Que pensez-vous du nationalisme flamand qui ne cesse de monter dans l’opinion publique ? Pensez-vous que les Flamands soient plus nationalistes que les Wallons ?
Oui, je le crois. C’est une histoire compliquée à expliquer. À mon sens, un des points essentiels pour comprendre ce qui se passe dans ce nationalisme flamand est de se rendre compte qu’il est purement lié à son passé. En effet, il y a une forte volonté d’émancipation qui a commencé au 19e siècle et qui aboutit seulement maintenant, mais entre-temps elle a perdu le sens de son objet, car aujourd’hui les Flamands sont plus riches que les Wallons. Ils pourraient très bien fonctionner seuls en étant la partie dominante dans les structures belges.
Mais paradoxalement, ces structures belges, ils ont appris à les détester, du moins ceux qui sont profondément impliqués dans ce mouvement culturel flamand. Pour eux, dans les années 60 et 70, l’État belge devient le symbole de la francisation du pays, et Bruxelles-capitale une machine à franciser ses habitants. Cela pousse encore plus l’âme flamande et ses régions à défendre l’originalité culturelle.
Aujourd’hui, la Flandre voudrait prendre son indépendance. L’indépendance en vue de devenir une région à part entière où la vie serait meilleure qu’aujourd’hui me paraît illusoire ! Ils souhaitent ne plus dépendre de l’État belge, ne plus devoir payer des impôts à un État fédéral dont ils estiment ne pas avoir besoin. Les Flamands sont très anti-État fédéral, anti-grandes villes. Ils ont dispersé les ouvriers dans les campagnes, les ont volontairement éloignés des villes, des lieux de tous les problèmes, de tous les dangers, de toutes les diversités. Diversités qui représentent pour eux des menaces pour la pureté culturelle flamande. Tout cela se combine. Il se fait que face à cette globalisation, la territorialisation, le repli identitaire semble une solution. À l’inverse, justement, cette globalisation demande l’ouverture des territoires et des politiques capables de travailler à des échelons différents. Il faut à la fois combiner des politiques locales, des politiques urbaines car les villes aujourd’hui représentent davantage le moteur économique que les régions. Que ce soient nos Régions et nos Communautés, l’État fédéral et l’Europe, si on parvient à faire des politiques cohérentes, nous avons suffisamment de leviers en mains pour faire face à cette globalisation. Par contre, si on ne le fait pas, nous entrons tout simplement dans le jeu de la concurrence entre régions, entre villes, entre pays qui est justement la principale cause des grands problèmes économiques actuels.
Le problème actuel de la Flandre est qu’elle reste trop tournée vers le passé au lieu de regarder vers le futur. En regardant trop dans le rétroviseur, elle s’imagine que les solutions adoptées par le passé sont également valables et un modèle à suivre pour le futur. La Flandre se trompe lourdement.
Finalement Bart De Wever est dans une logique qu’on pourrait comprendre par rapport au passé de la Flandre ?
Oui, Bart De Wever est un politicien intelligent mais il n’est pas que l’émanation de lui-même. Il est l’émanation de l’aile droite de tout ce mouvement flamand. Et l’aile droite a toujours été plus puissante que l’aile gauche dans ce mouvement.
Bart De Wever signera-t-il la fin de la Belgique, le peuple flamand lui donnera-t-il raison ?
