
Pratiquer une « activité physique régulière », y’a rien de mieux pour préserver son « capital santé ». Ainsi, les joggeurs (ce sont des gens qui courent) arpentent à des rythmes divers les rues de nos belles cités. Le dimanche, ce sont les vélos qui sont de sortie : une multitude de bikers (ce sont celleux qui pédalent) vont gaiment le long des petits chemins qui sentent de moins en moins la noisette. Santé, joggeurs, bikers : tout est capital – avec l’accent étasunien. Outils de production, nos corps ne font pas exception : une bonne machine est une machine entretenue.
Sauf que respirer à pleins poumons les particules fines de la rue de la Loi vers 17 heures, c’est pas vraiment conseillé. Saperlipopette, que faire ? Ben, dame, c’est simple : on ouvre des salles aérées, y compris dans les entreprises soucieuses de la bonne tenue de leur capital humain. « Aérées » ? Sous air conditionné quoi. On va quand même pas ouvrir les fenêtres et laisser rentrer les pollutions diverses qu’on a fui en fermant la porte. Du coup, on peut courir et pédaler sans trop de risques de mourir empoisonné. Même si forcément on n’avance pas beaucoup, faut pas se moquer : selon une étude de l’université d’Harvard, ça fait quand même un mort sur cinq dans le monde les particules fines. Tout ça est donc d’une implacable logique : pour éviter la pollution extérieure, on fait tourner dans les salles des machines à aérer épouvantablement énergivores qui polluent l’extérieur.
On sait aussi que sans stars, y’a pas d’émulation. Je vous le demande : jouerait-on aux échecs sans ses héros ? Et plus récemment sans son héroïne – y’en a qu’une de femme, faut pas pousser non plus – du « Jeu de la Dame » ? Ben, pour le sport en général, c’est la même chose. Et pour faire des héros, rien de tel que l’idéal olympique que Pierre de Coubertin, baron de son état, notoirement raciste et misogyne, a ranimé en 1894.
« Citius, Altius, Fortius »…, plus vite, plus haut, plus fort, la fière devise olympique, mise au service de la santé populaire par la Chine, quoi de mieux ? Après les Jeux Olympiques d’été de 2008 dans quelques villes chinoises, un peu enfumées il est vrai, on est passé aux JO d’hiver à Pékin et dans les environs. La région retenue, au climat semi-aride, est d’ordinaire réputée pour sa sécheresse hivernale. Le Centre national de ski alpin de Yanqing, qui a accueilli une partie des épreuves, n’avait reçu que 2 cm de neige entre janvier et mars 2021. Soit moins que Madrid à la même période. C’est dire si les JO d’hiver s’y imposaient !
Ceci dit, sérieusement, comment qu’on fait pour skier sans neige ? Et bien, on en fabrique ! Bon, bien sûr, ça a fait un peu riquiqui à la TV ces longues bandes neigeuses au milieu de nulle part. Bon, bien sûr, tout ça a pompé environ 2 millions de m3 d’eau, dans une région à risque de stress hydrique, pour alimenter des canons à neige. Qui fonctionnent à l’électricité. Et donc la Chine, dont on connait les grandes vertus écologiques, a planté des forêts… d’éoliennes pouvant produire 14 millions de kilowatts/heure et recouvert les montagnes environnantes de panneaux solaires d’une capacité additionnelle de 7 millions de kWh. Évidemment, éoliennes et panneaux solaires ont dû être fabriqués – on n’a pas d’infos sur les gaz à effet de serre dégagés par l’affaire. En tout état de cause, 80 333 ha de végétation (avec du vrai bois et de vraies feuilles, cette fois) ont été plantés depuis 2014. Et 85 % des véhicules utilisés pour la quinzaine olympique ont roulé à l’électricité ou à l’hydrogène pour compenser tout ça. Même si les sites choisis ont allègrement bouloté 25 % de la totalité de la réserve naturelle sur laquelle les pistes ont été implantées, ne chipotons pas : on voit bien qu’on est presque sauvé ! Suffit d’y mettre du sien.
En sus, grâce à l’exemple chinois, on va voir la moitié de la population terrestre se mettre au curling, dont sans doute les veinards qui font du ski à Comines – Belgique – par tous les temps, pour entretenir leur capital santé : ah que c’est beau l’émulation olympique ! Ça va bien faire tourner quelques éoliennes et mobiliser quelques panneaux solaires. Soit. Faut ce qu’il faut.
Puis, tant qu’à faire, pourquoi ne pas installer quelques pistes glacées au Qatar pour le Mondial d’hiver ? ça détendrait les footballeurs entre deux matchs et on profiterait ainsi de la réfrigération des stades (c’est qu’il fait plutôt chaud par là). En voilà une idée qu’elle est écologique : ça, c’est du recyclage, non ? Et grâce aux héros du foot, on va voir fleurir les vocations : curling et football partout, le monde entier est gagnant puisque le sport, c’est la santé ! Quoiqu’on ne sache pas trop ce qu’en pensent les milliers d’ouvriers morts sur les chantiers qataris…