Tu as débuté ton parcours par le slam, puis tu as glissé vers le rap, le hip hop. De quoi parlent tes textes en général ?
En fait, c’est le contraire. J’ai commencé par le rap à la fin des années 90. Je suis resté dans l’ombre pas mal d’années pour travailler mes textes, mon interprétation. J’estimais qu’il fallait avoir un certain niveau pour se montrer. Pour moi, le hip hop représente le travail, l’effort. Partir de rien et évoluer petit à petit. C’est avant tout un état d’esprit, je pourrais même dire une philosophie de vie. Mais je déplore l’image actuelle de ce mouvement. J’ai donc une certaine tendance à m’écarter de cette image. Le hip hop, je le vois comme une démarche très personnelle, intérieure. Limite spirituelle. Comme dirait mon pote Alexis (Phazy Phaz) : « Fais ce que tu as à faire fils ! »
Mon écriture est avant tout automatique. C’est une manière d’extérioriser sainement un ressenti. J’ai donc un aspect très introspectif dans mon écriture. J’ai, très jeune, ressenti le besoin de parler de la manière dont je perçois l’environnement qui m’entoure. J’ai d’abord beaucoup écrit sur la cohésion de groupe, sur les relations entre les gens, l’amitié, la rancune, l’hypocrisie, les affinités…
Si j’ai atterri sur la scène slam, c’est parce que je n’avais pas de connaissance dans le monde musical. Je ne connaissais personne qui faisait de musique. Une fois ma scolarité terminée, je n’avais plus de public (rire). L’appel de la scène s’est donc fait sentir et j’ai découvert les « slam sessions » organisées par l’asbl Lezarts Urbains.
Tu chantes par-dessus tout ta région, ta ville, ton « Poumon noir ». Peux-tu nous expliquer d’où vient cet amour passionnel ?
En fait, mon premier street-album « officiel » (« Au chapitre pléonasme ») parle de Charleroi, du hip hop et de la société dans laquelle ils évoluent. C’est avant tout né d’un ras le bol de voir et d’entendre la manière dont on parle de Charleroi dans les médias. Je ne dis pas que tout y est toujours rose, mais ne présenter que le coté négatif, c’est faux aussi.
C’est la ville où je suis né, où mes parents et grands parents sont nés, et ce ne sont pas de dangereux braqueurs. Ce que je veux dire c’est que l’endroit où l’on grandit, et évolue, participe à la construction de la personnalité. Je suis fier des parents que j’ai et de l’éducation qu’ils m’ont donnée. Je suis content d’être comme je suis. Je suis donc très fier du rôle que Charleroi a joué dans la construction de ma personne.
Tu es un artiste multimédia, comment fais-tu pour mettre en musique ces différentes disciplines artistiques ? Occuper le terrain musical aujourd’hui passe obligatoirement par une approche multimédia ?
Je ne pense pas que se soit propre à l’univers musical. J’ai un projet, un message, et les différents médias sont des supports qui aident à faire passer un même message.
Il ne s’agit donc pas d’un projet marketing où on se dit : tiens il faut un clip, un visuel pour se faire connaître, un site internet racoleur…
L’idée est d’exploiter toutes les facettes qui sont à notre disposition pour faire passer ce message et de les faire évoluer en parallèle.
Comment considères-tu aujourd’hui les politiques culturelles en communauté française et les aides qu’elles apportent en matière, de diffusion, de production, de promotion ?
J’ai un regard assez négatif sur cette politique. Et pas seulement en ce qui me concerne (puisque ça se passe plutôt pas mal pour moi en ce moment) mais de manière générale, dans le paysage artistique de la Communauté française.
J’ai vraiment le sentiment que pour être soutenu, un artiste de la Communauté française doit d’abord faire ses preuves à l’étranger, dans la plupart des cas en France.
Combien de fois n’ais-je pas vu de soirées, ou des événements, où les trois quarts du budget sont réservés à la tête d’affiche, « star internationale », et le reste aux différents artistes belges qui assurent la première partie !? Est-ce un manque de confiance ou la peur de ne pas rentabiliser ? Je ne sais pas. Mais un fait certain est que très peu d’événements, de grandes envergures, misent uniquement sur des artistes belges.
Dans les médias, n’en parlons pas. Aucune place n’est réservée aux artistes belges sur les heures de grandes écoutes des chaînes ou stations nationales. D’autre part, combien de centres culturels se prennent pour des salles de concert privé ? J’ai l’impression que les artistes belges, en Belgique, sont considérés comme des débutants qui balbutient. Pour jouer dans un Centre culturel, il faut, dans la plupart des cas, assurer la première partie d’un artiste étranger.
Vois-tu des changements importants à faire dans cette politique culturel ?
En matière de promotion, la Communauté française ne prend aucun risque, elle soutient des artistes qui marchent déjà. Elle fonctionne comme une entreprise privée. Je trouve cela dommage. Mais bon, j’imagine bien que tout cela est très compliqué, je ne suis pas en train de cracher bêtement mon venin mais si ça ne tenait qu’à moi, j’organiserais les choses autrement. Notamment à la RTBF, qui est un service public belge avec trois missions (dans l’ordre) : éduquer, informer, divertir. Et qui essaye de rivaliser avec RTL, chaîne privée, appartenant à un grand groupe européen.
La politique culturelle de la Communauté française est à l’image de la RTBF, pour moi, elle se trompe de cheval de bataille, elle s’éparpille et fait les choses à moitié. Je crois qu’il n’est même pas question de choix, à savoir : miser sur l’international ou sur le local. Ce choix ils ne l’ont pas fait mais ils font comme si, et pour moi c’est là qu’ils se trompent. Qu’ils arrêtent de faire semblant de pouvoir organiser des événements qui nécessitent des budgets qu’ils n’ont pas. Qu’ils s’assument, qu’ils voient les choses à notre échelle avec plus de place pour nos artistes.
Tu enchaînes concert sur concert, ton second album est sorti en septembre, tu passes sur les antennes de la RTBF, tu as remporté le 1er prix du concours « L’Envol des Cités », ton rêve prend une réelle ampleur. Cela ne te fait-il pas peur de sortir petit à petit de l’anonymat ?
Peur ? Non ! Au contraire. Je suis très content de tout ce qui arrive mais si ça marche, je ne suis qu’une jambe, ou plutôt une rotule. Les autres membres du collectif forment l’ensemble de la jambe et l’autre jambe, c’est Lézarts Urbains et Fabrice Laurent (PAC Charleroi) ainsi que tout les membres du monde culturel qui nous aident.
Bio express :
C’est en 2001 que Mochélan fonde le collectif Poumon Noir qui fera parler de lui à Charleroi et au-delà. En 2007, Mochélan se fait remarquer sur plusieurs scènes slam importantes où il rafle quelques prix et l’attention des professionnels pour sa présence scénique, le caractère viscéral, sensible et corrosif de ses textes, l’aspect à la fois ciselé, populaire et direct de son écriture. Son premier street album « Au chapitre pléonasme » sort en 2008. Avec Julien, guitariste, Mochélan s’essaye au slam en musique acoustique. En 2010, ils sont rejoints par Ceed (contrebasse) et Alix (percussion) avec qui ils préparent l'album « Mon corps t’exprime ». En mai 2010, Mochélan remporte le concours L'envol des cités avec son titre « Notre Ville » au terme d'une tournée de 7 concerts. Son dernier clip "Mon corps t'exprime" est à visionner ici.