mul­ti­pli­ci­tés et leurs inter-influences infi­nies, ont ten­dance à résis­ter de manière achar­née à toute sys­té­ma­ti­sa­tion. Un corps vivant, ce n’est pas comme une petite bille bien lisse qui roule sur un plan incli­né dans un labo de phy­sique prou­vant l’existence de la loi de la gra­vi­té. Aucun corps vivant n’est exac­te­ment sem­blable à un autre, aucune mala­die ne se déve­loppe de la même manière dans deux orga­nismes dis­tincts ; par­fois un corps peut réagir de manière impré­vi­sible à une molé­cule pour des rai­sons qui échappent à toutes lois de la nature, voire même s’auto-guérir ! La méde­cine moderne s’instaure dès ses débuts, non pas à par­tir de réus­sites comme les autres sciences, mais plu­tôt à par­tir de craintes et de pra­tiques qu’elle choi­sit d’exclure : l’irrationalité des corps mêmes d’un côté, l’imagination de l’autre, ancêtre du pla­ce­bo en quelques sortes, qui peut gué­rir mais pour de « mau­vaises rai­sons ». Les pra­ti­ciens qui en font un outil thé­ra­peu­tique seront désor­mais qua­li­fiés de charlatans.

Est-ce qu’on peut dire que la statistique est l’outil dont s’est dotée la médecine pour dompter le caractère incontrôlable des corps ?

KS La sta­tis­tique est clai­re­ment une réponse dans le sens où elle per­met de gérer ce chaos propre au vivant et à ses patho­lo­gies à tra­vers des moyennes.

Pour consti­tuer un savoir fiable, la méde­cine construit des typo­lo­gies à l’aide de sta­tis­tiques éta­blies par des essais cli­niques qui font for­cé­ment abs­trac­tion des cas par­ti­cu­liers. C’est inévi­table et ce n’est pas un pro­blème en soi. Je pense qu’il y a des moments, notam­ment dans le déve­lop­pe­ment d’un médi­ca­ment, où cette manière de faire se jus­ti­fie tout à fait. Un pro­blème épis­té­mo­lo­gique mais aus­si éthi­co-poli­tique se pose quand on éva­cue tout ce qui sort de cette moyenne. C’est ce que Tobie Nathan appelle la qui­con­qui­sa­tion des malades. Au nom de sa scien­ti­fi­ci­té, la méde­cine a ten­dance à rendre invi­sible ce que ces dis­po­si­tifs omettent. Les don­nées sta­tis­tiques sont obte­nues grâce à toute une série d’artifices (choix des cohortes, essais en double aveugle et ran­do­mi­sés, etc.). Les arté­facts ne sont pas le pro­blème, le pro­blème est de faire comme si la réa­li­té était à tout moment repré­sen­tée com­plè­te­ment par les résul­tats ain­si obte­nus. Le vrai drame, c’est quand le sys­tème de san­té hérite de la connais­sance médi­cale, aveu­glé­ment en quelque sorte, c’est-à-dire sans avoir accès à tout ce que ses dis­po­si­tifs de pro­duc­tion de savoir qui ont écarté.

Cette forme de rationalité a donc des conséquences concrètes sur le système de soin ?

KS Aujourd’hui, s’est ins­tau­rée presque par­tout cette méde­cine basée sur les preuves (evi­dence based mede­cine) rem­pla­çant expli­ci­te­ment l’intuition médi­cale. Ain­si la cau­sa­li­té des pro­ces­sus psy­cho­pa­tho­lo­giques est éta­blie par un régime de preuves pure­ment sta­tis­tique qui influence toutes les déci­sions cli­niques. Savoir si un médi­ca­ment doit ou non inté­grer le mar­ché et/ou être rem­bour­sé dépend qua­si uni­que­ment de méta-ana­lyses sta­tis­tiques de don­nées issues d’études cli­niques. Pour­tant la ques­tion par exemple de qui intègre les cohortes de ces études cli­niques n’a pen­dant très long­temps pas, ou très peu été inter­ro­gée, alors même que ça a évi­dem­ment un effet sur qui pour­ra au mieux pro­fi­ter de tel ou tel médi­ca­ment par la suite.

