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Faites connaissance avec ceux qui influencent la politique migratoire et d’armement de l’UE

Lobby Tour

Le mou­ve­ment Pré­sence et Action Cultu­relles s’est asso­cié à l’asbl Agir pour la Paix pour pro­po­ser une visite gui­dée du quar­tier euro­péen sin­gu­lière, le Lob­by Tour, qui s’est dérou­lé le 5 juin 2024. Il a été pro­po­sé aux participant·es de faire plus ample connais­sance avec les grandes socié­tés d’armement euro­péen dont les bureaux sont ins­tal­lés à Bruxelles, au cœur même du quar­tier Schu­man. C’est ain­si qu’on che­mine et découvre dix lieux stra­té­giques, ins­ti­tu­tions à influen­cer, siège de ces socié­tés ou encore agences de « rela­tion publiques ». Tout en expli­quant les rela­tions pri­vi­lé­giées que ces grandes socié­tés entre­tiennent avec les ins­ti­tu­tions de l’Union euro­péenne et leur intense stra­té­gie de lob­bying, la visite per­met aus­si de se rendre compte des effets de celles-ci sur les poli­tiques migra­toires euro­péennes. Petit retour sous forme de balade car­to­gra­phiée dans les lieux d’action du sec­teur de l’armement à Bruxelles.

Les fron­tières de l’Europe for­te­resse tuent, chaque jour un peu plus. Le ren­for­ce­ment des fron­tières exté­rieures de l’UE n’a jamais arrê­té le flux migra­toire. Il l’a ren­du juste beau­coup plus dan­ge­reux. Les perdant·es de cette poli­tique sont de toute évi­dence les vic­times, qui n’ont pas quit­té leur terre d’origine par choix mais bien par néces­si­té de sur­vie. Les gagnant·es, quant à elles·eux, on les retrouve géné­ra­le­ment à l’ombre des bureaux de la capi­tale euro­péenne. Petit tour d’horizon…

  1. Quartier Schuman

Le cœur du sys­tème poli­tique de l’UE bat dans ce quar­tier euro­péen, ancien quar­tier popu­laire de Bruxelles. De 30 à 40 % des lois des États membres sont issues des déci­sions de l’UE. Tout autour de cette acti­vi­té légis­la­tive, un intense tra­vail de lob­bying visant à influen­cer élu·es et haut·es-fonctionnaires européen·es s’est déve­lop­pé. Un lob­by, c’est une struc­ture orga­ni­sée pour repré­sen­ter et défendre les inté­rêts d’un groupe don­né en exer­çant des pres­sions ou des influences — directes ou indi­rectes — sur des per­sonnes et ins­ti­tu­tions déten­trices de pou­voir concer­nant l’élaboration, l’interprétation, l’application des lois et direc­tives des pou­voirs publics. On estime aujourd’hui à envi­ron 25 000 per­sonnes le nombre de lob­byistes en fonc­tion à Bruxelles. Cer­taines esti­ma­tions parlent même de 50. 000 personnes !

Il existe un « registre de trans­pa­rence ». Il s’agit d’un site inter­net où toute orga­ni­sa­tion qui exerce une acti­vi­té de lob­bying euro­péen à Bruxelles peut se décla­rer (sans obli­ga­tion tou­te­fois). En place depuis 2011, il est acces­sible au public sous forme de moteur de recherche.

  1. LA Commission européenne 

C’est la gar­dienne des trai­tés de l’UE et la garante de l’intérêt géné­ral de l’Europe. Mais c’est aus­si (et sur­tout) l’exécutif de l’UE : elle pro­pose des légis­la­tions, met en œuvre les déci­sions et gère les affaires cou­rantes de l’UE. Son pou­voir très impor­tant en a fait la cible prin­ci­pale des lob­bys de tous les secteurs.

  1. Le Conseil européen 

Le Conseil euro­péen ras­semble les chefs d’État et de gou­ver­ne­ments des 27 pays membres de l’UE. Ils se réunissent en som­met plu­sieurs fois par an, dont 4 au moins se tiennent à Bruxelles. Ils doivent défi­nir ensemble les orien­ta­tions et prio­ri­tés de poli­tique géné­rale euro­péenne. Atten­tion à ne pas confondre avec le Conseil de l’Europe — orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale qui défend pour sa part les droits humains.

  1. MBDA

MBDA (Matra-Bae Dyna­mics-Ale­nia), c’est le lea­der euro­péen et le numé­ro 2 mon­dial dans la fabri­ca­tion de mis­siles avec un chiffre d’affaires de 4,45 mil­liards d’euros. Cette entre­prise du sec­teur sécu­ri­té défense est issue de la fusion des prin­ci­paux pro­duc­teurs de mis­siles fran­çais, ita­liens, alle­mands et anglais.

