
J’ai revu La cible (Targets), le deuxième film de Peter Bogdanovich, sorti en 1968. De manière clinique mais distanciée, on y observe le basculement du jeune Bobby Thompson qui, soudain, s’échappe d’une existence quotidienne banale par la folie meurtrière. Seuls quelques indices permettent d’ébaucher le profil psychologique du tueur : fascination pour les armes, contexte familial étouffant, absence suggérée d’activité professionnelle.
Vu aussi, dans la foulée, le plus radical Un tueur dans la foule (Two-minute warning), film de Larry Peerce daté de 76. Le parti pris : montrer les fragments de vie de femmes et d’hommes se rassemblant dans un stade pour assister à une finale de football. Jusqu’à l’instant où, dans les dernières minutes, un tireur embusqué entre en action… On ne saura rien, absolument rien de celui-ci, si ce n’est sa détermination aveugle.
L’absence de motivation apparente, la transparence sociale des assassins potentiels et l’approche comportementaliste des réalisateurs font de ces deux long-métrages des œuvres rares, glaçantes et révélatrices des dysfonctionnements de nos démocraties libérales finissantes…
On y aura découvert une catégorie bien particulière de meurtriers : les tueurs de masse (mass murderers). Qui opèrent selon les règles de la tragédie classique, respectant les unités de temps, de lieu et d’action pour commettre leurs crimes. Dans cette typologie morbide, on trouve aussi les tueurs en série (serial killers), les stars du genre. Pour appartenir à ce club très select, il faut au moins avoir tué trois personnes dans des endroits divers et à des moments différents. Depuis les forfaits de Jack l’éventreur en 1888, c’est, et de loin !, la catégorie qui occasionna le plus de fictions en tous genres, livres, films, séries TV, comics, etc.
Autre espèce recensée, celle des tueurs à la chaîne (spree killers ou tueurs frénétiques selon la traduction littérale). Pour obtenir ce label, il faut commettre un maximum de meurtres en un minimum de temps, mais en se déplaçant d’un lieu à l’autre. Anders Breivik est un tueur à la chaîne (Oslo et Utoya, 77 morts en 2011).
Une sous-catégorie existe, très prisée des médias et des spectateurs nécrophages : les tueurs en milieu scolaire, une spécialité non exclusivement américaine même si le massacre du lycée Colombine à Littleton en 1999 reste dans toutes les mémoires (tapez « tuerie en milieu scolaire » sur Wikipedia et vous tomberez de haut).
Eric Harris, 18 ans, l’un des deux tueurs de Colombine, écrivait dans son journal des trucs comme : « L’école, c’est le moyen qu’a trouvé la société pour transformer les jeunes en ouvriers et en gentils petits robots. » Ou : « (…) les gens ne méritent plus d’être sauvés. » Ou encore : « J’adore les nazis… Je ne me lasse tout simplement pas de leurs croix gammées, des SS ou de la croix de fer » (extrait de Dans la tête des tueurs de masse, Inculte, 2017).
Stephen Craig Paddock, lui, était un tueur de masse. Dans la nuit du 1er octobre 2017, Paddock s’est hissé d’un coup (façon de parler) en tête du classement des fusillades les plus meurtrières des USA. Du haut du 32e étage d’un hôtel-casino de Las Vegas, il a tiré à l’aide de plusieurs armes automatiques, neuf minutes durant, sur une foule de gens rassemblés dans un festival Country. Bilan : 59 morts (dont le tueur lui-même qui s’est suicidé) et plus de 500 blessés.
Ce nom vous dit-il encore quelque chose ? Sans doute pas. Le tueur de masse, de par son relatif anonymat, se prête peu au récit médiatique. Et depuis Las Vegas, on a eu les 17 morts du lycée de Parkland en Floride…
Dans nos sociétés hystériques, j’ai la nette impression que de plus en plus de gens veulent se débarrasser de nous. C’est assez flippant.