Le sous-titre de ton livre c’est « Propositions pour une écologie du diagnostic ». Est-ce que tu pourrais expliquer quel usage tu fais du terme « écologie » appliqué au champ de la santé ?

KS Pour expli­quer cela, il faut que je revienne à l’origine de ce livre : l’existence d’un test pré­symp­to­ma­tique géné­tique pour la mala­die de Hun­ting­ton (mala­die neu­ro-evo­lu­tive sou­vent consi­dé­rée dans la lit­té­ra­ture médi­cale comme l’une des plus « hor­ribles ») qui reste à ce jour incu­rable. Ce test per­met de savoir si une per­sonne est por­teuse du gène ou non avant même que des symp­tômes se déclarent. Par consé­quent, une per­sonne – non malade – en vient à savoir qu’elle déve­lop­pe­ra pour sûr la mala­die mais sans savoir ni quand ni com­ment. Au sein de Ding­ding­dong, on s’est vite ren­du compte en s’intéressant à ce test que la méde­cine, mal­gré ses très grandes capa­ci­tés tech­no­lo­giques, est exces­si­ve­ment mal outillée pour accueillir ce genre de connais­sances qua­si-pro­phé­tiques. Et c’est logique, car la méde­cine se veut avant tout art de gué­rir, mais ici, il n’y a per­sonne à gué­rir. Au cours de mes recherches la ques­tion est vite deve­nue la sui­vante : quels seraient les réqui­sits concep­tuels et les dis­po­si­tifs qui per­met­traient aux praticien·nes d’être à la hau­teur de l’énormité de cette pré­dic­tion per­mise par la technique ?

Nous avons lu notam­ment des textes de Nan­cy Wex­ler, tou­chée par Hun­ting­ton et ayant beau­coup œuvré à la créa­tion du test, mais qui a ensuite expri­mé des hési­ta­tions et le sen­ti­ment d’avoir cofa­bri­qué une créa­ture dont les effets ris­quaient d’être dévas­ta­teurs. Voir le diag­nos­tic comme une « créa­ture » per­met de pen­ser les néces­saires bou­le­ver­se­ments de la niche éco­lo­gique dans laquelle elle sur­git, per­tur­bant les autres vivants, voire les met­tant en péril. Alors je me suis mise à consi­dé­rer comme un éco­sys­tème, ce milieu qu’à Ding­ding­dong on appelle le Huntingtonland .

Et donc concrètement, ça vous a mené à quel genre de réflexions de penser le diagnostic dans une écologie ? Et qu’est-ce qui compose ce milieu ?

KS Avec deux autres membres de Ding­ding­dong nous avons par exemple visi­té une ins­ti­tu­tion au Pays-Bas qui prend en charge des per­sonnes déjà bien avan­cées dans leur Hun­ting­ton. Là-bas, ils ont la culture de ras­sem­bler ensemble les per­sonnes por­teuses de cette patho­lo­gie. Ça peut sem­bler un peu angois­sant mais ça per­met aux per­sonnes qui soignent d’avoir un très haut degré de com­pé­tences et d’intuitions pour savoir ce dont ont besoin ces per­sonnes-là en par­ti­cu­lier. Nous avons fait des entre­tiens avec des patient·es qui vivaient là et des soignant·es qui avaient déve­lop­pé des outils super avec les moyens du bord pour rendre la vie meilleure. Je me sou­viens par exemple d’un homme qui avait une sonde gas­trique et que ça n’avait pour lui rien à voir avec la fin de vie – ce qui est géné­ra­le­ment la signi­fi­ca­tion qu’on attri­bue à ce type d’appareillage. Pour lui, cette sonde signi­fiait au contraire de la vita­li­té car elle lui per­met­tait de conti­nuer à man­ger ce qu’il aimait, sans avoir à ava­ler beau­coup, ce qui lui était deve­nu dif­fi­cile à cause de ses pro­blèmes de déglu­ti­tion, tout en ayant assez d’apports nutritifs.

