
Suite et fin de cette séquence particulière, regard subjectif porté sur cinq avatars de ce que j’appellerai, faute de mieux, misanthropie criminelle contemporaine : les tueurs de masse, dont il me paraissait important de préciser quelque peu la typologie ; Charles Manson, le tueur par suggestion devenu, qu’on le veuille ou non, une icône pop ; le film M. Le Maudit qui introduisit la figure du serial killer dans la culture de masse et, par là même, dans l’inconscient collectif ; Landru dont la morale libérale nous rappelle que, contrairement à l’adage, le crime paye bel et bien ; et puis Théodore Kaczynski, alias Unabomber, qui aurait été un excellent compagnon de route si sa geste n’avait été stupidement meurtrière.
Baliser ainsi le territoire de la haine ordinaire, me permettait de méditer quelque peu sur l’usage du mot misanthropie (ou aversion pour l’espèce humaine) et d’en apprécier l’actualité. Or, le terme s’emploie assez peu de nos jours, il parait même tombé dans une désuétude relative alors que, paradoxalement, le genre humain aliéné (par l’argent, la religion, etc.) semble avoir battu des records en matière d’actes méprisables et révoltants au cours de ces dernières décennies ! De quoi générer un fort courant de pensées et d’attitudes misanthropiques, non ?
En 1930, dans son Second manifeste du surréalisme, André Breton, sondeur émérite de nos désirs inconscients, comme envoûté de violence misanthrope, écrit : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur a sa place toute marquée dans cette foule, ventre à hauteur du canon. »
Quelques lignes plus loin, temporisant quelque peu ce sursaut atrabilaire, il précise : « Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons à employer pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion. »
C’est sûr, un/une misanthrope (terme épicène)1 sommeille en chacun de nous. Pour autant, sommes-nous toutes et tous des criminel·les en puissance ? Et les assassins susmentionnés agissaient-ils par esprit de pure misanthropie ? Ce qui nous pousse à agir, notre tropisme inconscient, contient-il un indice misanthropique élevé ? Le tropisme de l’aversion ?
Ce misanthropisme serait-il acceptable en tant que tel ? Source de violence, de brutalité… ou de sagesse dans un monde abruti d’humanité ? Peut-on, à l’occasion, vouer aux gémonies nos semblables, tout en conservant un tempérament fraternel et solidaire ?
Jusqu’à ce jour, je n’ai trouvé que des linéaments de réponse dans les figures classiques de la misanthropie : Timon d’Athènes, le philosophe grec qui inspira la pièce de Shakespeare, et Alceste, LE Misanthrope de Molière. Tous deux se sont révoltés contre les maux de leur temps : l’hypocrisie, la fourberie, le mensonge, l’intérêt et la lâche flatterie. Déçus, poussés par le désespoir, ils en ont conçu une haine profonde pour leurs contemporain·es et l’envie tenace de s’expatrier hors de la société humaine. C’est ce repli de toute humanité, qu’énonce Alceste :
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.
L’exil comme remède à la misanthropie ? Mais dans quelle terre inconnue échapper à nos contemporain·es ?