Le site inter­net de la MBDA contient des onglets appe­lés « res­pon­sa­bi­li­té et d’entreprise » et « éthique » : « Nous nous enga­geons à faire preuve de vigi­lance pour iden­ti­fier et pré­ve­nir les impacts néga­tifs directs ou indi­rects de nos acti­vi­tés sur les droits humains, liber­tés fon­da­men­tales, san­té et sécu­ri­té des per­sonnes. Nous accor­dons une atten­tion toute par­ti­cu­lière aux droits des per­sonnes vul­né­rables dans les pays dans les­quels nous exer­çons nos acti­vi­tés »…

La MBDA déclare un 0,5 temps plein au registre de trans­pa­rence de l’U.E et entre 50.000 et 99.999 euros dépen­sés chaque année pour le lob­bying à Bruxelles.

  1. Thales

L’entreprise nait de la pri­va­ti­sa­tion de l’industrie de l’armement en France (mais l’État fran­çais y est encore bien pré­sent avec 30 % de l’actionnariat). Chiffre d’affaires : 18,4 mil­liards d’euros. La moi­tié de ses acti­vi­tés concerne le sec­teur sécu­ri­té défense, l’autre le civil. En 2012, Tha­lès et la socié­té espa­gnole Aero­vi­sion pré­sentent ensemble leur drone appe­lé Ful­mar dans une pre­mière démons­tra­tion en vol orga­ni­sée par Fron­tex. Il s’agit d’un drone de sur­veillance et d’identification maritime.

A cette occa­sion, la com­mu­ni­ca­tion de l’entreprise rap­pelle à quel point « la sur­veillance et le contrôle des fron­tières sont essen­tiels pour garan­tir la sécu­ri­té inté­rieure d’une nation étant don­né l’accroissement des risques et des menaces (immi­gra­tion clan­des­tine, tra­fic de drogues, ter­ro­risme,…), les gou­ver­ne­ments réclament un plus haut degré de sécu­ri­té pour leurs frontières… » 

Tha­lès déclare 3,5 per­sonnes à temps plein pour faire du lob­bying à Bruxelles et entre 300.000 et 399.999 euros de dépenses annuelles.

  1. Le Service Européen pour l’Action Extérieure

Le Ser­vice Euro­péen pour l’Action Exté­rieure (SEAE) est le ser­vice de diplo­ma­tie de l’UE. Il nait en 2010, à la suite du Trai­té de Lis­bonne en 2007 qui pré­voit la fusion des acti­vi­tés de poli­tique étran­gère, de défense et de sécu­ri­té. Sa mis­sion est de coor­don­ner ces poli­tiques au niveau euro­péen et repré­sen­ter l’UE à l’étranger.

Mais la poli­tique de défense euro­péenne pré­existe à la poli­tique étran­gère. En 2004 déjà avait été créée l’Agence Euro­péenne de Défense (AED) à la suite de l’intense lob­bying des indus­tries de l’armement. Son but était de com­bler « les trous » dans des capa­ci­tés d’intervention mili­taire de l’UE et de coor­don­ner de nou­veaux pro­jets d’armement. Les experts issus des indus­tries sécu­ri­té défense occupent une place impor­tante à l’intérieur de l’AED…Cette agence a été inté­grée dans le SEAE dès sa création.

On retrouve donc les com­pé­tences de poli­tique étran­gère, de sécu­ri­té et de défense et les poli­tiques com­mer­ciales liées dans un même organe ins­ti­tu­tion­nel – ce qui pré­sente le dan­ger de fré­quents conflits d’intérêts.

  1. BAE Systems

Situé dans le bâti­ment de l’ambassade bri­tan­nique, BAE Sys­tems est le fabri­cant d’armes le plus impor­tant en Grande-Bre­tagne et en Europe et un du top 10 mon­dial avec un chiffre d’affaires de 6,04 mil­liards d’euros. Presque l’entièreté de son acti­vi­té est dédiée à l’armement.

BAE Sys­tems a mul­ti­plié les contrats euro­péens autour des acti­vi­tés liées au contrôle de la migra­tion (OPARUS, SEABILLA, PERSEUS,…) par les fron­tières côtières et mari­times. Il s’agit sou­vent de contrats en col­la­bo­ra­tion avec d’autres grandes socié­tés d’armement et donc un par­tage du bud­get euro­péen attri­bué à cha­cun de ces contrats.

BAE Sys­tems déclare une per­sonne à temps plein pour faire du lob­bying à Bruxelles en entre 50. 000 et 99.999 euros.

  1. Frontex / DG Entreprise et Spatiale

Dans le même bâti­ment coha­bitent l’agence Fron­tex, la Direc­tion Géné­rale (DG) Entre­prise et la Direc­tion Géné­rale Spatiale.

