Auriez-vous pu ou pourriez-vous exercer un autre métier que celui d’acteur ?
Je travaillerais probablement dans une entreprise de construction. Je suis très bricoleur, j’ai toujours eu besoin de travailler de mes mains. J’ai grandi dans une ferme et dès l’enfance, j’ai commencé à essayer de tout faire moi-même. La plupart de mes amis sont ouvriers dans la construction. Mon voisin est couvreur, mon meilleur ami est menuisier, mon grand-père était menuisier… Quand j’ai commencé le conservatoire, j’ai continué à travailler avec mon père à la ferme, c’était obligatoire. Puis, entre deux projets de théâtre, j’allais bricoler chez des amis qui ne savaient pas planter un clou. Aujourd’hui, dès que je ne tourne pas, je me lance dans des projets de construction. Par exemple acheter une maison où il faut tout retaper. J’ai toujours eu du plaisir à cela depuis longtemps.
Dans les films des frères Dardenne comme Le Fils ou La Promesse, vous avez d’ailleurs souvent tenu des rôles où vous exerciez des métiers manuels.
Dans Le Fils, menuisier, ce n’était pas par hasard. Les frères savaient que j’avais fait de la menuiserie et que je pouvais me servir d’une machine à bois, d’une raboteuse etc. C’est pour cela qu’ils ont choisi cette profession-là pour mon rôle.
Vous vous occupez également d’un hôtel. Est-ce que c’est un besoin ou une nécessité pour vous en parallèle de votre activité d’acteur ?
L’hôtel pour moi ce n’est pas une nécessité ni un besoin. Travailler manuellement oui, mais l’hôtel c’est souvent plus lourd qu’épanouissant parce que l’on gère tout. C’est mon épouse qui gère vraiment parce que moi, je suis parti presque huit mois par année. Quand j’y suis pour une longue période, deux ou trois mois cela m’amuse. Mais quand je suis en tournage et que je reviens un samedi matin et que je dois repartir le dimanche fin d’après-midi, je tombe toujours à un moment où l’hôtel est complet. Ce qui veut dire que cela empêche certaines choses au niveau familial : à ce moment-là c’est lourd parce qu’on a envie de rentrer, pas spécialement de voir des gens, pas spécialement de devoir travailler à nouveau
Qu’est-ce qui vous a nourri en tant qu’acteur ?
De 0 à 20 ans, la seule culture que j’ai eue, c’est la culture du travail ! [Rires]. J’ai terminé les Humanités parce que j’avais des aptitudes et que mes parents m’y ont obligé. J’ai suivi latin-grec, j’ai abordé certains auteurs et certaines lectures à l’école. Mais j’étais forcé et cela me faisait chier à mort ! J’ai détesté l’école. Je ne m’y suis pas amusé, aucun prof ne m’a excité et ne m’a donné l’envie d’étudier. Bon, j’étais probablement récalcitrant, je n’avais sûrement pas suffisamment de maturité. Je lisais parce qu’il fallait lire mais je n’en retenais rien. Je faisais tout juste ce qu’il y avait à faire.
Quand j’ai commencé à faire du théâtre à l’école, au collège, je n’avais aucun regard sur le théâtre, la culture ou le cinéma. Ce qui m’amusait, c’était simplement de faire l’idiot sur un plateau, de faire rire mes camarades et de me défouler physiquement. C’était tout ce qui m’importait. C’est le plaisir mon premier carburant. Je le conserve encore aujourd’hui.
Puis, je suis arrivé au Conservatoire à Liège vers 20 ans, une école engagée. Il y avait bien sûr le plaisir de jouer mais aussi beaucoup de prises de position sur la société actuelle, un apprentissage des auteurs qui ont eu ce regard critique sur la société, et un questionnement sur la manière de sensibiliser les gens avec telle pièce sur tel ou tel sujet. Il y avait un vrai rapport vis-à-vis de la société, une vraie étude et analyse via la scène. Ce sont eux qui m’ont fait prendre conscience de cela.
En est né tout le plaisir d’émotion, à la lecture des scénarios, d’être touché par tel personnage parce qu’il a un écho dans la vie d’aujourd’hui et d’être profondément ému par cela. Et je me suis rendu compte que plus j’étais ému plus cela me donnait une véritable raison de les incarner. Et au travers de cela, qu’on pouvait sensibiliser les gens, les faire réfléchir, afin qu’ils sortent d’un film ou d’une pièce de théâtre en se posant quelques questions.