Bref, tout ça pour dire que dans cet endroit, Hun­ting­ton se vit plus faci­le­ment. En tout cas, mieux que dans d’autres endroits qu’on avait vu en France et qui n’étaient pas très adap­tés. Et donc, pour en reve­nir à l’écologie du diag­nos­tic, ce type d’expérience nous a ouvert les yeux sur le fait que si tu reçois un diag­nos­tic dans un contexte où la prise en charge par la suite n’est pas du tout adap­tée – et tu le sais car la mala­die étant héré­di­taire, beau­coup des gens qui la portent ont en mémoire celle qu’a vécu leur proche –, ce n’est pas la même pro­phé­tie. Dans un cas la pré­dic­tion vire faci­le­ment en malé­dic­tion, dans l’autre, il y a plus d’appuis pour que cela devienne l’annonce d’une méta­mor­phose à venir, certes, mais dont l’apprivoisement sera pris en charge col­lec­ti­ve­ment. Ça change tout.

Alice Rivières Il y a eu beau­coup d’études sur l’impact des diag­nos­tics dif­fi­ciles, et dans leur for­ma­tion, les méde­cins sont main­te­nant sen­si­bi­li­sés sur com­ment il faut s’y prendre, avec de l’empathie, de la psy­cho­lo­gie, mais au fur et à mesure qu’on a avan­cé dans nos recherches, on s’est ren­dues compte que ce dont une per­sonne a besoin n’est pas tant de gen­tillesse que d’être connec­tée à l’ensemble de ce milieu, de cette éco­lo­gie. À chaque étape du pro­to­cole du test, tu dois voir le psy, pour mesu­rer ton état de fra­gi­li­té, ta capa­ci­té à rece­voir cette infor­ma­tion. On tem­po­rise, véri­fie que tu as bien réflé­chi et c’est bien sûr néces­saire. Mais toute la manière dont tu vas accueillir une telle annonce est ren­voyée stric­te­ment à la psy­cho­lo­gie indi­vi­duelle. Si la réponse est défa­vo­rable, si tu souffres du résul­tat de ton test, c’est aus­si à la psy­cho­lo­gie de s’en occu­per, comme n’importe quel trau­ma, dans l’idée de la cica­tri­sa­tion d’une bles­sure per­son­nelle, pri­vée. Alors que ce qu’il faut tra­vailler aus­si et sur­tout, c’est l’accès à l’infinité des ver­sions pos­sibles d’une vie avec Hun­ting­ton, et ça n’a pas grand-chose à voir avec la psy­cho­lo­gie, mais plu­tôt avec la manière dont le Hun­ting­ton­land est riche de savoir-vivre culti­vés par ses habitant·es.

KS Les méde­cins aus­si ça les pré­oc­cupe. Ce n’est pas agréable d’annoncer une chose pareille. Il y a de la lit­té­ra­ture sur la com­mu­ni­ca­tion médi­cale, mais ils peuvent être aus­si fin qu’on veux, si der­rière, la réa­li­té qui t’attend est juste hor­rible, ça ne change pas grand-chose. On peut cri­ti­quer les méde­cins, mais en réa­li­té ce n’est pas pos­sible qu’un dis­po­si­tif pour une annonce pareille repose sim­ple­ment sur le fait que ce jour-là, ce méde­cin-là soit à la hau­teur, ait bien dor­mi, etc. Il faut que le dis­po­si­tif soit bien plus résis­tant aux aléas per­son­nels. Il ne faut pas perdre de vue que tout ça est mal pen­sé aus­si pour les médecins.

Peut-on élargir cette notion d’écologie du diagnostic à d’autres situations touchant à la santé et à d’autres pathologies ?

KS Ça pour­rait se géné­ra­li­ser à cer­tains endroits, mais pas par­tout, pas pour tous les diag­nos­tics dif­fi­ciles. Par exemple, le cas d’un can­cer ful­gu­rant, ce n’est pas du tout les mêmes ques­tions, ni le même pro­blème. Il va fal­loir déci­der très rapi­de­ment s’il y a quelque chose à faire. Pour Hun­ting­ton, les col­lec­tifs d’usagers qui met­taient la pres­sion pour avoir accès au test ont fait un peu marche arrière en se ren­dant compte de l’impact énorme qu’une telle connais­sance qua­si-pro­phé­tique a sur soi, sur les familles, les proches, tous les aspects de la vie. Et ça, on devrait peut-être le gar­der en tête pour d’autres types de diag­nos­tics. Bref, oui, je pense que l’idée d’être atten­tif à l’écologie des diag­nos­tics, cela peut tout à fait être utile dans bien des cas, mais les élé­ments qui comptent, qui requièrent de la vigi­lance varient lar­ge­ment d’un cas et d’une mala­die à l’autre. Il faut à chaque fois des enquêtes appro­fon­dies pour iden­ti­fier les élé­ments cruciaux.