Fron­tex

L’agence euro­péenne de garde-fron­tières et de garde-côtes en est à sa deuxième ver­sion. Elle a été créée en 2004 avec un bud­get annuel de 6,5 mil­lions d’euros. Son bud­get actuel dépasse les 800 mil­lions d’euros. Jusqu’en 2015 son man­dat consis­tait à har­mo­ni­ser les pro­cé­dures de contrôles aux fron­tières des États membres et à orga­ni­ser les vols retour (expul­sions des per­sonnes en migra­tion des États membres orga­ni­sés par Fron­tex, par vol mili­ta­ri­sé). Elle ne pou­vait pas ache­ter son propre maté­riel ni ses équi­pe­ments, elle devait comp­ter sur les prêts des États membres pour ça. Mais en 2015, la « crise migra­toire » change la donne : Fron­tex voit son bud­get explo­ser ain­si que ses com­pé­tences. L’agence peut aujourd’hui ache­ter son maté­riel, dis­po­ser de ses propres garde-côtes et garde-fron­tières (près de 3000 aujourd’hui) qui sont désor­mais armés. Elle est donc deve­nue une cible très inté­res­sante pour les lob­bys de l’armement.

DG Entre­prise

DG Entre­prises : L’UE pos­sède un très gros bud­get Recherche et Déve­lop­pe­ment dont l’enveloppe est répar­tie entre dif­fé­rents sec­teurs. Un de ceux-ci concerne la sécu­ri­té inté­rieure de l’UE et de ses fron­tières. Dans le cadre du pro­gramme actuel « Hori­zon Europe » ce sont ain­si des mil­lions d’euros qui sont dis­tri­bués aux indus­tries de l’armement pour réa­li­ser leurs pro­jets et construire l’Europe For­te­resse. Com­ment ? Les indus­tries de l’armement envoient des experts dans les groupes de tra­vail consti­tués par la Com­mis­sion euro­péenne pour conseiller l’UE et ce à divers moments du pro­ces­sus d’attribution de sub­sides de pro­jets euro­péens. Par exemple, pour défi­nir les besoins de l’UE dans cer­taines poli­tiques, pour écrire les appels d’offres, pour exa­mi­ner les pro­jets et pour les sélec­tion­ner. Ou com­ment être à la fois béné­fi­ciaires et ceux qui attri­buent les subsides…

DG Spa­tiale

L’agence spa­tiale euro­péenne (ESA) lance le pre­mier satel­lite du pro­gramme Sen­ti­nelle en mai 2014. Sen­ti­nelle est un pro­jet qui cible l’étude de l’évolution des couches de glace, la pol­lu­tion marine, la car­to­gra­phie des mou­ve­ments de ter­rain… et qui met les images prises par les satel­lites à la dis­po­si­tion du grand public et des cher­cheurs. La com­mu­ni­ca­tion de l’ESA à l’occasion de ce lan­ce­ment pré­cise cepen­dant que si « la lutte contre l’immigration illé­gale n’est le core busi­ness de Sen­ti­nelle, ces satel­lites pour­ront tou­te­fois ser­vir à envoyer des alertes à l’agence Fron­tex s’ils repèrent des bateaux de per­sonnes en migra­tion tra­ver­sant la mer vers l’Europe. »

  1. Les autruches du Parc Léopold

Ce petit parc dans le parc est un clin d’œil au jar­din zoo­lo­gique qui se trou­vait là fin du 19e siècle. En 2016, des sta­tues d’autruches y font leur appa­ri­tion, elles ont toutes la tête dans le sol, à deux pas du Par­le­ment euro­péen… Un sym­bole repré­sen­tant les eurodéputé·es qui ne veulent pas réa­li­ser l’étendue de l’influence des grandes socié­tés sur leur acti­vi­té parlementaire ?

  1. LE Parlement européen

C’est l’organe par­le­men­taire de l’UE, les membres sont élus au suf­frage uni­ver­sel tous les cinq ans. Il a un rôle légis­la­tif, pour la légis­la­tion euro­péenne mais aus­si pour les accords inter­na­tio­naux etc. Il assure éga­le­ment un rôle de contrôle démo­cra­tique sur les ins­ti­tu­tions. Il élit le pré­sident ou la pré­si­dente de la Com­mis­sion euro­péenne et éta­blit le bud­get euro­péen… Envi­ron 8000 fonc­tion­naires y tra­vaillent. On estime à plu­sieurs dizaines le nombre de lob­byistes actifs autour de chaque eurodéputé·es. Tout comme la Com­mis­sion euro­péenne, le Par­le­ment est la cible des lob­byistes pour leur com­pé­tence de législation.



Des Lobbys tours sont régulièrement organisés par Agir pour la paix