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Après le début de l'assaut terrestre sur Rafah [au Sud de la bande de Gaza]), où j'avais été déplacé une première fois, je suis reparti et je me suis dirigé vers Deir el-Balah [plus au Nord, à peu près au centre de la bande]. J'ai dû loger dans une maison à moitié détruite. J'ai essayé tant bien que mal d’en réparer certaines parties pour rendre cette ruine aussi habitable que possible. À travers les nombreuses ouvertures des murs éventrés, je pouvais voir au loin. Au-delà de l'horizon, je pouvais voir la fumée s'élevant de Rafah, où j’étais encore il y a peu. Rafah était comme blessée et agonisante après avoir été bombardée par des avions et envahie par des tanks. Dans ce dessin, je suis assis et j'observe l'horizon, dessinant et documentant ce que nous vivons ; c’est-à-dire l'anéantissement et la présence constante de la mort autour de nous.
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C'est une scène devenue rapidement celle de la vie de tous les jours : des bombes transportées par des oiseaux d'acier sont larguées sur les têtes de ceux qui se croient en sécurité dans leurs maisons. Dans ce dessin, les avions israéliens, chargés de destruction, de mort et de dévastation, envoient leurs roquettes sur les maisons du quartier. C'est une scène tristement répétitive, se produisant toutes les heures depuis le 7 octobre jusqu'à aujourd'hui. Ces bombardements transforment les maisons, avec tout ce qu'elles contiennent, en un tas de poussière, de décombres et... de restes humains.

En quelques semaines, l'armée d'occupation israélienne a fait de la ville de Khan Younès un champ de ruines. Après le passage des tanks, tous les monuments de la ville sont maintenant tordus ou éclatés, tous ses bâtiments sont à présent réduits en poussière. Aucune maison n'est restée intacte dans cette ville. Malgré cela, ses habitants sont revenus, car ils n'avaient pas d'autre choix, même si la plupart des zones orientales de Khan Younès sont menacées par des incursions répétées de l’armée israélienne c’est-à-dire de nouveaux massacres, de nouvelles destructions. En fait, se déplacer constamment est devenu la seule option pour survivre. Sur le dessin, un groupe de personnes déplacées, épuisées par cette errance continue, emportent leurs maisons avec elles. Cette famille porte ses affaires, ou ce qu'il en reste, avec la douleur clairement gravée sur leurs visages.
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La machine de guerre israélienne à Gaza fait de tout le monde une cible potentielle. Dans ce jeu de massacre permanent, tous les habitant·es sans exception sont menacé·es de mort à tout moment. Les journalistes et ceux qui documentaient le génocide n'ont pas été épargnés. À vrai dire, ils ont même été pris pour cible de manière prioritaire. Ainsi que leurs véhicules, leurs maisons et leurs familles. C’est vraiment l’idée du tueur qui veut éliminer les témoins gênants. Dans ce dessin, un photojournaliste capture et documente les évènements avec sa caméra, il n’est pas épargné par les balles qui ont frappé son corps. Malgré ses blessures, il poursuit sa mission de transmettre la vérité, défiant son tueur dans un geste de défiance.
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Pour échapper à la mort, j'ai dû fuir quinze fois, me déplaçant d'un endroit à l'autre. Sur mon dessin, on voit les tanks qui ont envahi l'endroit où je me trouvais. J'ai été déplacé dans la région de Deir al-Balah [au centre de la bande de Gaza]). J'ai dû quitter les lieux deux fois. Quand j'y suis retourné après le passage des chars, j’ai pu constater que tanks et bulldozers avaient enfoncé leurs griffes dans le sol, le détruisant, tandis que les missiles avaient éventré les maisons et dispersé les intérieurs. Même les tentes des personnes déplacées n'ont pas été épargnées. Cet assaut contre une zone agricole paisible a en outre défiguré la beauté naturelle des lieux et causé de graves dommages à la faune et la flore locale.
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Pendant des années, j’ai refusé l’idée de quitter Gaza. Cela ne m'a jamais vraiment traversé l’esprit, malgré les circonstances difficiles, le siège et les guerres répétées contre notre ville. Même au début de la guerre, après le 7 octobre, et malgré toutes les terribles pertes, humaines et matérielles, que j’ai vécues. Cependant, depuis quelques mois, l'idée fait surface avec vigueur. Depuis lors, je vis dans une sorte de conflit intérieur. Dans ce dessin, j’ai essayé de représenter toutes celles et ceux qui envisagent de quitter Gaza. La valise symbolise la collection de tous leurs souvenirs qu’emporte l’exilé, des souvenirs déformés par la guerre, tandis que les flèches représentent la désorientation, l'incapacité à trouver le bon chemin et la recherche illusoire d'un endroit sûr.
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Si ce dessin est basé sur mon imagination, des scènes similaires vues sur les écrans ou les médias sociaux lors de manifestations en Cisjordanie ont traversé ma mémoire. Dans ce dessin, le keffieh, qui représente un élément de l'identité palestinienne, est pris pour cible. Ce qui symbolise bien le fait que l'objectif des Israéliens n'est pas seulement de blesser physiquement les Palestinien·nes, mais aussi d'effacer leur identité. Cette identité, que l'occupation tente d’effacer dans le cadre de ses plans de destruction d’une ville et de mise à mort de la population. Le keffieh, malgré sa fragilité par rapport à la toute-puissance des tanks, devient une sorte de bouclier pour le Palestinien, le protégeant symboliquement face à la machine à tuer qui le traque.
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