Vous l’avez dit, la notion d’écologie permet de penser les transformations d’un milieu, c’est-à-dire ici, comment un diagnostic, puis la maladie vont durablement modifier nos manières d’être et de faire. La médecine cherche à lutter contre les maladies, mais il faut parfois apprendre à vivre avec la maladie. Vous parlez alors de « vivrologie »…

AR « Vivro­lo­gie », c’est un mot de AIDES (l’association mili­tant autour du SIDA) qui est appa­ru avec le déve­lop­pe­ment des thé­ra­pies qui ren­daient pos­sible de vivre avec le VIH. Il ne s’agissait plus juste de sur­vivre au SIDA, mais de vivre avec cette mala­die, tout au long de sa vie. Le quo­ti­dien avec une telle mala­die chro­nique implique une série d’apprentissages très nom­breux, notam­ment tech­niques mais pas seule­ment. Une immense part des soins néces­saires aux malades chro­niques sont réa­li­sés par les malades eux-mêmes ! En France, ce sont les dia­bé­tiques qui ont mis cela en avant avec toutes les mesures, les piqûres, la nutri­tion, les appa­reils connec­tés, la quan­ti­té innom­brables de choses qu’iels doivent prendre en compte au quo­ti­dien, alors qu’iels vont peut-être deux fois par an seule­ment voir leur dia­bé­to­logue. Iels sont leurs propres auxi­liaires thé­ra­peu­tiques, grâce à un appren­tis­sage constant, pen­sé et orga­ni­sé par leurs pairs. La vivro­lo­gie recouvre cet ensemble de connais­sances col­lec­tives qui t’aident à faire face aux pro­blé­ma­tiques très concrètes de ta maladie.

On a par défaut attri­bué cette tâche à la méde­cine, mais au fond, une telle « édu­ca­tion thé­ra­peu­tique » ne relève pas de leur tra­vail. Aujourd’hui, tu as des asso­cia­tions qui sont les porte-voix de la méde­cine, et d’autres qui se placent davan­tage en par­te­na­riat : à cha­cun sa mis­sion. En France, les hémo­philes ou encore les Enten­deurs de voix, font par­tie des pré­cur­seurs de ce tour­nant majeur : assu­mer que la vivro­lo­gie est l’œuvre des malades et de leurs proches… lesquel·les sont invité·es à for­mer régu­liè­re­ment les médecins !

Les groupes d’usagers sont les plus qua­li­fiés pour défi­nir ce qui consti­tue à leurs yeux des savoirs per­ti­nents et ils ont éga­le­ment un rôle clé pour dénon­cer, défi­nir ou redé­fi­nir les caté­go­ries médi­cales, pour refu­ser la patho­lo­gi­sa­tion à outrance de cer­tains troubles (comme le font les Enten­deurs de voix, refu­sant le terme de schi­zo­phrènes) ou au contraire pour faire recon­naitre leur situa­tion et pou­voir béné­fi­cier d’une prise en charge, comme c’est le cas pour l’endométriose qui jusqu’alors n’était pas recon­nue comme une maladie.

Est-ce que ça rejoint la notion « d’autonomie » qui me semble omniprésente dans les débats et discussions sur la prise en charge des maladies chroniques, mais aussi des handicaps ou des conséquences du vieillissement ?

KS C’est effec­ti­ve­ment omni­pré­sent. L’autonomie a été une reven­di­ca­tion his­to­rique très impor­tante de la part des patient·es à par­tir des années 1960, face à une méde­cine de plus en plus équi­pée tech­ni­que­ment et hyper hié­rar­chique et patriar­cale. Le méde­cin, c’était Dieu en blouse blanche. Il n’avait aucune obli­ga­tion à l’information des patient·es. Les prin­cipes d’autonomie ain­si que le droit à savoir (et de ne pas savoir) et de consen­te­ment éclai­ré qui en ont décou­lés, fut un énorme avan­ce­ment en termes d’empo­werment.

