Le verrou n’est pas la clé

Par Pierre Vangilbergen

Photo : Dushan_Hanuska_CC-BY-SA-2.0

Retour à la fin des années 80. Du côté des terres de l’Oncle Sam, plus pré­ci­sé­ment en Cali­for­nie, Exo­dus devient une des figures de proue du mou­ve­ment thrash metal. Gary Holt, gui­ta­riste et paro­lier d’Exodus, pose sur le papier ces quelques lignes incen­diaires : « Le sys­tème péni­ten­tiaire, intrin­sè­que­ment injuste et inhu­main, est l’ex­pres­sion ultime de l’in­jus­tice et de l’in­hu­ma­ni­té dans la socié­té en géné­ral. Ceux d’entre nous qui sont à l’ex­té­rieur n’aiment pas pen­ser que les direc­teurs et les gar­diens sont nos sub­sti­tuts, mais c’est pour­tant le cas. Et ils sont inti­me­ment enfer­més dans une étreinte mor­telle avec leurs cap­tifs humains der­rière les murs de la pri­son. Par exten­sion, nous le sommes aus­si. Un ter­rible double sens est ain­si don­né à la ques­tion ori­gi­nelle de l’é­thique humaine : Suis-je le gar­dien de mon frère ? »

Ces mots, ce sont les qua­rante-huit pre­mières secondes de The Last Act of Defiance, titre d’ouverture de l’album Fabu­lous Disas­ter. Ces mots et ceux qui suivent, ce sont éga­le­ment ceux qui décrivent l’émeute la plus vio­lente jusqu’à ce jour dans l’histoire des États-Unis, celle du péni­ten­cier de l’É­tat du Nou­veau-Mexique. En cause : des condi­tions de déten­tion désas­treuses. La nuit de l’é­meute, le 2 février 1980, la pri­son conte­nait 1156 déte­nus pour moins de 963 lits. Les pri­son­niers recon­nus comme vio­lents n’étaient pas sépa­rés les uns des autres. Les dor­toirs étaient sur­peu­plés et insa­lubres. Les pro­grammes édu­ca­tifs, récréa­tifs et de réha­bi­li­ta­tion venaient d’être annu­lés. Il n’en fal­lait pas plus pour que tout explose à la moindre étincelle.

Les pri­son­niers pren­dront pen­dant 36 heures le contrôle total de la pri­son. Douze offi­ciers de police seront pris en otage, 33 pri­son­niers per­dront la vie. « Une mer d’a­go­nie déferle comme une marée. Les plus chan­ceux échappent à la folie par le sui­cide Les cris des mou­rants hantent le monde, tor­ture et inci­né­ra­tion se répandent », entonne d’une voix nasillarde Steve Sou­za, le voca­liste d’Exodus, pen­dant les refrains.

Selon World Pri­son Brief, une base de don­nées sur les sys­tèmes péni­ten­tiaires du monde entier, les États-Unis demeurent les plus grands adeptes de la cel­lule : 541 per­sonnes sous les ver­rous pour 100.000 habitant·es. Mais la Bel­gique n’est pas en reste. Ins­crite à la 89e place du clas­se­ment (sur 224), située entre le Niger et Tad­ji­kis­tan, elle affiche au comp­teur 106 per­sonnes incar­cé­rées pour 100.000 habitant·es.

« Comme des requins en proie à la fré­né­sie, ils se sont achar­nés sur leur proie. Lorsque la folie a pris fin, le sang était trop intense pour être com­pris. Per­sonne n’a expli­qué la véri­table rai­son que par la cruau­té de quelques-uns, Tant de gens devaient mou­rir. Ils connais­saient les risques, mais conti­nuaient d’in­sis­ter sur le fait que la cause était jus­ti­fiée ». Comme le rap­pe­lait une carte blanche d’Olivia Neder­landt (UCLou­vain) et Aurore Van­liefde (KULeu­ven), publiée en octobre 2024, la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale entraîne des consé­quences désas­treuses, tant pour les per­sonnes déte­nues que leurs proches, mais aus­si pour le per­son­nel péni­ten­cier. Et plus glo­ba­le­ment, au sein de la jus­tice pénale. Le cœur du pro­blème n’est pas la « sur­po­pu­la­tion » — la pointe de l’iceberg — mais bien l’inflation car­cé­rale. Le taux d’enfermement n’a en effet jamais été aus­si haut en Belgique.

La peine de sur­veillance élec­tro­nique, la peine de tra­vail, la peine de pro­ba­tion auto­nome, l’amende ou encore le sur­sis, les alter­na­tives ne manquent pas. Des pistes pour le gou­ver­ne­ment Ari­zo­na ? Réso­lu­ment pas. « Compte tenu de l’énorme pres­sion qui pèse sur nos pri­sons et tant que la capa­ci­té car­cé­rale natio­nale est insuf­fi­sante, nous essayons de conclure des accords, à l’instar du Dane­mark, avec d’autres états de droit euro­péens pour y construire ou louer des pri­sons où les déte­nus en séjour illé­gal ayant été condam­nés défi­ni­ti­ve­ment pour des crimes ou délits pour­ront pur­ger tout ou par­tie de leur peine de pri­son si le trans­fè­re­ment n’est pas pos­sible ni sou­hai­table », indique l’accord de gou­ver­ne­ment. Ce n’est donc pas demain que les pri­sons désem­pli­ront. Et pour­tant ça coûte, autant en euros qu’en vies humaines. Quand l’idéologie passe avant le prag­ma­tisme, quelles qu’en soient les conséquences…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *