L’écologie des steppes The Hu

Par Pierre Vangilbergen

Faites le test : réflé­chis­sez à quelques noms de groupes de metal que vous pour­riez connaitre. Essayez ensuite de vous sou­ve­nir de leur pro­ve­nance. Un pays euro­péen ? Les États-Unis ? Avouons-le, il y a peu de chances que la Mon­go­lie soit par­mi les réponses qui sortent les pre­mières… Et pour­tant, à un peu moins de neuf-mille kilo­mètres de Bruxelles, à Oulan-Bator, quatre musi­ciens ont déci­dé il y a quelques années d’unir leur amour pour les gui­tares satu­rées et de for­mer « The Hu ».

Bien qu’inspirés par de grands noms qui ont for­gé l’histoire de ce style musi­cal, les artistes n’en ont pas moins gom­mé leurs ori­gines cultu­relles. Tout du contraire ! Sur une base de hea­vy metal, The Hu y a implé­men­té l’art du Khöö­mei (chant de gorge), de la flûte tsuur et du Morin Khuur (vio­lon à tête de che­val). Un mélange pour le moins déton­nant et folk­lo­rique… qui ira jusqu’à intri­guer l’UNESCO, qui les nom­me­ra à la fin de l’année 2022, « Artiste de l’UNESCO pour la paix ».

Car si leur patri­moine musi­cal mon­gol est dès lors mis en avant et per­pé­tué, il en va de même pour leur phi­lo­so­phie. « Nous avons implan­té un mes­sage sous-jacent dans tout notre tra­vail : aimer son envi­ron­ne­ment, la nature elle-même. Nous devons aimer notre mère nature de la même manière que nous aimons nos véri­tables mères. C’est vrai­ment impor­tant pour nous, c’est un mes­sage que nous vou­lons abso­lu­ment faire pas­ser ». Mère nature, une figure qui revient un an après leur nomi­na­tion par l’UNESCO, dans le clip ani­mé de leur mor­ceau « Sell the World ». Mais bien sûr, à la sauce metal­lesque : une table sur laquelle est posé un corps fémi­nin, mort, prêt à être autop­sié. Un public déshu­ma­ni­sé et avide est prêt à assis­ter à l’acte. Le corps est ouvert, les organes sont ôtés, pesés et mis aux enchères. Mère nature, pous­sée dans ses ultimes retran­che­ments, se voit fina­le­ment par­ta­gée aux plus offrant·es par ces mêmes per­sonnes qui l’ont pous­sée au trépas.

« Laisse un enfer à ta pro­gé­ni­ture — Détruire tout ce qui est ven­dable — Res­ter là en pré­ten­dant que c’est la vie ». Le tem­po lourd du mor­ceau accom­pagne cet arrière-goût pour le moins amer, qui n’est méta­pho­ri­que­ment pas sans rap­pe­ler le dérè­gle­ment cli­ma­tique auquel nous assis­tons depuis quelques années, impuissant·es et impuissanté·es. Des inon­da­tions qui ont frap­pé la Bel­gique en 2021 à celles en Espagne en octobre 2024, où les décès se comptent en dizaines voire cen­taines de morts, où les dégâts maté­riels deviennent astro­no­miques. Sans comp­ter les pays où les ther­mo­mètres explosent tous les records, lais­sant un air irres­pi­rable et suf­fo­cant. Bien­ve­nue dans le monde d’après, où il a été recon­nu que nous avons connu la décen­nie la plus chaude jamais enre­gis­trée.

« Gas­piller les eaux sou­ter­raines jus­qu’à la der­nière goutte — Res­ter assoif­fés sur la terre des­sé­chée avec vos pièces de mon­naie — Conti­nuer à sac­ca­ger ». Les mani­fes­ta­tions pré-période Covid en faveur du cli­mat et de l’environnement sont déjà loin. La fer­veur étu­diante en une mobi­li­sa­tion de masse pour faire évo­luer les men­ta­li­tés poli­tiques ont désor­mais lais­sé la place à des décla­ra­tions gou­ver­ne­men­tales où les mesures visant à pro­té­ger le vivant sont relé­guées au rang de l’anecdotique. Sans comp­ter la réélec­tion aux manettes des États-Unis de Donald Trump, qui a d’ores et déjà pro­mis de se reti­rer à nou­veau de l’Accord de Paris sur le cli­mat. Lors de son pré­cé­dent man­dat, en quatre ans, le cli­ma­tos­cep­tique notoire était reve­nu sur 208 régle­men­ta­tions envi­ron­ne­men­tales. Notons aus­si que seule­ment un tiers d’entre elles avait été remise en vigueur par le gou­ver­ne­ment Biden. Un coup de frein à main pour un chan­ge­ment de direc­tion à 180 degrés sur l’autoroute de l’illogisme, les pneus fumant sur un bitume brulant.

En atten­dant, The Hu pour­suit son che­min. En avril 2023, pour célé­brer la Jour­née mon­diale de la Terre, le 22 avril, la for­ma­tion a annon­cé qu’une par­tie des reve­nus de ses concerts ser­vi­ront à plan­ter 12 000 ormes de Sibé­rie dans la région déser­tique du sud-est de la Mon­go­lie. Et sans oublier une cer­taine « metal touch » : ces plan­ta­tions pren­dront la forme de son logo, un léo­pard à une corne, ins­pi­ré d’un ancien sym­bole uti­li­sé par les tri­bus hun. Pen­dant que cer­tains érigent des murs, d’autres plantent des arbres.

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