L’Aile ou la cuisse, tout le monde sait ça, est un film de Claude Zidi sorti en 1976. Une comédie française sympa où l’on retrouve un Louis de Funès sur le déclin (il venait de subir un double infarctus) et un Coluche goguenard, star en devenir de l’humour grinçant. Cela resterait un souvenir des années d’insouciance si, au détour d’un énième visionnement au cours d’un après-midi pluvieux, nous n’avions été saisis par l’inquiétante teneur conjecturelle du film, le propulsant d’un coup au rang de manifeste pour le temps futur. Et le futur, c’est maintenant les gars !
Prenez cette scène où de Funès, alias Charles Duchemin, éminent critique gastronomique et propriétaire du guide du même nom, déguisé en touriste américain d’opérette, découvre la cuisine infâme de l’Auberge de la truite, véritable boui-boui aux allures de p’tit resto provincial typique. Coup de griffe évident à ce genre d’endroits faussement terroir qui aujourd’hui encore attirent les touristes trop peu regardants.
Mais c’est bien évidemment la scène de l’usine, propriété de l’ignoble Jacques Tricatel, qui surprend par la mise en garde implicite qu’elle contient. Et sa confondante actualité.
Perdus dans le dédale de cette cathédrale de l’industrie agroalimentaire, Charles Duchemin et son fils Gérard (Coluche) découvrent les secrets bien gardés de la production moderne : la chair animale de synthèse réduite en une pâte visqueuse, directement moulée sur des carcasses tout aussi artificielles, des œufs cubiques pour faciliter le transport, des lapins génétiquement modifiés, des salades élastiques et des poulets sans plumes pour économiser la main d’œuvre !
Le plus drôle c’est que, enfants, nous nous fendions la bidoche devant les frasques de nos deux comiques préférés qui, happy end oblige, font enfin éclater le scandale aux yeux des citoyens hallucinés et envoient l’empoisonneur capitaliste aux enfers.
Pourtant, le pire dans cette histoire c’est que, quarante ans plus tard, il semble bien que Tricatel ait fini par gagner la partie… Ce qui était en effet dénoncé sur le mode humoristique dans le film de Zidi (de fait, une charge contre Jacques Borel, magnat historique des restoroutes et autres cantines d’entreprises), c’était bien l’influence grandissante d’une industrie de la malbouffe qui règne aujourd’hui en maître sur nos assiettes ! Dans nos pays trop gras à force d’être « développés », on oublie un peu vite ce qui nous menace réellement : privatisation du vivant par les entreprises de biotechnologies, élevage hors-sol, traçabilité bafouée des aliments, néocolonialisme agricole envers d’autres régions du monde, récupération des filières bio par la grande distribution, risques sanitaires décuplés, etc. etc.
Un monde indigeste dans lequel, fort heureusement, les alternatives citoyennes fleurissent de nouveau. Il est grand temps : l’agrobusiness au 21e siècle contribue pour près de 20 % à la production des gaz à effet de serre. Plus que le trafic routier. Bon appétit.