« Si on m’avait dit il y a deux ans que j’allais faire du théâtre, je n’y aurais jamais cru. Je n’ai pas l’habitude de parler aux gens, de me dévoiler. On a toujours peur du regard des autres, il n’y a rien de gai à raconter qu’on n’a pas de quoi manger ni de quoi boire ». Ces mots, ce sont ceux de Marc. Il était auparavant dans la rue. Il ne le cache pas, s’il s’en est sorti aujourd’hui, c’est notamment grâce à la pièce de théâtre « Home Sweet Home ». Il fait partie des acteurs qui y racontent ce qui a constitué leur quotidien. Un quotidien encore aujourd’hui fragile, n’étant retenu qu’à un fil face à la précarité. Des loyers qui augmentent, un pouvoir d’achat qui ne cesse de diminuer. Des stratagèmes à élaborer pour survivre, d’autant plus lorsque les revenus financiers sont limités, que le logement est de piètre qualité et qu’il ne reste que quelques dizaines d’euros pour se nourrir, se vêtir et vivre dignement. Le tout raconté avec beaucoup de retenue et transpirant de lucidité.
Cette pièce de théâtre, elle ne tombe pas de nulle part. Comme l’explique Marie-Noëlle Demoustiez, animatrice-coordinatrice de la régionale PAC de Mons-Borinage, « la genèse du projet remonte à 7 ans. On remarquait qu’il avait de plus en plus de personnes jeunes à la rue. Alors, avec le réseau des écrivains et des écrivaines publiques de Mons-Borinage, on a décidé d’aller à leur rencontre ». S’en sont suivies deux années de travail et d’ateliers avec des personnes sans domicile fixe, qui ont débouché en 2017 sur la sortie d’un ouvrage, « Murmures de la rue ». L’objectif était alors de démanteler, pièce par pièce, l’imaginaire collectif que les gens ont du monde de la rue. « Et puis on a voulu aller plus loin », poursuit Marie-Noëlle Demoustiez, « on a travaillé avec un groupe de personnes qui voulaient trouver un toit. On a donc lancé des ateliers réflexifs, des ateliers d’écriture et des balades exploratoires au cours desquelles on a recensé tous les logements inoccupés dans la ville de Mons ». Sur base de ces rencontres parait alors un second ouvrage : « Tous aux Abris ».
Lors de la sortie de ce livre, un des participants a lancé en guise de boutade : « Et si on en faisait une pièce de théâtre ? ». Il n’en fallait pas moins pour lancer Marie-Noëlle Demoustiez et Bernadette Joris, écrivaine publique qui accompagne le projet depuis ses débuts, dans un nouveau défi. Elles invitent cette fois-ci le Théâtre des Rues à monter avec elles dans la barque. « Avec notre compagnie de théâtre-action, nous mettons tout en œuvre pour permettre à des personnes culturellement ou socialement défavorisées d’obtenir un accès à la pratique culturelle, de les accompagner dans la construction d’un spectacle sur une thématique choisie, afin qu’ielles puissent partager leur vécu et leur expérience sur scène. Pour nous, le théâtre, c’est un outil de transformation sociale et politique », raconte Laura Bejarano Medina, Directrice du Théâtre des Rues.
Après une séparation, Jérôme se retrouve à la rue. « Je n’ai pas eu d’autres choix », explique-t-il. « J’ai ensuite côtoyé la Maison d’accueil Saint-Paul, mais je ne m’y sentais pas à ma place. La pratique du théâtre m’a beaucoup aidé. Après chaque représentation, on ressent que le public a reçu un message par rapport à notre vécu. Il faut se rendre compte que ça peut arriver à tout le monde. On n’est jamais à l’abri de rien ». Après ces multiples projets, la situation a‑t-elle changé sur le territoire montois ? Pas de révolution copernicienne, mais le constat est déjà moins sombre. « La Ville a mis en place un programme de Housing First. C’est intéressant, mais ça a ses limites. C’est notamment destiné à des personnes qui ont déjà trois ans de rue derrière elles… Il faut être abimé pour pouvoir y accéder. Il faut donc aller plus loin », explique Marie-Noëlle Demoustiez. Des contacts réguliers se tiennent à présent entre les groupes de travail et les autorités de la ville. Les mesures d’urgence ne sont plus les seules réponses apportées, il y a une volonté d’approche sur le long terme. Le message politique semble petit à petit s’ancrer : au lieu de gérer la précarité, il faut l’éradiquer.
Pour aller plus loin
- Murmures de la rue – PAC éditions, collection « Agir par l’Écriture » - 2017
- Tous aux abris – PAC éditions, collection « Agir par l’Écriture » - 2019
- #15 : Home Sweet Home – Podcast de PAC, série « Les Jours Heureux » - 2022