Ma chance, cela a été aussi de rencontrer les bonnes personnes et les bons enseignants, ceux qui vous révèlent à vous-même et à ce que vous aviez en vous. À ce que vous n’aviez pas été chercher vous-même par paresse, par manque de maturité ou de curiosité. Parce que je vivais à la ferme, on travaillait la terre, on soignait les bêtes. J’étais riche de plein de choses que je continue à faire aujourd’hui. Mes parents m’ont donné cette culture-là. Mais ils n’allaient pas au théâtre, au cinéma, ne regardaient pas la télé. Quand je suis arrivé à Liège, je me suis mis à aller tous les jours au cinéma, à louer des films et à discuter cinéma et théâtre avec les gens.
Et au niveau du jeu d’acteur ?
Par ma formation, j’ai compris l’importance du corps, d’être traversé par l’émotion avant de prendre la parole, par quelque chose qui résonne en vous. En Belgique, on met davantage l’accent sur la formation corporelle, sur l’importance du corps, dans le fait d’incarner un personnage.
Il y a eu aussi une vraie influence du cinéma américain, du jeu d’acteur américain de l’Actor’s Studio. Des gens comme De Niro dans Taxi Driver, ou Raging Bull, où ils vivent vraiment le personnage, où ils disparaissent eux-mêmes de leur image de star pour être le personnage. Ou le cinéma anglais. C’est tout de suite cela qui m’a influencé, qui m’a touché.
Quel est le rôle que vous avez eu le plus de plaisir à interpréter ?
Celui pour qui j’ai eu le plus de plaisir peut être quelqu’un de très différent de moi. Celui pour lequel j’ai eu le plus de plaisir c’est L’exercice de l’État même s’il est très loin de moi. Ce personnage politique était magnifiquement écrit, il traversait énormément d’émotions différentes selon les moments du film, c’est un personnage haut en couleurs. J’ai aussi adoré faire le personnage du Fils. Sur le fond, sur l’intériorité, c’est le rôle où je suis allé le plus loin en moi. Mais c’est un personnage plus monochrome, plus renfermé sur lui-même. Il a moins d’éclat et moins de palette d’humeur. C’est un homme qui a perdu de fils et qui n’a pratiquement plus qu’une seule humeur.
Vous ne jouez pas totalement le jeu de la vedette de cinéma. Vous êtes assez discret dans les médias, pas spécialement un people, c’est possible de poursuivre une carrière sans suivre ce jeu-là ?
C’est plutôt difficile mais c’est possible. Disons que j’ai toujours eu une bonne étoile, j’ai assis une certaine notoriété et ‑sans prétention- une certaine qualité de travail auprès des réalisateurs et producteurs, ce qui m’a permis de continuer. Cela veut dire que c’est possible autrement.
On m’a proposé plusieurs fois des rôles sur des films plus « grand public ». En général à la lecture, ce ne sont pas spécialement des films qui m’attirent. Pas que ce ne soit pas bien d’avoir des films de divertissement ou grand public, ce n’est pas un parti pris, ni un refus de principe. Simplement, quand je lis ces scénarios, cela me touche moins par rapport à d’autres où l’on a relaté de vrais problèmes d’aujourd’hui ou à des films historiques qui sont universels et qui ont encore une résonance aujourd’hui. Des films où évoluent des personnages concrets humainement, que l’on pourrait croiser dans la rue. Ce sont ces gens-là qui me touchent, la vie au quotidien et non pas un héros de cinéma ni une histoire héroïque.
Et d’autre part, comme je ne veux pas être au-devant des médias, en tout cas l’être le moins possible, on m’a déjà écarté de projets plus grand public pour lesquels j’étais partant, en me disant que même si j’étais un très bon acteur, je n’étais pas assez vendeur pour les éditions du 20 heures… Ils cherchent plutôt des gens qui, au moment de la promotion, vont être des amuseurs publics, qui vont dire des conneries à la télévision pour toucher le plus large public possible.
Est-ce que choisir de tourner dans des films dits « sociaux » c’est aussi une forme d’engagement politique de votre part ?
Oui, c’est exact. Il faut que je sois attiré émotionnellement par un rôle pour bien défendre des personnages. Ce sont ces histoires-là qui me touchent, qui me retournent et me bouleversent. Probablement parce que j’essaie de rester en phase avec la société, avec les gens.C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’essaie d’être le moins possible au-devant des médias : à partir du moment où l’on est trop connu, on n’a plus de vie privée. On ne peut plus sortir de chez soi. Or, je pense que pour parler du monde et des gens, il faut vivre dans le monde et faire des choses avec les gens, voir ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Je vis normalement avec les gens et les histoires que je reçois ont un écho en moi parce je connais cette réalité. Il faut toujours rester vivant avec les autres.
Si vous étiez Premier ministre, quelle serait la première décision que vous prendriez ?