Mais comme pour tous les concepts, leur puis­sance dépend – éco­lo­gi­que­ment si l’on veut – de savoir dans quoi ils sont pris. S’ils se trans­forment en mots d’ordres figés qui font abs­trac­tion de la confi­gu­ra­tion ini­tiale qui les ren­dait effi­caces, c’est rare­ment une bonne nou­velle. Le pro­blème aujourd’hui, c’est que les notions d’autonomie comme celle de « consen­te­ment éclai­ré » ne sont plus trop inter­ro­gées en ce qui concerne leur por­tée d’une situa­tion à l’autre. Elles sont ren­trées dans la loi et ont donc une por­tée juri­dique très dif­fi­cile à faire évo­luer sauf par juris­pru­dence. Pour­tant, on sent que par­fois ça ne rem­plit pas exac­te­ment ce dont on aurait besoin dans telle ou telle situa­tion. En effet, dans des situa­tions de soin et d’aide par exemple, l’empo­werment ne passe pas dans tous les cas de figure par l’autonomie com­prise comme la capa­ci­té indi­vi­duelle d’un sujet éclai­ré et cela pour des rai­sons évi­dentes. Mais aus­si, on ne peut pen­ser l’autonomie de la per­sonne malade, à tout prix, indé­pen­dam­ment de ce que vivent les proches. C’est encore une ques­tion d’écologie : dans quel contexte, dans quels types de rela­tions se trouve la per­sonne malade. Les prin­cipes d’autonomie et de consen­te­ment peuvent-ils être trans­gres­sés pour per­mettre la mise en place d’une rela­tion de soin un peu cor­recte ? C’est le sens du tra­vail des case mana­gers comme cel­leux que nous avons ren­con­trés en Hol­lande dans l’institution que j’ai déjà men­tion­née. Quelques fois c’est par la ruse et la déli­ca­tesse qu’iels arrivent à accom­pa­gner des patient·es réticent·es au départ à toute prise en charge. C’est cri­mi­nel d’un point de vue de l’autonomie prise comme un idéal abs­trait, mais ça prend un sens éthique situé dans le cadre éco­lo­gique du déve­lop­pe­ment de la maladie.

La notion d’autonomie, j’en suis convain­cue, méri­te­rait d’être repen­sée depuis l’endroit de la col­lec­ti­vi­té. C’est com­pli­qué à implé­men­ter pour l’instant, mais dans la pra­tique ça existe bel et bien. Les infir­mières par exemple pra­tiquent une auto­no­mie à plu­sieurs mains tout le temps : l’interdépendance assu­mée. Inter­dé­pen­dance avec d’autres per­sonnes mais aus­si avec des objets, comme un fau­teuil pour per­sonne handicapée.

D’un point de vue prag­ma­tiste, l’autonomie en soi n’existe pas. Il s’agit tou­jours de com­prendre dans quels enjeux sont pris la reven­di­ca­tion ou la mise à l’écart d’un concept. Si dans un pré­cé­dent contexte, la notion d’autonomie a eu des effets extrê­me­ment béné­fiques, elle est extraite aujourd’hui de ce contexte pour deve­nir une norme dans le dis­cours bioé­thique et aus­si dans le droit médi­cal. Au nom du consen­te­ment éclai­ré, les risques sont nom­més et on passe son temps à faire signer des décharges de res­pon­sa­bi­li­té pour évi­ter par la suite des pro­cé­dures judi­ciaires. Dans ce contexte-là, reven­di­quer son auto­no­mie n’est plus du tout aus­si inté­res­sant pour les patient·es, car elle fonc­tionne au pire des cas contre leurs inté­rêts. Autre­ment dit, une idée n’est ni bonne ni mau­vaise de manière géné­rale. Ce qui compte c’est de res­ter atten­tif aux effets concrets qu’elle engendre dans des pro­ces­sus de la vie réelle.

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