Chaque mardi matin, rue de Marcinelle, il est un bureau de quartier ouvert à toustes. Un espace convivial de rencontres et d’échanges, un lieu de possibles où il est notamment proposé aux habitant·es de les accompagner dans un projet qui leur tient à cœur. Christine est une habituée du lieu. La soixantaine souriante, elle a la joie de vivre contagieuse. Quand elle commence à danser, elle arrive à motiver tout le monde ! C’est de cette façon qu’on la présente, Christine. Enfant, elle était majorette. Lorsqu’elle a montré l’art du bâton à Charlotte, animatrice de la régionale de PAC Charleroi, l’idée a germé de la soutenir pour monter une troupe de majorettes pas comme les autres.
LES BARJORET·TES, UN ESPACE D’OUVERTURE QUI BOUSCULE LES STÉRÉOTYPES
L’envie initiale de Christine s’est accompagnée d’une dimension réflexive, avec l’ambition de mettre en question les stéréotypes de genres et de « beauté », d’ouvrir le groupe à la mixité et à l’écriture inclusive. Dès le départ, Charlotte, qui a coordonné le projet, a conditionné son accompagnement au fait que la troupe soit accessible aux femmes comme aux hommes, qu’il n’y ait pas de limite d’âge et que chacun·e vienne comme ielle est.
En avril 2023, une première rencontre s’est tenue au Cercle Saint-Charles. Cet ancien cercle paroissial repris il y a quelques années par plusieurs ami·es, héberge notamment une ASBL, le Prétexte1, qui organise de nombreuses activités. Le choix s’est dirigé vers ce lieu car il dispose d’une salle de théâtre aux plafonds suffisamment hauts pour accueillir les lancers de bâtons d’une vingtaine de personnes, et, atout non négligeable, d’une buvette où les échanges vont bon train, entre les habitué·es du mercredi, les personnes venant chercher leur panier des producteur·ices locaux, les habitant·es du quartier et celleux qui participent aux activités du Prétexte.
Cette première séance a été l’occasion de présenter le mouvement Présence et Action Culturelles et ses objectifs de transformation sociale en agissant par la culture. Aussi, pour alimenter les échanges lors de cette première soirée, trois reportages ont été proposés illustrant différentes troupes et visions des majoret·tes : l’interview datée de 1970 (archive SONUMA) des majorettes de Charleroi et de leur entraineur pour qui la figure de la majorette est la représentante de la beauté, de la grâce, de la féminité, dans laquelle ielles mentionnent les qualités essentielles pour être majorette comme être jolie, avoir de très jolies jambes, être souriante, grande si possible, se tenir comme il faut… On y voit des majorettes défiler, en majorité des jeunes adolescentes, la capitaine, la plus âgée ayant 22 ans ; un reportage sur des majorettes du Sud de la France en âge d’être grands-mères, très à l’aise avec leur corps ; et un reportage présentant les Queen A Man, une troupe d’hommes majorets bretons qui rendent hommage à l’inégalable Freddy Mercury.
Après le visionnage des trois vidéos, les échanges entre les personnes présentes se sont arrêtés sur le fait que la troupe serait bien entendu mixte, mais également ouverte à tous types de physiques et d’âges, sans condition. Par la suite, la question des costumes a aussi été discutée collectivement, en définissant en groupe certains critères : l’esthétique, l’unité du groupe, l’accessibilité financière et le confort (que chacun·e se sente à l’aise avec les vêtements qu’ielle porte dans l’espace public). Il fut donc décidé de laisser la liberté à chacun·e de choisir de porter une jupe, un short ou un pantalon, la seule règle étant de porter du blanc, et d’égayer tout ça avec des touches de bleu et des paillettes (pour que ce soit festif !).
Jupes courtes, jambes longues, sourires plaqués or et âge biologique ne dépassant pas la vingtaine (le tout orchestré sous l’autorité d’un homme) ont été remisés dans le grenier du patriarcat. Et si l’étiquette « féministe » ne colle pas aux costumes des membres de la troupe, la volonté de se débarrasser du sexisme accompagnant l’image des majorettes, en ouvrant le groupe à toustes, a impliqué de facto le questionnement des stéréotypes de genres.