Ce serait de miser davantage sur l’enseignement. Y mettre les moyens financiers, augmenter le nombre d’enseignants pour avoir des classes plus petites afin d’accompagner ceux qui ont le plus de difficultés. C’est eux l’avenir. C’est une décision urgente à prendre.
Qu’est-ce que vous craignez le plus pour ces jeunes ?
C’est qu’ils ne soient pas suffisamment accompagnés pour découvrir ce qui les fait rêver, ce qui pourrait les passionner, les épanouir. Quand je vois les jeunes autour de moi, c’est vraiment ce manque de passion, d’envie, de curiosité, de plaisir.
Il faut prendre chaque enfant et l’accompagner. Il faut certes les règles et techniques de base, les calculs, l’écriture mais il faudrait surtout découvrir ce qu’il a en lui, ce qui va lui permettre de s’épanouir bref : quelle est sa singularité ? C’est cela qu’il faut faire ressortir dans les écoles. On a essayé avec le rénové en disant qu’on pourrait choisir plus tôt, mais en réalité je ne pense pas qu’il faille choisir dès 13 – 14 ans. Je pense au contraire qu’il faut leur donner une large gamme, les rendre curieux de plein de choses et ne pas les cantonner dans une spécialité. Ce n’est pas en enfermant dans la singularité qu’on trouve la singularité, c’est en l’ouvrant vers les autres, vers la différence, vers ce que l’on ne connaît pas que tout à coup, on va pouvoir vous révéler.
En permettant des ponts et des transferts entre les univers différents ?
Oui, mais c’est aussi de rendre le jeune curieux. Sur ce plan-là, on ne les stimule pas, parce que déjà les parents sont de générations qui ont été formatées, tuées par la télévision. C’est terrible le mal que la télévision a fait depuis 30 ans sur les gens. Elle a enfermé les gens chez eux à ne regarder que des conneries.
Et chez vous, comment cette curiosité s’est-elle déclarée ?
J’ai toujours été curieux des gens. Cela continue à être mon plus grand plaisir : les gens plus que les auteurs. C’est pour cela que j’ai arrêté le théâtre. Le cinéma m’a permis de rencontrer des gens, les films d’auteur m’ont permis d’interpréter des situations sociales. J’ai tourné avec des acteurs amateurs qui étaient vraiment les personnages, dans des milieux différents du mien. C’est cela qui m’a excité. C’était de quitter les quatre murs du théâtre et de rentrer dans la vie, dans des vrais décors avec des vrais gens dans de vraies situations et de voyager, de découvrir d’autres façons, d’autres humeurs, d’autres régions. Le conservatoire nous a beaucoup obligé à partir et à aller voir les gens, les regarder, leur parler, les interroger. Quand on devait interpréter un rôle, on devait trouver dans la vraie vie quelqu’un qui aurait pu être ce personnage. Il fallait faire tout un travail d’information. Comme dans le journalisme, l’acteur qui raconte un personnage, doit s’informer avant. C’est une démarche.
Qu’est-ce que vous appréciez le plus chez un homme ou une femme politique ?
C’est en tout cas se mettre au service des citoyens et à leur écoute. Savoir transiger, savoir accepter qu’il y ait des gens qui sont complètement à l’opposé. Ne pas toujours créer ces débats débiles, ces querelles de partis, où le citoyen n’est plus vraiment au centre du débat et où on est plus sur des idéologies politiques. Mais j’en vois peu de mise au service des citoyens. Je vois surtout beaucoup d’égo. En même temps, pour avoir abordé un peu ce milieu dans « l’Exercice de l’État » je sais que c’est nécessaire d’avoir de l’égo et un orgueil. C’est un milieu tellement violent. Et ce ne sont pas toujours les meilleurs qui arrivent au-dessus, hélas. Il y a des gens souvent beaucoup plus compétent qui sont dans l’ombre mais qui n’ont pas envie de devenir Président de la République ou Premier ministre, et qui ont davantage le sens du citoyen et de la politique, dans le sens pur du mot, de la vie publique.
Il y a un débat en cours sur la réforme du statut de l’artiste en Belgique , quel est votre sentiment par rapport à cette question ?