Je ne suis pas certain que l’ensemble des sondages et des enquêtes démontrent encore aujourd’hui avec autant d’assurance qu’une majorité de Flamands est prête à l’éclatement de la Belgique et à former un État flamand séparé. Mais l’ensemble des grands processus politiques des 50 dernières années est, tel un divorce, un processus lent qui se met en route. Il ne faut quand même pas se leurrer non plus. Lorsqu’on examine l’histoire récente électorale en Flandre. On constate qu’au départ on partait d’une stratégie de lutte des classes qui était essentiellement anti-urbaine et catholique avec des bastions soit libéraux soit socialistes dans les villes, ou parfois dans des cantons plus ou moins ruraux comme les sucreries à Tirlemont, un bastion libéral. Mais globalement, on avait un paysage catholique qui lentement avec l’ascension sociale de la Flandre, après la Seconde Guerre a constitué la classe moyenne. Et cette classe moyenne suburbaine ou vivant dans de petites villes (pas dans les centres des grandes villes, ils sont destinés aux immigrés) est très habile en termes de comportements électoraux. Ils voteront toujours au centre, plutôt centre-droit, mais pour des raisons dont on ne perçoit pas vraiment la logique historique profonde mais de manière plutôt aléatoire. La victoire de la N‑VA je ne crois pas que ce soit (et d’ailleurs c’est tellement rapide l’ascension de ce parti) un mouvement à long terme mais simplement un tour de rôle. C’est un tour de rôle dans la prise de pouvoir, d’un pouvoir où l’électeur fait son shopping électoral et vote pour celui qui lui semble le plus sympathique, finalement celui qui donnera une victoire. On aime voter pour celui qui sortira victorieux des élections, c’est un peu une stratégie de frustrés. Celle du nouveau riche Flamand frustré d’avoir été pauvre économiquement et linguistiquement auparavant.
Il y a une facette de tout ce mouvement flamand dans sa présence actuelle qui fait partie du néolibéralisme. Ce n’est pas pour rien que Bart De Wever est libéral, il est une espèce de chef en même temps, une espèce de cheval de Troie amené à détruire l’État providence, et à ne surtout pas en remettre un nouveau et meilleur à la place.
Bart De Wever a été élu Bourgmestre de la plus grande ville de Flandre, Anvers, pourtant, selon vous, le mouvement nationaliste flamand est un mouvement anti-urbain ?
Ce nationalisme flamand quand on en fait la cartographie de façon un peu plus précise telle qu’elle est portée aujourd’hui par la N‑VA est effectivement issu d’une classe moyenne périurbaine et donc très anti-urbaine. Et c’est exactement cela qui se joue à Anvers et qui va percoler pour l’ensemble des villes, des villes sans trop de développement, de moteur économique. Ce ne sont ni des régions, ni des nations, ce sont des villes et la mise en réseau avec l’économie globale, c’est cela qui compte aujourd’hui. De par leur point de vue périurbain et donc très anti-urbain, dans le sens anti-diversité, anti-immigration, anti-créativité culturelle, c’est la culture du Reader’s digest qu’on lit dans les lotissements. Tout le monde reproduit le même schéma avec sa même maison, sa même voiture devant le garage, on lit la même chose. C’est la périurbanité, c’est de l’anti-urbain. C’est à partir de cette perspective-là que la Flandre va créer sa politique urbaine et dans le clan d’Anvers va essayer de diriger cette petite métropole internationale qui finalement est la seule à pouvoir être comparée à Bruxelles. Anvers a son port, sinon en termes de position stratégique dans l’économie globalisée, cela représente deux fois rien. Au final, Anvers sera une ville dirigée par des gens qui ne l’aiment pas, qui l’utilisent mais qui ne veulent pas y habiter. Par des gens qui ont peur et se rebiffent contre ce qui est profondément urbain à savoir : l’immigration, les cultures, les diversités, l’ouverture sur le monde entier, la globalisation et toutes les dynamiques urbaines. C’est là une perspective de changement, il faudra pouvoir y faire face. Tout changement a quelque chose d’inquiétant car il représente l’incertitude. Je crois que les résistances sont plus grandes chez certains jeunes que chez les gens dans « la fleur de l’âge ». Ce serait intéressant de voir quelles sont, à la fois les différentiations sociales, géographiques et aussi les motivations des jeunes pour épouser ce nationalisme flamand ou épouser au contraire cette thèse de la globalisation du partage du pouvoir politique à différents niveaux.