ORGANISATION ET ENGAGEMENT PARTAGE
Sur le plan organisationnel, PAC a pris en charge la communication et la gestion du groupe. Des médias tels que le Vif, Télésambre ou encore la RTBF ont porté un intérêt au projet, sans doute pour sa dimension décalée et le message porté par la troupe.
C’est Charlotte qui a mis en place les rencontres bimensuelles. Elle a également garanti le cadre bienveillant, sécurisant et invité les participant·es à questionner et déconstruire les stéréotypes de genres par la nature même de la troupe, mixte et inclusive. L’objectif proposé dès le départ était de fixer la première sortie de la troupe au Joyeux Bordel de la rue de Marcinelle, festivité de quartier ayant lieu le 15 juillet dans le centre de Charleroi. Cette première date a donné sens aux répétitions et consolidé l’engagement des membres de la troupe.
En dehors de ce cadre structurel et structurant, les membres du groupe ont pris intégralement possession du projet. La chorégraphie a été librement imaginée par Christine, aidée de Roxane, autre ancienne majorette. Les membres du groupe ont avancé ensemble en décidant collectivement du nom de la troupe et de son écriture inclusive, du choix libre du costume et de la musique. Aussi, les compétences des un·es et des autres ont été mises à profit comme Sandrine qui s’est chargée du logo, validé par les autres membres de la troupe.
L’univers matériel partagé (T‑shirt blanc au logo bleu foncé, chaussures blanches et bâton) a permis de faire troupe et de constituer un « corps » de personnes ayant chacune leur individualité, porté par un projet commun.
Après ces quelques mois d’accompagnement, PAC va doucement se retirer, car la troupe possède désormais toutes les ressources pour s’autogérer et poursuivre le projet.
LE FOLKLORE COMME LIEU D’ÉMANCIPATION ET DE TRANSFORMATION SOCIALE
Le problème avec le folklore, c’est que lorsqu’il est figé, il meurt. Ou en tout cas il risque de ne plus susciter l’intérêt des générations futures car il n’évolue pas avec les préoccupations sociales de son temps. Les majorettes ont déserté l’espace public, victimes de leur ringardisation et de l’imaginaire sexiste et militaire auxquelles elles étaient associées. Ce folklore tombé en désuétude avait donc l’avantage d’être dégagé de son « institutionnalisation » normative. La troupe a réussi le pari de jouer avec les codes des majoret·tes — tels que l’usage du bâton, d’une chorégraphie actualisée sur une musique contemporaine, de costumes à paillettes et de chaussures et chaussettes blanches — en dépoussiérant ce folklore, en l’actualisant aux enjeux de la société contemporaine.
Pour PAC, le folklore fait partie de la culture populaire qui appartient aux personnes qui la portent et la pratiquent. S’emparer du folklore des majorettes en montant une troupe mixte et non conventionnelle a permis de véhiculer une pensée critique enracinée dans la pratique, qui questionne et déconstruit les stéréotypes de genres, sans l’engluer de sources théoriques trop souvent inaccessibles (ou simplement indigestes) pour de nombreuses personnes.
S’il n’y a pas de revendications claires ou de calicots portés par les membres de la troupe, le fait que les Barjoret·tes s’emparent de l’espace public et se réapproprient un folklore où tout le monde peut trouver sa place, où les femmes ne sont pas reléguées à de purs objets de désir et de consommation, participe intégralement à la transformation sociale. De la sorte, la troupe des Barjoret·tes participe à transformer le regard du public, proposant un modèle social épousseté de ses stéréotypes.
- Cette ASBL propose des activités très variées, dont le prétexte est de créer du lien : projections de films, balades, expositions, soirées jeux de société, ateliers (du montage floral à l’initiation à la mécanique) — Voir leur Facebook