Je suis cela un peu de loin. Mais ça renforce mon sentiment qu’on n’a toujours pas compris aujourd’hui l’importance de la culture en Belgique. C’est dommage et je ne sais pas comment faire prendre conscience de cela au monde politique. On devrait défendre ce statut davantage car c’est difficile pour un jeune artiste qui sort d’une école de vivre de ce métier. Même si évidemment je ne veux pas qu’il y ait des privilèges pour les artistes au détriment d’autres catégories, je trouve dommage de remettre en cause un statut qui jusqu’à présent a fait ses preuves. Je pense qu’il n’y a pas un seul jeune qui veuille vivre de ce métier qui le fasse de manière hypocrite. Tout jeune sait que vivre de cela est dur, qu’on va manger de la vache enragée. Le statut peut permettre de pouvoir être aidé et de se dire « je continue »… Moi, si je n’avais pas été aidé, je ne serais peut-être pas ce que je suis aujourd’hui même si j’ai eu de la chance. Mais il y en a eu d’autres qui ont mis ou mettront plus de temps parce qu’il y a beaucoup de monde sur le marché.
Quel regard portez-vous sur le cinéma belge aujourd’hui ?
Le cinéma belge est reconnu internationalement et à travers plein de festivals. Ce qui fait la richesse de la Belgique selon moi, c’est que nous sommes une jeune nation née en 1830, on a coupé notre cordon ombilical qu’était la culture française et on s’est retrouvé dans un pays fait de bric et de broc sans culture, passé, ni patrimoine. Il a donc fallu tout reconstruire et je pense qu’on a laissé tout faire car tout était possible, c’est ce qui a permis cette richesse. En France, on a un lourd héritage. L’héritage et le patrimoine c’est bien mais c’est parfois difficile de se dire du jour au lendemain que l’on doit s’en débarrasser pour aller vers quelque chose de plus frais et vivant. Attention, l’héritage, c’est magnifique aussi. La culture c’est aussi apprendre à donner, à partager ce que l’on a appris, le transmettre aux autres. Il y a la culture artistique mais aussi la culture du travail. La menuiserie, c’est aussi la culture, de l’apprendre à un jeune c’est formidable. Si ce n’est qu’à un moment donné il faut le laisser vivre, le laisser faire et parfois c’est plus compliqué.
En Belgique donc, tout a été permis. Dès lors, une nouvelle culture, quelque chose de neuf, un regard différent et surtout une singularité sont nés. Parce qu’on ne devait ressembler à rien. Chacun a existé dans sa singularité. C’est ce qui fait la richesse du cinéma belge aujourd’hui. Qu’il soit flamand ou wallon, c’est le même type de cinéma : un cinéma singulier. On cherche à réaliser le film que personne d’autre n’aurait fait de cette façon-là. Cela n’appartient qu’aux Frères Dardenne, qu’à Bouli Lanners, qu’à Benoit Mariage…
Est-ce que vous avez un réalisateur ou une réalisatrice avec qui vous auriez souhaité travailler ?
Oui, des réalisateurs dans le cinéma social anglais comme Mike Leigh ou Ken Loach.
Qu’est-ce que vous aimez lire ?
Je suis un gros lecteur de polars par moment mais je peux aussi rester trois mois sans ouvrir un bouquin. Je lis beaucoup dans les trains parce que c’est facile à lire ou sur les tournages parce que cela ne vous prend pas la tête. C’est plutôt pas mal écrit, c’est prenant et cela vous emmène ailleurs. Mes goûts et mes humeurs changent tellement. Il y a des gens que je garde en référence comme John Irving dont j’apprécie énormément l’humour. Mais si je ne devais citer qu’un seul roman ce serait « Le Seigneur des porcheries » d’un jeune auteur américain décédé Tristan Egolf. Je me suis toujours dit que si je réalisais un film, ce serait une adaptation cinématographique de ce livre.
Cela vous tenterait la réalisation ?
Ce n’est pas vital. Il faut que les choses soient vitales au cinéma ou dans le plaisir. Or je ne suis pas sûr d’avoir du plaisir à réaliser. Ce serait plus une douleur, c’est un métier de fou, prendre une équipe, raconter une histoire et mettre tout le monde au diapason, ce n’est pas évident. Si un jour je devais aller vers la réalisation, j’irais plus facilement vers le documentaire. Justement aller voir les gens, les questionner, leur parler et découvrir quelque chose avec eux.
Quel est votre prochain film ?
Je viens de finir un film plutôt social de Pierre Jolivet. L’histoire d’un vigile de 50 ans, complètement solitaire qui vit en cité et qui est resté au trou pendant dix ans parce que c’était une grande gueule, un délégué syndical. Mais son usine a fermé et il n’a pas retrouvé d’embauche, estimé trop difficile avec les patrons. Il reprend un petit boulot de vigile dans une zone d’activité commerciale où il y a plusieurs commerces et une banque. Il va s’apercevoir qu’un hold-up est en train de se préparer là, que des gens circulent et qu’il connait deux de ces personnes. Celles-ci vivent dans une situation sociale très inconfortable. Il va donc tout faire pour arrêter cela…