L’illusion des barreaux

Par Pierre Vangilbergen

Asli_Akal_CC BY-NC-ND 2.0

Qui­conque a écou­té du rock dur au début des années 2000 est néces­sai­re­ment pas­sé par la case Sys­tem of a Down (SOAD). Un véri­table ovni tout droit sor­ti de Cali­for­nie, avec son chant tan­tôt mélo­dieux, tan­tôt éner­vé et ses mélo­dies si carac­té­ris­tiques, alté­rant ces plages pla­nantes avec des riffs acé­rés et cor­ro­sifs. Le tout englué dans un pay­sage sonore aux accents de l’Europe de l’Est. Car même s’ils ont élu domi­cile au pays de l’Oncle Sam, les artistes du groupe sont tous quatre ori­gi­naires d’Arménie. Et s’ils sont connus pour mettre le feu aux salles de concert, ils pro­fitent éga­le­ment de leurs com­pos comme véhi­cules poli­tiques. Rap­pe­lons par exemple une de leurs der­nières grosses tour­nées euro­péennes, en 2015, où Sys­tem of a Down n’avait joué que dans les pays où le géno­cide armé­nien était recon­nu. L’Arménie com­mé­mo­rait alors les cent ans de ce mas­sacre où les deux tiers des Arménien·nes qui vivaient alors sur le ter­ri­toire actuel de la Tur­quie avaient per­du la vie sous le coup des dépor­ta­tions, des famines et des mas­sacres de grande ampleur.

« Dire à un artiste qu’il doit se conten­ter de jouer de la musique et ne pas par­ler de poli­tique, c’est comme dire à un jour­na­liste qu’il doit se conten­ter de faire des inter­views et ne pas répa­rer les – je ne sais pas – toi­lettes, ou autre chose. Cela n’a pas de sens. Nous sommes des êtres dyna­miques et sen­sibles. Nous pou­vons être bons dans plus d’une chose. Et si ce n’est pas le cas, c’est votre pro­blème », a décla­ré Serj Tan­kian, voca­liste du groupe, dans une inter­view accor­dée à G1, un por­tail d’information bré­si­lien. C’est dans un même esprit que SOAD s’est atta­qué au sys­tème car­cé­ral des États-Unis, dans le mor­ceau Pri­son Song. En ligne de mire : l’incarcération mas­sive de jeunes pour pos­ses­sion et tra­fic de drogues. « Les petits délin­quants de la drogue rem­plissent vos pri­sons sans que vous ne bron­chiez. Tous nos impôts financent vos guerres contre les nou­veaux non-riches », avant de rap­pe­ler un peu plus loin que « le pour­cen­tage d’A­mé­ri­cains dans le sys­tème car­cé­ral a dou­blé depuis 1985.»

En effet, depuis les années 1970 et puis sous l’ère Rea­gan, les États-Unis mènent une guerre sans mer­ci contre la drogue. Selon le site Inter­net World Pri­son Brief, une réfé­rence inter­na­tio­nale en la matière, les États-Unis comptent 1.767.200 per­sonnes déte­nues, soit 531 per­sonnes pour 100.000 habitant·es. Cela fait plu­sieurs années que les États-Unis figurent au top des pays qui empri­sonnent le plus de per­sonnes. Et ce, mal­gré un chiffre en dimi­nu­tion (la popu­la­tion car­cé­rale est mon­tée jusqu’à plus de 2,3 mil­lions de détenu·es en 2008).

« Toutes les recherches et les poli­tiques effi­caces en matière de drogues montrent qu’il faut aug­men­ter le nombre de trai­te­ments, et réduire l’ap­pli­ca­tion de la loi tout en abo­lis­sant les peines mini­males obli­ga­toires » s’époumone Serj Tan­kian en fin de mor­ceau. Un constat qui résonne éga­le­ment en Bel­gique. En effet, même si notre pays connait un taux d’enfermement bien plus faible (97 per­sonnes déte­nues pour 100.000 habitant.es), la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale est pour le moins bel et bien présente.

Un constat qui ne pour­ra aller qu’en s’aggravant : depuis le début du mois de sep­tembre, les per­sonnes condam­nées à une courte peine — moins de deux ans — doivent auto­ma­ti­que­ment la pur­ger en pri­son. La Bel­gique occupe par ailleurs la pre­mière place du podium en ce qui concerne le pour­cen­tage de per­sonnes incar­cé­rées pour des faits liés à la drogue. Au 31 jan­vier 2022, moment où les sta­tis­tiques du Conseil de l’Europe ont été arrê­tées, 51% des déte­nus se trou­vaient ain­si der­rière les bar­reaux pour cette rai­son, loin devant la Let­to­nie (43%), et l’Azerbaïdjan (37%) et très loin devant la moyenne euro­péenne (19%).

L’ensemble des pri­sons en Bel­gique est entré en grève, du 24 au 26 sep­tembre der­niers, afin de dénon­cer les condi­tions de déten­tion et de tra­vail inhu­maines qui règnent dans les pri­sons ain­si que pour récla­mer du per­son­nel sup­plé­men­taire. Vincent Van Qui­cken­borne, ministre de la Jus­tice, a quant à lui décla­ré « ne pas avoir de baguette magique pour un pro­blème qui dure depuis de si nom­breuses années ». Dont acte.

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