« On est là pour faire de la musique, pas pour parler de politique ». L’adage est bien connu dans le milieu du metal. Et pourtant… celles et ceux qui disent cela ont la mémoire courte. Depuis ses origines au début des années 70, le metal est un des courants musicaux les plus contestataires. Même si certain·es tentent aujourd’hui de s’en affranchir, d’autres groupes au contraire n’ont pas peur de clamer haut et fort leur opinion politique, optant également pour le bon côté de l’échiquier en évitant de s’embourber dans des idées aussi extrémistes qu’abjectes. En d’autres mots : être progressiste et pratiquer de la musique extrême, c’est toujours bel et bien possible.
Parmi ces groupes, Sunrot, originaire du New Jersey, n’a pas particulièrement sa langue en poche : « Quand on est en tournée aux États-Unis, on essaie toujours de jouer dans des États dotés de lois anti-trans, anti-queer et anti-mouvement pro-choix, afin de faire face aux personnes qui veulent notre mort et d’emmerder le plus grand nombre possible de réacs », explique le vocaliste du groupe, Lex Santiago.
Non seulement très sensible aux questions de genres, Sunrot s’inscrit par ailleurs dans une critique virulente du capitalisme et du colonialisme. Un élan sans équivoque à combattre ces idéologies, cristallisé il y a peu, en 2023, dans le morceau Gutter : « Nous avons terni ton visage — Embrasé ton océan — Nous avons déchiré ton ciel — Baigné dans des pluies acides — Nous sommes des menteurs, tricheurs, voleurs, tueurs ». Un portrait sans concession, totalement assumé par Ross Bradley, le bassiste du groupe. « Gutter est un morceau plein de chagrin et d’espoir. Le génocide écologique, comme le projet Cop City qui détruit actuellement les forêts d’Atlanta, est de plus en plus courant. L’appétit insatiable du colonialisme et du capitalisme vise à mettre fin à la vie sur terre pour en tirer du profit. Cela ne s’arrêtera pas tant que nous ne l’arrêterons pas. Nous pensons que la terre appartient à ses gardiens indigènes et qu’elle doit leur être rendue. Gutter est un appel à l’action, dans l’espoir qu’un monde meilleur soit toujours possible, et même inévitable, si c’est ce que nous choisissons ».
En effet, l’Atlanta Public Safety Training Center, mieux connu sous le nom de Cop City, est un projet qui fait actuellement beaucoup de bruit en Georgie. Il s’agit de la construction, toujours en cours, d’un vaste campus afin d’y former de futur·es pompier·es et policier·es. Mais pour que ce complexe puisse voir le jour, il leur est notamment nécessaire de raser une bonne partie de territoires boisés, appartenant initialement aux Creeks, une tribu d’Amérindien·nes chassé·es par le gouvernement fédéral en 1830. Un projet qui, s’il était exécuté en Belgique, pourrait être qualifié d’écocide. Aux États-Unis, le mouvement visant à protéger les lieux est sans cesse poursuivi par les autorités et s’en en déjà suivi par des dizaines d’arrestations pour « terrorisme domestique ».
« Un règne de ruine — Nous sommes en deuil — Sans l’ombre d’un doute — La source a toujours été la cupidité », poursuit le morceau Gutter, dans un sludge plutôt énervé, crasseux à souhait et pour l’occasion rejoint par Bryan Funck (vocaliste du groupe Thou) et l’artiste Emily McWilliams. Ce combat à Atlanta pour la préservation de l’écosystème n’est aussi pas sans rappeler d’autres luttes similaires, telles que les ZAD en France, en Suisse et en Belgique. Ces ZAD – pour Zone à défendre – sont des occupations de certains espaces, ces derniers étant voués à y accueillir des projets qui anéantiront l’écosystème présent sur place.
On pense par exemple à la ZAD d’Arlon, démarrée en 2019, qui avait pour objectif de bloquer la construction d’un parc d’activités économiques, afin de préserver la sablière de la région et de sauvegarder la biodiversité en place. Le camp de zadistes sera finalement rasé en 2021, mais a néanmoins permis que le projet tienne davantage en compte le vivant présent sur le territoire convoité. Un peu plus de 700 km plus loin, on pense également à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en France, démarrée en 2008 et devenue une zone emblématique de lutte contre le projet de construction d’un aéroport. Après 10 ans de combats, le projet d’aéroport est finalement abandonné, en 2018. Cette fois-ci, le bras de fer a donné raison aux militant·es.
« C’est notre choix — Nous pouvons choisir autre chose », clôture Lex Santiago, à pleins poumons, en fin de morceau. Un phare dans l’océan, décidément plus que nécessaire en ces temps troublés.